Jeux d’influence autour de l'hydrogène

L'hydrogène, l'élément le plus léger sur terre, est à la mode. Il ne se passe pas une semaine sans un article dans nos journaux à son sujet et l’on n’a jamais autant cherché "Hydrogène" dans Google. En effet, il a tout pour plaire : son utilisation est verte car sa consommation ne rejette que de l'eau tout en possédant le plus fort ratio masse/énergie - ainsi un kilogramme d'hydrogène contient 3 fois plus d'énergie qu'un kilogramme d'essence.

Il propulse déjà la fusée Ariane et grâce à la pile à combustible, il fait tourner des trains, des bateaux, des tracteurs, des camions, des bus et des voitures. Demain, il fera voler des avions et chauffera nos maisons.

En résumé, selon le consensus, l'hydrogène est plus beau, plus fort et plus vert que toutes les autres sources d'énergie. Un candidat idéal donc pour le défi que représente la transition énergétique du 21eme siècle ?

Un pari déjà ancien

La NASA commence ses travaux sur l'hydrogène liquide à la fin des années 50. Sa maîtrise pour la propulsion des fusées est l’une des clés majeures dans la réussite américaine de la course à l'espace face à l'union soviétique.

Au début du siècle, en janvier 2003, l’administration Bush pariait déjà sur l'hydrogène pour défaire les Etats-Unis de leur dépendance au pétrole étranger, investissant plus de 400 millions de dollars annuellement dans la recherche sur l'hydrogène. Somme qui depuis 2010 a fortement diminué avec l’émergence des technologies autour des voitures électriques.

A côté de cela, l'hydrogène est utilisé depuis très longtemps dans l’industrie pétrochimique, qui représente toujours actuellement près de 95% de la consommation de l'hydrogène. Environ 70 millions de tonnes d'hydrogène pur sont utilisées par an, principalement pour le raffinage d’hydrocarbures et la production de fertilisants. 45 millions de tonnes supplémentaires sont utilisés par l’industrie lourde. En 2018, l'hydrogène au niveau mondial pesait environ 135 milliards de dollars par an.

Enfin, plus récemment et plus près de chez nous, en juin 2020 l’Allemagne lançait sa stratégie nationale Hydrogène avec pour but d’investir 9 milliards d’euros dans la filière ; l’UE a annoncé en juillet 2020 son plan Hydrogène. Plus récemment encore, le 8 septembre 2020, l'hydrogène est la vedette du plan de relance français post-Covid avec 7 milliards d’euros qui lui seront consacrés d’ici 2030.

Il est à noter que le reste du globe n’est pas en reste, avec des plans ambitieux notamment au Japon, en Chine ou en Corée du sud.

Un hydrogène multicolore

En 2021, à grand renfort de budget communication, de lobbying et de plans d’investissements massifs de la part des gouvernements autour du monde, une croyance forte d’un hydrogène propre est née. Néanmoins, la réalité est encore contrastée : loin d'être rose, elle est plutôt grise.

L'hydrogène “gris”, c’est l'hydrogène produit à partir d'énergies fossiles, comme le pétrole, le gaz ou le charbon. Cela représente toujours 99% de la production d'hydrogène dans le monde. Ainsi, loin d'être une énergie verte, l'hydrogène est à l'heure actuelle une énergie très productrice de CO2.

L’hydrogène “bleu”, c’est de l'hydrogène gris couplé à une technologie de capture du carbone. Enfin, l'hydrogène “vert”, c’est l'hydrogène qu’on nous vend dans les médias, l'hydrogène produit grâce à l'électrolyse de l’eau via l'électricité. Malheureusement, cette technique n’a pas encore de très haut rendement. Pire, pour produire de l'hydrogène vert, décarboné, il faut à l’origine déjà, de l'électricité décarbonée.

L'électrolyse, le stockage, le transport et la reconversion de l'hydrogène en énergie via une pile à combustible induit également une énorme perte en efficience, jusqu’à 70% de perte comparé à l'énergie apportée à l’origine. A ce propos d’ailleurs, Elon Musk considère l'utilisation de l'hydrogène dans les transports comme “staggeringly dumb” et dit de la pile à combustible (en anglais fuel cells), que ce sont des “fool sells”. Certes, avec Tesla, difficile pour lui d'être objectif, mais tout de même, cette perte énergétique laisse songeur.

Surtout que la flotte mondiale de véhicules à hydrogène reste particulièrement minuscule. Les chiffres de 2020, selon l’Agence Internationale de l’Énergie (AIE), donnent un total de 25 210 voitures à hydrogène à la fin 2019.

Une industrie en mal d’argent public

Les nouvelles utilisations vertes de l'hydrogène n’en sont encore qu'à leurs balbutiements, et à l'heure actuelle il n’y a pas beaucoup d’applications utilisant de l'hydrogène décarboné qui soit rentable ; d'où la difficulté de trouver de l’investissement 100% privé pour cette technologie.

Les industriels et les producteurs d'énergies fossiles font donc du lobbying et de la communication depuis de nombreuses années pour générer de l'intérêt et de l’investissement. Il faut dire que sur le papier, la technologie est alléchante, et bien plus encore depuis la signature de l’accord sur le climat à Paris en 2015. L'hydrogène pourrait être la technologie miracle qui nous permettrait, avec un mix d'autres technologies, d'atteindre nos objectifs ambitieux de réduction de nos émissions de CO2.

Un certain nombre d’organisations œuvrant à la promotion de l'hydrogène existe, on y trouve notamment Hydrogen Europe, Hydrogen Council, l’Association Française pour l'Hydrogène et les Piles à Combustible (AFHYPAC). Bien souvent, les membres et les soutiens financiers sont les mêmes, des gros industriels des énergies fossiles, de la chimie, ou des transports.

En effet, toute augmentation massive de l’utilisation de l'hydrogène pour un futur plus vert, passera forcément par une augmentation conséquente de l’utilisation de l'hydrogène “gris” profitant principalement aux acteurs actuels. La production de l'hydrogène “vert” n’en étant encore qu'à ses balbutiements, l’IEA ne prévoyant qu’une capacité de production de 8M de tonne d'hydrogène vert d’ici 2030 !

A court et moyen terme, il semblerait donc que les plans massifs pour l’hydrogène européen de 2020 consacrent surtout la victoire d’une industrie sur celle du climat. Le résultat direct d’années de travail en amont des industriels. Tout cela, sur les deniers publics.

L’hydrogène, un choix stratégique

Néanmoins, ces critiques doivent être nuancées. L’hydrogène 100% décarboné, étant produit en utilisant de l’électricité renouvelable non utilisée, pourrait vraiment changer la donne en matière climatique. Grace à l’infrastructure gazière existante, l’hydrogène pourrait même être utilisé en combinaison avec le gaz naturel dans les réseaux de chauffage domestique comme le montre une expérimentation récente menée à Dunkerque.

De plus, même s’il n’est pas facile à stocker, l’hydrogène pourrait pallier certains défauts des batteries électriques actuelles et ainsi apporter de l’énergie propre dans des domaines ou le 100% électrique n’est pas encore viable.

L’hydrogène, c’est aussi toute une filière et des compétences d’indépendance énergétique à caractère stratégique pour l’Europe et la France. Certes les plans massifs d’investissements annoncés récemment ont été poussés par les industriels, mais il est indéniable qu’une industrie de l’hydrogène forte en Europe serait un atout pour le futur et pour l’emploi. Nul n’a envie de voir l’industrie de l’hydrogène dominée par un seul acteur, comme la Chine a réussi à prendre le contrôle total du photovoltaïque.

Pour finir, un exemple qui illustre bien cette mania autour de l’hydrogène et qui nous laissera sans doute songeur. L’histoire spéculative de HRS, une société française fabricant des stations de recharge pour hydrogène et qui vient d’entrer en bourse début février 2021. Et qui, malgré ses maigres 2.5 millions d’euros de CA en 2020, était déjà valorisée 711 millions d’euros le 15 février dernier.

Guillaume Luccisano
Auditeur de la 36ème promotion MSIE