dummy content alt

Traduction de l'interview de Christian Harbulot sur Guruonline


Fondé en 2000 pour rendre compte de la complexité du monde, le site gurusonline.tv interroge depuis sa création, les universitaires, consultants, journalistes et dirigeants de multinationales dont les travaux et activités contribuent à la création de paradigmes. Jorge Nascimento Rodrigues, fondateur et éditeur principal du site international Gurusonline (versions en portugais, espagnol et anglais) s’attache à mettre en valeur ceux qui, indépendament de leurs visions politiques, économiques ou sociales influencent de manière significative, durable et au niveau mondial la réflexion ainsi que l’action en management et en stratégie. En une décennie, ce site a questionné quelques 120 personnalités.

Gurusonline.tv est un projet du groupe Adventus (http://www.groupadventus.com) fondé par Jorge qui a débuté ses activités en 1995 avec la parution du site http://www.janelanaweb.com en portugais. Le groupe est basé à Lisbonne, Buenos Aires, Barcelone, Porto Alegre/Brésil et Macao/Chine.

 

 

L'interview de Christian Harbulot est la confirmation de la reconnaissance internationale dont ses travaux font l'objet depuis quelque temps.

En 2000, le centre de recherche du congrès américain citait l'Ecole de Guerre Economique comme l'un des deux seuls centres européens de niveau mondial en ce qui concerne les recherches sur l' information dominance (chapitre France du CRS Report for Congress sur le Cyberwarfare rédigé par Steven A. Hildreth, expert au National Defense Foreign Affairs ).

En 2001, l'EGE est citée dans le rapport Strategic and Organisational Implications for Euro-Atlantic Security of Information Operations . Ce rapport est destiné à l'OTAN et réalisé par la branche européenne de la Rand Corporation.

En 2003, la version européenne de la Harvard Business Review faisait appel à son expertise pour décrypter les nouveaux ressorts de la compétition économique planétaire. Aujourd'hui, l'interview de Christian Harbulot sur gurusonline.tv permet d'éclairer plus encore la nécessité de prendre en compte le rôle du management de l'information dans des perspectives offensives. En effet, c'est une nouvelle grille de lecture des rapports de force qui se trouve exprimée au travers du concept de « guerre cognitive ». Parce qu'il existe une constante historique des nations à rechercher la puissance, l'expression des rivalités prend corps avec les conflits immatériels de nature informationnelle du XXIè siècle (influence, lobbying, info-déstabilisation).



Désormais le directeur de l'EGE prend désormais place parmi les experts qui l'ont précédé sur ce site. Parmi eux, nous retenons :



Les théoriciens du management stratégique

Alfred Chandler, Prahalad et Gary Hamel, Carl Shapiro (Berkeley), Daniel Quinn Mills (Harvard), Henri Minztberg, le français Hugue de Jouvenel, James Collins, Kencichi Ohamae (LE stratège japonais), Peter Drucker, William T. Allen (NUY university), Peter Senge (MIT) ou encore Richard d'Aveni (Darmouth college), etc.



Les praticiens les plus innovants

Ged Davis (le prospectiviste de Shell pour l'horizon 2050), Arie de Geus (le coordinateur historique de la planification stratégique chez Shell), Bernard Liautaud (co-fondateur Business Object), Bill Joy (le stratège de Sun Microsystems), Jillis Jonk (le stratège d'AT Kearney), Niklas Zennstromm (co-fondateur de Skype Technologies), Michael Dell (Président de Dell computers), Shai Agassi (le stratège de SAP).



Des universitaires de renommée mondiale

Les sociologues Alain Touraine, Jagdish Bhagwati (Columbia, spécialiste des questions d'immigration internationale),

Les politologues de Harvard Francis Fukuyama et George Modelski, Mickael Klare (le spécialiste de la pétrostratégie), Daniel Treisman (géopoliticien, UCLA), Barry Eichengreen (Directeur de l'institut d'études européennes à Berkeley).

Les économistes : Kenneth Arrow (Prix Nobel), Robert Mundell (Columbia, Prix Nobel), Lester Turrow (le plus écouté des économistes du MIT), Paul Krugman (« l'autre » économiste du MIT), Hal R. Varian (théoricien de l'économie de l'information, Berkeley).



Mais aussi?

Le « futurologue » Alvin Toeffler, le prospectiviste Joël de Rosnay, Peter Williamson (le spécialiste de la géoéconomie de la chine à l'INSEAD), Nicholas Carr (ancien rédacteur en chef de la Harvard Business Review), Nicolas Negroponte (le penseur des technologies digitales au Mit), Le géophysicien Didier Sornette, le physicien Jean Philippe Bouchaud, le géoéconomiste indien Ashutosh Sheshabalaya, etc.



et les « stars » du net.

David Siegel, Georges Gilder, Jeff Bezos (homme de l'année 1999 du Times, fondateur d'Amazon), Kevin Kelly, Paul Romer (considéré, il y a peu par le Times comme l'une des 25 personnalités les plus influentes des Etats-Unis), Jeffrey Funk, etc.



Didier Lucas



--------



DE LA GUERRE COGNITIVE



La guerre cognitive c'est le stade suprême de l'intelligence économique. C'est l'expression plus moderne de la guerre suivie par des autres moyens



Une interview avec CHRISTIAN HARBULOT le principal théoricien européen de la nouvelle guerre «immatérielle»



Le champ d'action prioritaire, dans cette période de transition de cycle longue géopolitique, s'est déplacé de la guerre ? dans le sens de violence comme continuation de la politique ? pour la géoéconomie. Dans ce changement, l'intelligence économique a été substituée pour sa fille plus moderne, la « guerre cognitive », une espèce de «main invisible» des puissances et des lobbies les plus forts, et toutes les sphères du monde s'sont déjà concernées par cette mutation. L'homme au centre de cette nouvelle «buzzword» c'est le Français Christian Harbulot. Il nous dit que la nouvelle guerre marque une différence majeure avec l'intelligence économique. C'est une des armes fondamentales de la diplomatie économique ouverte ou informelle, qu'on le veuille ou non, qu'on l'ignore ou le déplore les plus naïves.



Le monde a passé d'une époque où le renseignement et l'espionnage industriel étaient rois à une autre où la communication, les idées, les symboles et le lobbying dominent et fait des «victimes» et des «vassaux». « La guerre cognitive ne traduit pas une volonté de persuasion par une argumentation directive mais une démarche indirecte fondée sur l'influence. La principale arme en est la connaissance. Dans cette guerre sans champ de bataille, le plus fort est celui qui oblige l'autre à accepter tacitement sa domination, sans coup férir », s'explique Harbulot dans l'interview à Gurusonline.tv.



Harbulot a publié ce juin 2005 chez les Éditions Ellipses La Main Invisible des Puissances. Les Européens face à la guerre économique , un livre qui a bousculé les idées reçues de certaines élites françaises, en revenant sur le sujet de la dimension politique de puissance, un thème oublié ou discuté en sourdine dans les milieux politiques et des affaires. Surtout dans les milieux de la Défense nationale le débat aux mois d'Été a été très chaud en France. Harbulot argumente que la guerre cognitive c'est tant un sujet de défense nationale ou européenne, comme question de stratégie des affaires. Ce n'est pas seulement question pour les militaires ou politiciens, c'est aussi une affaire pour les PDGs et la globalisation des entreprises. La variable «géo» doit entrer dans la fonction du management. Harbulot ne vas pas jusqu'à suggérer pour le moment d'avoir un CGO (chief-geoeconomic officer) comme on' a déjà un CEO.



Mais, if faut agir d'urgence, réclame Harbulot et son École de Guerre Économique, fondé à Paris en 1997 (dans la Web au site http://www.ege.fr ). Et pour ça, il faut préparer les entreprises au défi des phénomènes de concurrence exacerbée et des man?uvres de diplomatie économique et aux nouvelles formes de rapports de force géoéconomiques. Cette guerre en cours se «choque» avec les stratégies de court terme, soit des politiciens pour sa réélection toutes les quatre années, soit des hommes d'affaires penchés sur le business au jour le jour ou restés ancrés dans une vision très idéologique et démodée des rapports de force économiques.



Depuis la chute du Mur de Berlin et de la nouvelle géopolitique américaine au sujet des ressources stratégiques mondiales (poursuivit plus ouvertement par George W.Bush) et de l'émergence en particulier de la Chine, la culture de puissance est en train de revenir sur le devant de la scène et de s'imposer à nouveau. La guerre cognitive c'est une guerre immatérielle, qui fait appel à la maîtrise de l'économie de la connaissance, à des moyens opérationnels pour comprendre et dominer par le savoir le fonctionnement de la globalisation et de l'asymétrie de la réalité.



Pour les pays européens encerclés comme une «sandwich» entre l'Amérique et les nouvelles grand-puissances émergentes de l'Asie, la discussion est à l'ordre du jour - ce n'est pas de la prospective lointaine, mais question très pragmatique, que les élites européennes maîtrise très mal.



Christian Harbulot est aussi co-fondateur et directeur du cabinet Spin-Partners, spécialiste français en communication d'influence et gestion du risque informationnel. Spin-Partners, sur le model des «spin doctors», est né d'une fusion de deux cabinets en 2004. «Spin doctors» a entré dans le vocabulaire des PR (relations publiques) comme un mot pour les nouveaux spécialistes de la communication d'influence politique. «Spin» c'est un acronyme anglais pour «Significant Progress In the News», une technique des spécialistes de PR de la Strategic Defense Initiative de Ronald Reagan dans les années 1980. Christian dirige aussi le site Infoguerre.com créé en 1999.



Interview par Jorge Nascimento Rodrigues, éditeur de http://www.gurusonline.tv . Une version adapté en portugais a été sortie à Expresso, l'hebdomadaire publié à Lisbonne.



10 Idées clés

. La dimension géoéconomique prend une importance croissante du fait du changement de contexte.

. Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, les grandes entreprises s'étaient habituées à un marché mondial dominé par l'Occident et plus précisément par l'économie des Etats-Unis. L'irruption de la Chine et bientôt de l'Inde modifie à la fois la géographie des échanges mais celle des rapports de force.

. Il reste à sensibiliser la population la plus stratégique, à savoir les milieux patronaux qui en France en sont restés encore à une vision très idéologique des rapports de force économiques

. La construction de l'Europe est encore trop lente et incertaine pour rendre caduque une réflexion de fond sur la puissance d'une nation comme la France et la manière de la faire évoluer

. Les petits pays ont plutôt l'objectif de préserver une marge de man?uvre pour ne pas subir la loi du plus fort

. Le patriotisme économique ne doit pas être confondu avec le nationalisme économique qui est une des causes de la naissance des régimes totalitaires du XXè siècle. Il est la condition sine qua non d'une réflexion stratégique sur le devenir d'un pays

. Après le pétrole, c'est la fois de l'eau au centre des guerres économiques

. Aujourd'hui, les pays qui marquent des points décisifs sont ceux qui ont su bâtir une stratégie de puissance géoéconomique sur le moyen/long terme. Les autres pays subissent de facto cette nouvelle configuration des relations internationales depuis la disparition des Blocs

. La diplomatie économique est la face émergée de l'iceberg. Il ne faut pas oublier la face immergée. Le monde de la finance en constitue l'une des parties les lus importantes. C'est le monde le plus opaque et le moins contrôlé de l'ensemble de l'économie de marché

. Avec le Web le faible a de nouveau les moyens de se battre contre le plus fort et même de vaincre celui-ci. Avec le Web, tous les acteurs économiques peuvent devenir des communicants directs



Vous pensez que la dimension "géoéconomique" doit entrer rapidement au c?ur des stratégies de l'entreprise, surtout pour les groupes ou «start-up» de dimension globale? Est-ce que les directions générales et les chefs d'entreprise y sont préparés ?



Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, les grandes entreprises s'étaient habituées à un marché mondial dominé par l'Occident et plus précisément par l'économie des Etats-Unis. L'irruption de la Chine et bientôt de l'Inde modifie à la fois la géographie des échanges mais celle des rapports de force. La dimension géoéconomique prend une importance croissante du fait de ce changement de contexte. La pénurie de certaines ressources, les risques de surproduction, les effets de la désindustrialisation d'une partie de l'Occident en créant notamment des dépendances qui n'existaient pas, le durcissement de la compétition en raison de la multiplication des pays industrialisés, sont autant de facteurs qui peuvent parasiter les stratégies des entreprises «globales». La France est sur ce point un cas d'école. Le pouvoir politique en est réduit à parler de patriotisme économique sans être capable de définir des stratégies de moyen et long terme, à force de concentrer son attention principale sur les stratégies purement électorales.



«La guerre au terrorisme est une petite guerre par rapport aux efforts tous azimuts de la puissance géoéconomique américaine pour préserver sa suprématie mondiale. Il en est de même pour la Chine dans les efforts qu'elle déploie pour devenir une véritable puissance mondiale»



En période de transition dans le cycle long géopolitique (si on suit le raisonnement de George Modelski), la question de la "puissance" est-elle fondamentale pour la diplomatie économique ?



La problématique de la puissance n'a jamais cessé d'être au c?ur des relations internationales. La fin de la guerre froide a sorti cette problématique du ghetto idéologique dans lequel l'avait enfermé la politique des Blocs. La course aux armements n'est plus aujourd'hui l'expression dominante de la puissance. Les enjeux sont désormais principalement économiques. Le président démocrate Bill Clinton l'avait dit dès 1994 : la priorité numéro de la politique étrangère des Etats-Unis est la défense de ses intérêts économiques. Le 11 septembre n'a rien changé à cet ordre des choses. La guerre au terrorisme est une petite guerre par rapport aux efforts tous azimuts de la puissance géoéconomique américaine pour préserver sa suprématie mondiale. Il en est de même pour la Chine dans les efforts qu'elle déploie pour devenir une véritable puissance mondiale.



Est-ce que vous pensez que la Chine - avec sa diplomatie économique globale (le «go global» de la propagande - et l'Inde sont plus avancées que l'Europe sur le sujet de la guerre économique ?



Ces deux pays vont devoir être très habiles dans la mesure où les Etats-Unis ne les laisseront pas croître en puissance au point de menacer leur suprématie. La Chine a certainement tiré des enseignements de ce qui est arrivé au Japon au début des années 1990. L'agressivité commerciale de l'ex-empire du Soleil Levant à l'égard de l'Occident fut stoppée par Washington par différents moyens (attaques répétées pour casser le protectionnisme invisible nippon, déstabilisation de son système bancaire, blocage se sa stratégie sur le technoglobalisme, limitation des jeux d'influence japonais dans le système politico administratif américain). La chute du mur de Berlin priva le Japon de l'objet de son chantage implicite à l'égard de l'Amérique. Les autorités gouvernementales américaines n'avaient plus à craindre le basculement de cet allié/ancien adversaire dans la sphère d'influence soviétique, au cas où les Etats-Unis n'accorderaient pas à Tokyo une marge de man?uvre significative dans la construction de la puissance économique nipponne.



Retrouver le sens de puissance, est-ce un objectif pour des grands États (comme la Grande Bretagne, la France, et l'Allemagne) ou des États moyens (comme l'Espagne, et demain la Pologne) européens? Ou est-ce une affaire globale à traiter au niveau de l'Union Européenne? Quelle pouvait être la position des petits États, comme la Hollande, le Portugal ou la Finlande ?



Il n'est pas simple de retrouver le sens de la puissance. Précisions d'abord qu'il existe plusieurs formes d'expression de la puissance. Les Etats-Unis et peut-être la Chine sont des puissances qui cherchent à imposer une suprématie. La France, l'Allemagne et la Grande Bretagne qui ont été jadis des puissances importantes, cherchent aujourd'hui leur positionnement. Les petits pays ont plutôt l'objectif de préserver une marge de man?uvre pour ne pas subir la loi du plus fort. La construction de l'Europe est encore trop lente et incertaine pour rendre caduque une réflexion de fond sur la puissance d'une nation comme la France et la manière de la faire évoluer.



Quelle définition donnez-vous au patriotisme économique ?



Le patriotisme économique ne doit pas être confondu avec le nationalisme économique qui est une des causes de la naissance des régimes totalitaires du XXè siècle. Il est la condition sine qua non d'une réflexion stratégique sur le devenir d'un pays. Si certaines élites cherchent leur salut en se mettant systématiquement au service du plus fort - La France a connu cette situation dramatique avec Pierre Laval entre les deux guerres et durant la seconde guerre mondiale -, elles accentuent les risques de déclin et d'affaiblissement de leur pays. Le contexte est certes très différent des années 1940, mais ce type de comportement n'a pas disparu. A droite comme à gauche de l'échiquier politique français, des personnalités influentes s'entretiennent naturellement une relation de une connivence avec la puissance la plus forte. Pour la plupart d'entre eux, ce comportement ne traduit pas une vision géostratégique de la France mais plutôt la volonté quasi pavlovienne de protéger leurs intérêts individuels. C'est ce qui explique la force du camp pro américain dans les milieux dirigeants de l'hexagone. Cette réalité rend très difficile la réflexion nécessaire sur la puissance.



«Les Américains ne sont pas les seuls à mener une politique de puissance dans le domaine du pétrole. Il en est de même pour les Russes qui cherchent à sécuriser leurs richesses énergétiques ainsi que les territoires sus lesquels passent les conduites de pipe line. La politique énergétique de la Russie est l'expression la plus caractéristique de sa recherche de puissance depuis la chute de l'empire soviétique.»



Le pétrole et demain l'eau seront-ils les étincelles des nouvelles guerres économiques ?



C'est déjà le cas. La guerre en Irak est une leçon de choses. Les Américains ne sont pas les seuls à mener une politique de puissance dans le domaine du pétrole. Il en est de même pour les Russes qui cherchent à sécuriser leurs richesses énergétiques ainsi que les territoires sus lesquels passent les conduites de pipe line. La politique énergétique de la Russie est l'expression la plus caractéristique de sa recherche de puissance depuis la chute de l'empire soviétique. Vous avez raison de citer aussi le domaine de l'eau.



Pourquoi ?



Depuis plusieurs années, les Etats-Unis et l'Europe s'affrontent sur ce sujet par l'intermédiaire des négociations de l'Accord Général sur le Commerce des Services (AGCS) qui doivent se terminer en décembre 2005 lors de la réunion de l'Organisation Mondiale du Commerce à Hong-Kong. Dans cette partie de bras de fer, chacun défend ses intérêts en fonction de ses points forts. L'Union européenne revendique que les services dits d'environnement dont le captage et épuration de l'eau soit prise en compte par l'AGCS. Cette revendication n'est pas étrangère au fait que les plus grandes firmes de ce secteur soient européennes. A contrario, les Etats-Unis, qui n'ont pas encore réussi à s'emparer du leadership du marché mondial par leur propre dynamisme industriel, ne cessent de répéter que ces services ne tombent pas sous la coupe de l'AGCS, étant «fournis dans le cadre de l'exercice du pouvoir gouvernemental». L'argumentation nord-américaine est d'autant plus paradoxale que les autorités américaines sont les plus ardents partisans de la déréglementation et donc de la privatisation des services publics. On peut légitimement se poser la question si les campagnes de protestation véhémentes, lancées par des ONG comme Public Citizen, et concentrée sur les cibles Suez et Veolia, ne sont pas le rideau de fumée qui masque le combat que se livrent Européens et Américains sur la libéralisation des services.



Qu'est-ce que la guerre cognitive? Comment la différencier de la propagande d'Etat, pure et dure, des années 1930/1940 ?



La guerre cognitive est l'expression la plus moderne de la guerre. Contrairement aux opérations de propagande qui ont dominé les grands conflits du XXème siècle, la guerre cognitive ne traduit pas une volonté de persuasion par une argumentation directive mais une démarche indirecte fondée sur l'influence. La principale arme en est la connaissance. Dans cette guerre sans champ de bataille, le plus fort est celui qui oblige l'autre à accepter tacitement sa domination, sans coup férir. La manière dont les Etats-Unis font pression en amont pour imposer à leurs vassaux leurs règles du jeu dans de nombreux secteurs économiques, est souvent à décrypter sous l'angle de la guerre cognitive. Aujourd'hui, les pays qui marquent des points décisifs sont ceux qui ont su bâtir une stratégie de puissance géoéconomique sur le moyen/long terme. Les autres pays subissent de facto cette nouvelle configuration des relations internationales depuis la disparition des Blocs. S'ils veulent maîtriser leur devenir, ils devront tôt ou tard réfléchir à leur propre approche de la notion de puissance par la guerre cognitive.



«Aujourd'hui, l'Etat français est très mal armé pour identifier les man?uvres financières menaçant nos intérêts économiques. Il n'est pas le seul dans ce cas.»



Quelles sont les implications pratiques pour la diplomatie économique ou informelle des États ?



Que ce soit pour la diplomatie économique ou la diplomatie informelle, l'Etat Stratège n'est plus un non-sens. Pour bâtir une bonne diplomatie économique, les pouvoirs politiques d'un Etat doivent avoir la capacité de réformer les principes de gouvernance, en incluant ces nouvelles problématiques. Des cabinets américains comme Ernst and Young sont déjà en train de préparer des offres de service allant dans ce sens. Ils n'hésitent pas à utiliser de la compétence française pour y parvenir. Je pense notamment à une méthodologie conçue par une ancienne magistrate et un consultant en intelligence économique qui vise à identifier les points faibles financiers d'une entreprise. Mais ne nous trompons pas d'ordre de grandeur, la diplomatie économique est la face émergée de l'iceberg. Il ne faut pas oublier la face immergée. Le monde de la finance en constitue l'une des parties les lus importantes. C'est le monde le plus opaque et le moins contrôlé de l'ensemble de l'économie de marché. Qui note les brokers de Wall Street et de la City ? Et c'est pourtant ce monde-là qui cherche à vendre aux entreprises les règles de conduite sur la transparence financière. A ce propos, notons que l'opacité financière de l'économie chinoise renforce le caractère incontrôlable de ces dynamiques informelles. Aujourd'hui, l'Etat français est très mal armé pour identifier les man?uvres financières menaçant nos intérêts économiques. Il n'est pas le seul dans ce cas.



Le rôle de la Web a-t-il changé les règles de la guerre ?



Il est en train de subvertir les règles de la guerre cognitive telle qu'elle a été pratiquée lors du siècle précédent. Le faible a de nouveau les moyens de se battre contre le plus fort et même de vaincre celui-ci. A côté de l'art de l'intoxication pratiquée par les Britanniques contre Hitler et de la désinformation mise en ?uvre par les Soviétiques, l'art de la polémique est un nouveau champ d'action sur lequel les Français n'ont pas fini de surprendre car c'est leur principale culture du combat.



Quel a été le feedback de votre bouquin en France et en Europe ?



La cible à atteindre était les personnes qui s'intéressent à la question, en particulier dans le monde de la Défense au sens large du terme. Leur réaction a été plutôt positive. Il reste à sensibiliser la population la plus stratégique, à savoir les milieux patronaux qui en France en sont restés encore à une vision très idéologique des rapports de force économiques (luttes sociales, réduction des charges fiscales). Abrités derrière le dynamisme de l'économie américaine, les patrons français ont construit leurs schémas de pensée dans le périmètre occidental, sans anticiper les nouvelles formes de rapports de force géoéconomiques.



Article en original :


Interview de Chrsitian Harbulot sur Guruonline