La dépendance extérieure de l'industrie pharmaceutique française

La loi du 4 mars 2002 dit loi Kouchner est le droit fondamental à la protection de la santé, qui doit être mis en œuvre par tous les moyens disponibles. Au-delà du droit fondamental, l’enjeu est d’une importance capitale puisqu’il s’agit d’un des piliers de la souveraineté. La France doit être capable en tout temps de pouvoir soigner sa population. Évidemment cette question ne se posait pas car nous n’avions depuis presque un siècle vécu une épidémie ou maladie d’une gravité telle qu’elle pourrait remettre en question notre mode de vie. L’épisode Covid, nous a fait réaliser que nous sommes dans une situation qui doit questionner les dirigeants de la France. Le constat est sans appel, les dirigeants français ont pris une succession de décisions nous amenant à une situation aux conséquences graves. Citons notamment la rupture de stocks de médicaments disponibles en fonction des contraintes que nous imposent les pays dont nous dépendons.

La perte de la maîtrise des flux de matières premières

Lorsque nous allons à la pharmacie, nous prenons nos médicaments que cela soit du paracétamol ou bien d’autres molécules dans le but de nous faire aller mieux. Mais est-ce que beaucoup de personnes se demandent comment sont fabriqués ces médicaments, ou encore d’où proviennent-ils ? Beaucoup de questions qui méritent réflexion car l’enjeu n’est pas simplement une simple guerre entre les lobbies pharmaceutiques mais relève de l’intelligence économique. La France doit repenser sa politique industrielle. La pandémie Covid permet de mettre en exergue la faiblesse de la France d’un point de vue pharmaceutique que cela soit par ses laboratoires incapables de trouver un vaccin, la pénurie de masques ou encore le manque de médicaments. Comme nous l’avons dit précédemment, cette situation provient d’une succession de choix pris sans vision à long terme. Il est nécessaire que l’on retrouve une certaine indépendance vis-à-vis des autres pays car cela nous handicape sur plusieurs points. Premièrement il y a la question des normes européennes. La plupart des matières premières proviennent de Chine et ou d’Inde. "L’Académie de pharmacie déplore une perte quasi-complète d’indépendance de l’Europe en sources d’approvisionnement en matières actives pharmaceutiques (qui) se conjugue à l’éventuelle perte du savoir-faire industriel correspondant". D’après les chiffres 60% à 80% des matières premières sont fabriquées dans les pays tiers à l’Union Européenne principalement en Inde et en Chine contre seulement 20% dans les années quatre-vingt-dix. Ce choix de délocalisation provient des effets de la mondialisation, le but étant de faire plus de recettes à moindre couts.

En Chine, les coûts de main d’œuvre sont environ 55% moins cher que dans la zone ICH (Japon, Europe, Etats-Unis d’Amérique). Le fait d’avoir voulu à tout prix réduire drastiquement les coûts de productions, on se retrouve avec 2 problèmes majeurs.

Le risque de qualité

Le risque lié à la qualité des médicaments est une question importante. Nous savons très bien que les normes sanitaires ne sont pas les mêmes entre la France et plus ou moins l’Union Européenne et la Chine ou l’Inde. Certains médicaments ne sont pas faits dans les mêmes normes d’hygiène mais il y a aussi une incapacité totale de tracé le produit.  D’après une étude sur le seul second semestre 2010, le Conseil de l’Europe (DEQM) a suspendu 14 certificats de conformité (CEP) à la Pharmacopée européenne et en a retiré 5 : 75% d’entre eux correspondaient à des sites localisés en Inde ou en Chine.

Toujours dans cette même étude, un autre constat est surprenant puisque seulement une centaine de sites furent inspectés par la FDA (Food and Drug Administration), service du gouvernement américain s’occupant du contrôle et de la réglementation des médicaments avant leur commercialisation, alors qu’il y aurait plus d’un millier de sites de production situé en Chine et en Inde.  Enfin, dernière indication de l’étude, les sites européens sont inspectés environ cinq fois plus que les sites chinois ou indiens. Avec tous ces éléments, la question de la qualité du produit est nettement remise en cause.

Dépendance vis-à-vis de l’Inde et de la Chine

Le second enjeu est notre dépendance vis-à-vis de ces pays. Plusieurs risques découlent de cet enjeu.  Le premier est sans doute le plus important celui de pénurie, il ne faut pas oublier que nous sommes dans un monde où à chaque instant il y a des risques géopolitiques à prendre en compte. Aujourd’hui, la Chine et la France ne sont pas en guerre déclarée, ils peuvent donc faire du business entre eux mais qu’adviendra-t-il si la Chine décide de faire comme Russie et à une volonté d’annexer Taiwan. La France peut vite se retrouver sans médicaments ou avec une hausse des prix volontaires des pays asiatiques.

Le secteur pharmaceutique est l’un des secteurs stratégiques pour un pays vitaux. Avoir laissé nos entreprises se délocaliser pour réduire les coûts, on peut se dire au premier abord qu’il s’agit d’une manœuvre pour rester compétitif, mais malheureusement il s’agit d’un mauvais investissement. Le fait que l’Asie et principalement la Chine et l’Inde soit les deux grandes sources d’approvisionnement, on leur laisse un avantage considérable dans nos relations commerciales. Le rapport de force est clairement à notre désavantage

Nous pouvons nous dire que simplement ce sont des entreprises basées en Chine et non l’état de Chine qui contrôle ces sites de productions mais cela serait avoir un regard néophyte. Il est bien question de rapport de force et d’intelligence économique. En ayant laissé nos grands champions en matière de santé tel que UPSA, Sanofi ou encore Arkema se délocaliser, on a perdu notre savoir-faire mais aussi notre indépendance vis-à-vis de la Chine. A l’heure actuelle, le grand gagnant est l’Etat chinois qui récupère le savoir mais qui en plus s’occupe de l’exportation des matières premières voir de médicaments. Le secteur pharmaceutique n’est pas à prendre à la légère, il s’agit d’un des six secteurs stratégiques d’un pays (défense, énergie, aéronautique, agroalimentaire, pharmacie, technologie de l’information et de la communication). De plus le secteur pharmaceutique est l’un des secteurs qui rapporte le plus d’argent.

Une vision stratégique erronée

Ce n’est pas la Chine qui a voulu nous prendre de force notre savoir-faire. Les Chinois nous ont laissé faire nos propres choix, « cette dépendance envers l’Asie n’est pas propre à la pharmacie, c’est le résultat de 40 ans de mondialisation » explique Marie Coris (enseignant chercheur en économie). Les laboratoires pharmaceutiques se sont délocalisé là où le coût de production était le moins cher car c’était la stratégie des dirigeants français. Au lieu d’essayer de conserver leurs atouts quitte a augmenté les dépenses, ils ont voulu une politique de prix bas sur les médicaments. En voulant obtenir ces prix bas, il est évident qu’il fallait réduire les coûts de production quelque part qui furent entre autres la main d’œuvre.  Ici on ne constate aucune pensée stratégique mais simplement une vision économique à court terme. De ce fait les pays asiatiques ont repris fur et à mesure la production mais également le savoir-faire pour à terme devenir le premier pays industriel pharmaceutique du monde.

Un combat qui n’est pas terminé

La France est dépendante de certains pays asiatiques mais ce n’est pas pour autant qu’elle ne peut réagir. Nous avons encore de grandes entreprises sur le territoire français comme Sanofi. Avec la crise Covid, les dirigeants politiques se sont rendu compte de l’enjeu stratégique du secteur pharmaceutique et l’on remarque une certaine volonté de relocalisation de sites de production (budget de 200 millions d’euros évoqué pour financer des infrastructures de production en 2020). Il est évident que cela ne sera pas chose aisée de réindustrialiser que cela soit en matière de coûts de productions ou avec les normes drastiques d’un point de vue environnemental. Cela pourrait être intéressant de réfléchir à des aides de l’Etat que cela soit d’un point de vue fiscal ou même réglementaire afin de privilégier et de promouvoir des entreprises françaises ou européennes afin de court-circuiter l’influence de l’Inde et de la Chine.

Autre piste, il est possible que la solution se trouve à une échelle supérieure comme l’Union Européenne, où l’on pourrait trouver un consensus pour repartir la chaine de production dans les pays de l’Union Européenne et ainsi retrouver notre indépendance et notre souveraineté sanitaire.

 

Hugo Delenes