Avoir une stratégie d’intelligence économique est différent de savoir rechercher de l’information

 

François Jeanne-Beylot, professeur associé à l’EGE, gérant-fondateur de Troover et inMédiatic, s’est prêté au jeu de l’interview autour de son ouvrage « Besoin en cotation de l’information en intelligence économique » édité par la collection AEGE. Passionnant entretien !

 

 

Vous êtes le fondateur de Troover et InMediatic. Qu’apportez-vous aux entreprises à travers ces deux sociétés ?


FJB : Le cœur de métier de Troover est la recherche d’information. Il s’agit de mettre en place un système de veille et d’accompagner les entreprises dans leur stratégie d’intelligence économique. La particularité est d’être spécialisé sur le web, car c’est un média à part entière qui nécessite donc d’y passer beaucoup de temps. Sur internet, il y a la possibilité de chercher de l’information comme de la diffuser. Les clients nous demandent parfois de passer de l’autre côté, c’est-à-dire de faire de l’influence et de la notoriété, et c’est ce que fait InMediatic. Le positionnement est différent des cabinets d’E-réputation car dans notre cas, il s’agit vraiment de faire de la propagande (au sens originel du terme) : Propager l’information pour que les  gens la trouvent sur internet. C’est une stratégie d’influence adaptée à Internet.

 

 

Quelle est la différence entre une information lambda et une information utile ? Qu’est-ce qu’une information utile ?


FJB : Pour reprendre la définition de l’intelligence économique du rapport Martre, les gens qui font des recherches sur Internet cherchent de l’information. Dans le cadre d’une entreprise, l’information doit être utile à l’entreprise, c’est-à-dire qu’elle est nécessaire à l’entreprise pour avancer, c’est un carburant. En caricaturant, lorsque les gens cherchent sur internet, le mécanisme est inversé : ils trouvent l’information et parce qu’ils la trouvent elle devient utile. C’est le principe de la manipulation. Certaines entreprises conduisent leur stratégie parce qu’elles ont trouvé une information, or le processus logique devrait être de déterminer une stratégie puis de rechercher les informations utiles en fonction de cette stratégie.

 

 

Les entreprises ont-elles une démarche d’intelligence économique aujourd’hui ?

FJB : Il faut distinguer deux choses : avoir une stratégie d’intelligence économique est différent de savoir rechercher de l’information. Internet a démocratisé la recherche d’information, ce qui fait de tout un chacun un documentaliste potentiel. Certes n’importe quel jeune de la génération Y maitrise internet, mais on ne lui a jamais appris à aller chercher l’information. Sur Internet, nous parlons le langage des moteurs de recherche. Ce n’est pas le moteur qui s’adapte à l’internaute, c’est nous qui sommes censés nous adapter au langage du moteur de recherche. Or ce langage nécessite un apprentissage car si on ne connait pas les méthodes, on ne sait pas s’en servir.

En entreprise, il y  a énormément d’individus qui ne savent pas s’adapter au moteur de recherche, mais qui peuvent tout à fait mettre en place une stratégie d’intelligence économique, ce sont deux choses différentes. Il faudrait former aux bons usages d’internet (rechercher et trouver la bonne information sur le web) à l’école. La volonté de l’éducation nationale aujourd’hui est d’apprendre la bureautique, mais on n’apprend pas à chercher l’information sur internet. L’interdiction de l’utilisation de Wikipédia en tant que source dans les universités illustre notre méconnaissance. Il serait préférable d’apprendre aux professeurs à alimenter Wikipédia et aux étudiants à chercher, vérifier et recouper leurs sources plutôt que de l’interdire. Que ce soit au sein des entreprises ou parmi les étudiants, le niveau est malheureusement toujours le même.

 

 

Auriez-vous un exemple concret, une information précise qui aurait permis à une entreprise de gagner un marché ?


Troover et InMediatic n’exploitent pas l’information. Le client demande l’information mais pour des raisons de confidentialité, nous ne savons pas ce qu’il en fait. Lorsque nous recherchons des fournisseurs, des produits, des profils nous nous doutons bien qu’il y a une utilité derrière. Par exemple, lorsque nous trouvons pour un industriel français qu’un de ses partenaires asiatiques travaille aussi pour son armée, nous imaginons que cela puisse lui être utile. Le retour sur investissement est un point important, souvent abordé dans la mise en place d’une stratégie de veille. Mais contrairement aux cabinets qui sont spécialisés dans un secteur d’activité précis (aéronautique, pharmaceutique par exemple), nous ne pouvons pas déterminer la valeur des informations fournies. Nous considérons que la valeur d’une information, c’est le temps passé à la trouver.

 

 

Que reprochez-vous à Google ?


Je ne reproche rien à Google, je reproche tout à l’internaute. Google est très intelligent, mais ce qui est aberrant c’est la façon dont les internautes s’autocensurent. Ils ont le choix dans quasiment tous les services de Google, et pourtant ils succombent à la simplicité. Google est un moteur de recherche très pertinent, et l’entreprise est gérée de façon assez intelligence. Google a une force de persuasion assez maline en faisant croire à l’internaute qu’il va réfléchir à sa place et revendique faire son activité pour notre bien. Ce qui m’étonne c’est d’observer le capital sympathie dont bénéficie Google : il y a le « gentil Google » et le « méchant Wikipédia ». Cela est très étonnant car Google a montré qu’il n’avait pas toujours une volonté philanthrope, alors que Wikipédia c’est vous, c’est moi, c’est tout le monde. Nous avons la main sur Wikipédia mais pas sur Google…

 

 

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