Ingérences américaines sur le cinéma sud-coréen, depuis 1945

La fin des années 1980 et le début des années 1990 ont marqué une période cruciale pour l'industrie cinématographique sud-coréenne. À cette époque, l'industrie a connu des changements significatifs, en grande partie sous l'influence des États-Unis. La pression exercée par le gouvernement américain a conduit les autorités sud-coréennes à prendre des mesures qui ont eu un impact profond sur le cinéma local.

En 1988, sous la pression américaine, les autorités sud-coréennes ont décidé d'autoriser les sociétés de production étrangères à distribuer leurs films en Corée sans avoir besoin de passer par un distributeur local. Cette ouverture progressive aux productions étrangères a suscité de vives réactions de l'industrie cinématographique sud-coréenne, qui s'y est initialement opposée. Néanmoins, les autorités ont maintenu leur position, et les conséquences de cette ouverture ont été rapidement ressenties.

Les enjeux

La part de marché des films coréens sur le marché local a chuté de manière significative, tombant à 15,9 % en 1993. Parallèlement, le nombre de films produits localement a également diminué de manière notable. En 1984, la Corée du sud comptait 87 films coréens et 175 films étrangers distribués dans le pays. En 1993, seulement 63 films coréens étaient distribués pour 347 films étrangers. Les quinze dernières années ont également été marquées par l'essor de l'industrie cinématographique coréenne. Ce succès s'explique en partie par la concentration de talents et de capitaux, mais aussi par l'opportunité que représente le déclin de la qualité des productions hongkongaises. De plus, le cinéma sud-coréen a su occuper un espace laissé vacant par l'absence de concurrents asiatiques majeurs.

Le cadre juridique favorable, comprenant des quotas stricts pour protéger l'industrie cinématographique coréenne, a joué un rôle crucial dans la résistance à la domination du cinéma hollywoodien. Bien cela, les négociations commerciales internationales et l'ouverture des marchés aux produits culturels étrangers ont soulevé des préoccupations quant à la diminution de la production culturelle nationale. En 1994, un rapport proposait d'élever le cinéma et les productions audiovisuelles au rang d'industrie nationale stratégique, mettant en avant l'impact économique de l'industrie cinématographique. Une nouvelle loi de promotion du cinéma a été adoptée, offrant des incitations fiscales pour la production de films. De plus, les conglomérats sud-coréens, tels que Samsung, Daewoo et Hyundai, se sont impliqués dans l'industrie cinématographique, espérant tirer parti des synergies entre le contenu et le contenant.

Cependant, malgré ces investissements, de nombreuses filiales de chaebol ont rapidement essuyé des pertes importantes, et la crise économique de 1997 a incité de nombreux conglomérats à se retirer de l'industrie audiovisuelle.  Ce retrait a ouvert la voie à un renouveau de l'industrie cinématographique coréenne, marqué par l'émergence de nouveaux talents et la professionnalisation du secteur.

Les ingérences américaines dans l'industrie cinématographique sud-coréenne

L'histoire de l'industrie cinématographique sud-coréenne est imprégnée d'une lutte constante entre les forces américaines cherchant à promouvoir leurs propres productions et la détermination des autorités sud-coréennes à protéger et à promouvoir leur propre culture à travers le cinéma. Cette lutte peut être interprétée comme une guerre économique et culturelle sous-jacente, où les enjeux dépassent le simple divertissement cinématographique.

Dès le début du XXe siècle, sous l'occupation japonaise, la Corée avait déjà été soumise à une politique de quotas cinématographiques. Malgré cela, pendant les années 1926-1936, l'industrie cinématographique coréenne était relativement libre, avec peu de films soumis à la censure et la quasi-totalité d'entre eux étant acceptés. Le cinéma était considéré comme un produit parmi d'autres à cette époque.

On observe qu’avec la fin des années 1930, les autorités japonaises ont commencé à exercer un contrôle plus strict sur l'industrie cinématographique en Corée. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, les principales sociétés de production et de distribution américaines ont vu un potentiel de marché en Corée du Sud. Pour promouvoir les valeurs américaines, elles ont formé la Motion Picture Export Association of America (MPEA). Cela a marqué le début d'une bataille pour conquérir de nouvelles parts de marché et pour favoriser la diffusion des films américains dans le pays.

En Corée du Sud, les films américains étaient distribués par le Central Motion Picture Exchange (CMPE), un organisme semi-gouvernemental. À partir de 1949, le CMPE est devenu le représentant exclusif en Corée des sociétés membres de la MPEA. On note que la guerre de Corée (1950-1953) a temporairement perturbé l'industrie cinématographique en Corée du Sud, mais dès la fin de l'hostilité, les cinémas ont rouvert pour répondre aux besoins de détente et de divertissement.

Sous la présidence de Park Chung-hee, la Corée du Sud a élaboré sa première loi sur le cinéma en 1962, exprimant la volonté de protéger et de promouvoir la culture coréenne. La réglementation de l'importation de films étrangers, avec des quotas, a été instaurée en 1965, avec l'obligation de projeter des films nationaux sur chaque écran pendant au moins 90 jours par an.

Malgré la pression intense de la MPEA et du président Jack Valenti, un fidèle allié des États-Unis, Park Chung-hee a résisté à l'offensive américaine et a continué à protéger l'industrie cinématographique nationale. La MPEA, avec son réseau influent, a fait pression sur les autorités sud-coréennes pour assouplir la politique des quotas, mais les autorités sur coréennes ont tenté de faire face.

En 1984, le gouvernement sud-coréen a cédé à la menace de révision des accords commerciaux par les États-Unis. Sous une menace économique, elle a abandonné la politique des quotas au profit d'autres avantages commerciaux, au grand dam de l'industrie cinématographique locale. Les années 1980 ont également vu des Jeux olympiques en Corée du Sud qui a induit un effort de communication important de la part du gouvernement ainsi qu’une révision temporaire des politiques de quotas.

Finalement, en 1988, sous la présidence de Roh Tae-woo, un accord a été conclu avec la MPEA, réduisant les jours de projection obligatoire pour les films nationaux à 169 jours, mais imposant un quota minimal de 29 % de films coréens sur les écrans. Cette négociation a préservé une certaine protection pour l'industrie cinématographique locale tout en ouvrant davantage le marché aux productions américaines.

Cette période de lutte pour les quotas cinématographiques en Corée du Sud illustre la tension constante entre les intérêts économiques des États-Unis dans l'industrie cinématographique et la volonté des autorités sud-coréennes de préserver leur culture à travers le cinéma. La guerre économique et culturelle dans cette industrie a mis en lumière les enjeux géopolitiques et culturels, tout en ayant un impact significatif sur la production et la distribution de films en Corée du Sud.

La résistance sud-coréenne et la construction d'une industrie cinématographique nationale :

Les années 1980 en Corée du Sud ont été marquées par une lutte acharnée pour résister à l'influence grandissante du cinéma américain. En septembre 1988, quelques centaines de professionnels de l'industrie cinématographique, d'opposants politiques, d'universitaires et d'étudiants ont manifesté contre ce qu'ils percevaient comme une "invasion hollywoodienne." Ces manifestations, soutenues par un boycott du film « Fatal Attraction », (Américain) ont illustré la détermination des Sud-Coréens à protéger leur culture cinématographique. Les manifestants ont même libéré des serpents dans des cinémas projetant le film en signe de protestation.

Cependant, en réponse à ces pressions, Jack Valenti et la Motion Picture Export Association of America (MPEA) ont déposé de nouvelles plaintes contre la Corée du Sud, la considérant comme un marché inéquitable et hostile aux intérêts de l'industrie audiovisuelle américaine. Ils ont vu le potentiel de la Corée du Sud comme un marché cinématographique important en Asie, seulement surpassé par le Japon, pays où les films américains engrangent plus de 500 millions de dollars de bénéfices par an. Les autorités sud-coréennes, craignant des représailles économiques, ont fini par se plier à ces pressions. On peut ici constater que en 1985 seulement 30 films d’origines étrangères étaient distribués, en 1988, ce chiffre est de 176, la MPEA a retiré sa plainte en 1989.

Au cours des années 1990, la politique des quotas cinématographiques est restée inchangée malgré les interrogations d'universitaires sud-coréens quant à sa pertinence. Le nombre de films étrangers distribués en Corée a continué d'augmenter, atteignant 402 en 1996. En 1993, la création de la Coalition pour la diversité culturelle des images animées (Coalition for Cultural Diversity in Moving Images - CCDMI) a marqué une nouvelle étape dans la résistance sud-coréenne à la domination culturelle américaine. Cette coalition a exercé des pressions sur le gouvernement sud-coréen pour préserver la production nationale.

Le Conseil du film coréen (Korean Film Council) et le CCDMI ont également continué de s'opposer à la ratification de l'accord de libre-échange entre la Corée du Sud et les États-Unis. Cela témoigne de l'engagement continu des acteurs culturels sud-coréens à protéger et à promouvoir leur propre industrie cinématographique.

L'expérience sud-coréenne illustre la capacité d'un pays à résister aux pressions américaines pour libéraliser son marché cinématographique et à rivaliser avec la puissance américaine. Cela a été possible grâce à un effort concerté de l'ensemble des acteurs économiques, culturels et politiques du pays, qui ont coordonné leurs efforts pour protéger leur industrie cinématographique. L'intervention de l'État et la constance de la politique coréenne en matière de cinéma ont permis à la Corée du Sud de développer une industrie dynamique et rayonnante, offrant un exemple concret de la capacité des politiques à influencer le marché. Cela a également souligné l'importance de la préservation de la culture nationale dans un contexte de guerre économique et culturelle mondiale.

Une facette de la guerre économique culturelle

L'histoire de l'industrie cinématographique sud-coréenne offre un exemple fascinant de la guerre économique et culturelle qui a caractérisé les relations internationales. Face à la domination écrasante du cinéma américain, la Corée du Sud a lutté pour protéger sa culture cinématographique et maintenir sa souveraineté culturelle. Cette résistance a été possible grâce à une série de politiques, de réglementations et d'efforts concertés.

Dès l'époque de l'occupation japonaise, la Corée avait mis en place des quotas pour limiter la diffusion des films étrangers sur son territoire. Cependant, la fin de la guerre a ouvert la voie à une expansion rapide du cinéma américain en Corée. La résistance sud-coréenne a pris forme dans les années 1960 lorsque le pays a adopté sa première loi sur le cinéma et a commencé à réglementer l'importation de films étrangers. Ces mesures ont suscité des tensions avec les États-Unis et la Motion Picture Export Association of America (MPEA), mais la Corée du Sud a maintenu ses quotas pour protéger sa production nationale.

Les années 1980 ont vu un regain d'efforts pour lutter contre l'influence hollywoodienne. Les manifestations contre « l’invasion hollywoodienne » en 1988 ont marqué un tournant dans la résistance sud-coréenne. Malgré les pressions américaines, le pays a maintenu sa politique de quotas cinématographiques. En effet, la Corée du Sud a reconnu que sa souveraineté culturelle était un enjeu majeur, et que son industrie cinématographique était un atout précieux pour résister à la domination culturelle étrangère.

La création de la Coalition pour la diversité culturelle des images animées (CCDMI) a renforcé la détermination de la Corée du Sud à protéger sa production nationale. Même face aux menaces américaines de révision des accords commerciaux, le pays a maintenu sa politique de quotas cinématographiques.

En fin de compte, l'expérience sud-coréenne illustre la capacité d'un pays à résister à la guerre économique et culturelle en préservant sa souveraineté culturelle. Les politiques gouvernementales, les réglementations et la mobilisation de l'ensemble des acteurs culturels ont permis à la Corée du Sud de développer une industrie cinématographique dynamique. Cette résistance est un exemple concret de la manière dont un pays peut protéger et promouvoir sa culture dans un environnement dominé par des forces culturelles étrangères.

Dans l'ère de la globalisation, la lutte pour la préservation de la culture nationale est un enjeu crucial de la guerre économique et culturelle. La Corée du Sud a montré qu'il est possible de résister avec succès à cette influence et de développer une industrie cinématographique florissante tout en maintenant sa souveraineté culturelle. C'est un exemple inspirant pour d'autres pays confrontés à des défis similaires dans la bataille pour préserver leur identité culturelle. »

Yanis Akif,
étudiant de la 27ème promotion Stratégie et Intelligence Économique (SIE)

 

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cinéma coréen 2
AnnéeNombre de Films Nationaux Coréens Distribués
1965Au moins 90 jours par écran
1973Au moins 121 jours par écran
1981Au moins 165 jours par écran
1985Au moins 146 jours par écran
Années 1990Continuation de la politique des quotas
1996Nombre de films étrangers distribués atteint 402
2000sPolitique des quotas continue

 

Sources

[1] Antoine Coppola, Le cinéma sud-coréen du confucianisme à l’avant-garde, Paris, L’Harmattan, Coll. Images plurielles, 1997.

[2] Sam Jameson, « Dispute Continue Over Right to Distribute Movies in Korea , Los Angeles Times, 9 novembre 1988.

[3] Chiffres du Korean Film Council, www.koreanfilm.or.kr.

[4] Doobo Shim, « South Korean Media Industry in the 1990s and the Economic Crisis », Prometheus, vol.20, n° 4, 2002, p. 337-350

[5] « Chaebol and Media Business », Weekly Chosun, 19 janvier 1995, p. 76.

[6] Yoon Sang-hyun, Harvey B. Feigenbaum, « Global Strategies for National Culture : Korean Media Policy in International Perspectives », Seoul Journal of Business, 1997, vol. 3, n° 1, p. 127-146.

[7] « L’opportunité de l’industrie du contenu des médias », Kookmin Ilbo, 12 décembre 1994, p. 9

[8] Ryoo Wong-jae, « The Role of the State in the National Mediascape : The Case of South Korea », Global Media Journal, édition américaine, vol. 4, n° 6, printemps 2005, article 11.

[9] Shin Doobo, Preparing the Post-Korean Wave Age.

[10] Entretien avec le réalisateur Jeon Soo-il, janvier 2011.

[11] Intervention de Lee Sang-oak, responsable de la stratégie chez Munhwa Broadcasting Corp., « Current status and Future Outlook of Asean Content in Korea Television » au Korean-Asean Journalist Forum « The Role of the Media in Advancing Korea-Asean Cultural Exchanges », Séoul, 3 mai 2010.

[12] Shin Doobo, « The Growth of Korean Cultural Industries and the Korean Wave » , in Chua Beng Huat, Koichi Iwabuchi (éd.), East Asian Pop Culture, Analysing the Korean Wave, Hong Kong University Press, 2008, p. 19.

[13] Fiche technique consultable sur www.imdb.com/title/tt0192657/.

[14] Le texte révisé en 2002 de la loi en anglais.

[15] Julian Stringer, Shin Chi-yun (éd), New Korea Cinema, Edinburg University Press, 2005, p.55.

[16] Choi Jinhee, The South Korea Film Renaissance, Wesleyan University Press, 2010, p. 20.

[17] Entretien avec Choi Ji-won, responsable Japon et Asie du Sud-Est au sein du Korean Film Council en janvier 2011.

[18] Darcy Paquet, Netizen Funds, publié à l’origine dans le magazine Screen International, 2 novembre 2001.

[19] Anthony C.-Y. Leong, Korean Cinema, The New Hong Kong. A Guide Book to the Latest Korean New Wave, Victoria, Trafford Publishing, 2002, p.16.

[20] S. Hun Sung, Yong J.Hyun, Financing or Marketing : A Netizen Fund Paradox, 2005, p. 5, papers.ssrn.com/sol3/ papers.cfm?abstract_id=686504.

[21] Échanges de courriers électroniques en janvier 2011.

[22] Brian M. Yecies, Parleying Culture Against Trade : Hollywood’s Affairs with Screen Quotas, University of Wollongong, Faculty of Arts, Research online, 2007.

[23] Park Soo-mee, « Korea Box Offices Cracks $1 Billion in 2010 », The Hollywood Reporter, 20 janvier 2011.

[24] L. Thomas McPhail, Global Communication : Theories, Stakeholders and Trends, Malden, Oxford, Wiley-Blackwell, 2010, p. 327.

[25] Source Korean Film Council, janvier 2011.

[26] Brian Yecies, « Systematization of Film Censorship in Colonial Korea : Profiteering From Hollywood’s First Golden Age, 1926-1936 », The Journal of Korean Studies, vol. 10, n° 1, automne 2005, p. 59-84.

[27] US Army Military Government in Korea (USAMGIK, 1945-48.

[28] Brian Yecies, « Parleying Culture » opcit. qui cite William Cohen, “RE:Korea”, Memorandum from W. Cohen to J. Dagal of Warner Bros Pictures Japan, 15 septembre 1953), USC-Warner Bros, Archives, File # Japan 16675A.

[29] Ibid. avec citation de Jack Valenti, « The “Foreign Service” of the Motion Picture Association of America », The Journal of the Producers Guild of America, MPEA collection. MPEA-AMPTP 2000, Additions b.2. AMPAS, mars 1968, 1-4.

[30] Vraisemblablement le Korea Children’s Center connu aussi sous le nom de Fondation Yookyoung.

[31] Park Noh-chool, A Cultural Interpretation of the South Korean Independant Cinema Movement, 1975-2004, mémoire présenté à la Faculté de théâtre et de cinéma de l’University of Kansas, 20 novembre 2008, p. 4-7.

[32] Yim Hak-soon, « Cultural Identity and Cultural Policy in South Korea », The International Journal of Cultural Policy, vol. 8 n° 2, 2002, p. 37-48.

[33] Paul Farhi, « Seoul’s Movie Theaters : Real Snake Pits ? » The Washington Post, 17 septembre 1988.

[34] Brian M. Yecies, Parleying Cultureopcit., p. 9.

[35] Cho Hee-moon, « Is the ‘Screen Quota’ System Really Relevant? », Korea Focus, vol. 11, n° 4, juillet-août 2003, p. 40-43.

[36] Appelée auparavant Screen Quotas Watch Group (groupe de surveillance des quotas), site : www.screenquota. com.

[37] www.kofic.co.kr.

[38] Entretien avec Yang Gi-wan, directeur exécutif du CCDMI, octobre 2010.