Concept militaire: Renseignement et information : le point de vue de la DRM

Renseignement et information: le point de vue de la DRM par Ch Malis (Bureau Etudes - Prospective DRM).

4-1) De la spécificité du renseignement
4-1-1) Données, informations, renseignement
4-1-2) Le renseignement comme information finalisée
4-1-3) Le renseignement information validée
4-2) Mutation stratégique et révolution de l'information
4-2-1) La dilatation de notre espace d'intérêt militaire
4-3) La maîtrise des flots d'information
4-3-1) Outils
4-3-2) Organisation interne
4-3-3) L'organisation externe : vers une sous-traitance pour le traitement de l'information ouverte
4-4) Renseignement, intelligence, prospective
4-4-1) Maîtriser l'information : les qualités traditionnelles de l'analyste davantage mises à l'épreuve
4-4-2) La compréhension : le renseignement comme victoire sur l'information.


Sans aller jusque-là, il est certain que la conduite même de la stratégie des entreprises doit désormais intégrer l'explosion de l'information ouverte. Selon Jean-Louis Gergorin, une bonne compréhension de la compétition s'obtient, pour un industriel, en travaillant sur les banques de données, en rencontrant les experts, qui sont souvent des universitaires, des journalistes, des généralistes ouverts. Enfin, au niveau de l'Etat, la nécessité de soutenir, dans un contexte de concurrence mondiale, la compétitivité de nos entreprises par un système coordonné de recueil de l'information d'intérêt économique vient d'être reconnue et sanctionnée par la création de structures appropriées.

L'explosion de l'information et le défi que représente son traitement ne caractérisent-ils pas aussi les systèmes et les stratégies de défense ?

Notre propos sera de montrer que le renseignement militaire et d'intérêt militaire conserve toute sa spécificité en tant que métier orienté vers le recueil, l'exploitation et la diffusion d'informations utiles pour des décideurs. Toutefois, la mutation du contexte stratégique et la révolution de l'information l'ont amené à s'adapter pour créer les méthodes et les outils propres à la maîtrise des flots d'information ouverte, au service d'une stratégie de défense orientée vers la garantie de la sécurité internationale. Au demeurant, la ressource fondamentale demeure l'individu : en effet, dans une situation d'information pléthorique, il est fait encore davantage appel aux qualités traditionnelles du métier d'analyste ; dans le contexte actuel, doivent même s'ajouter les qualités de culture et de synthèse nécessaires à la compréhension et à la prospective.


 

4-1) De la spécificité du renseignement



 

4-1-2) Données, informations, renseignement



 

4-1-3) Le renseignement comme information finalisée




 

4-1-4) Le renseignement, information validée


Robert Steele, comme Michel Klen, passent cependant à côté de l'autre dimension majeure du renseignement: parce qu'il est une information finalisée, destinée à l'action, le renseignement doit obéir à des critères très rigoureux de fiabilité. Aussi le degré d'incertitude qui s'attache à cette fiabilité doit-il être précisé, car pour être convenablement éclairé celui qui décide doit savoir ce qu'il sait, ce qu'il ignore, et ce qui est incertain, éventuellement pour relancer la recherche du renseignement dans d'autres directions. Cette fiabilité est recherchée par des efforts de recoupement du renseignement, afin de le valider. C'est pourquoi le renseignement obtenu à partir d'une source est traditionnellement assorti d'une indication sur la qualité de cette source, ainsi que d'une appréciation finale sur la valeur, élevée s'il y a confirmation par d'autres sources, faible si l'exactitude de la source ne peut être véritablement appréciée.

Ces définitions, somme toute classiques, éclairent ce qui, dans son concept même, spécifie le renseignement au regard de l'information. Elles ne font cependant que nous introduire à la problématique actuelle du renseignement qui, s'il reste substantiellement le même, n'en est pas moins renouvelé dans ses méthodes, son outillage et son organisation, par une double révolution : celle qui affecte notre environnement géostratégique, d'une part, celle qui affecte l'information elle-même, matière première du renseignement, d'autre part.


 

4-2) Mutation stratégique et révolution de l'information

Ramener la problématique actuelle du renseignement d'intérêt militaire à une affaire d'adaptation à l'âge de l'information serait avoir une vision parcellaire : en réalité, c'est à la faveur du bouleversement du contexte stratégique que la révolution de l'information a pu révéler pleinement son ampleur, en amenant le renseignement à adapter ses modes.


 

4-2-1) La dilatation de notre espace d'intérêt militaire


De fait, le renseignement de la guerre froide avait connu une certaine atrophie ; il disposait de moyens limités pour une menace précise. Les besoins militaires en matière de renseignement se ramenaient à une analyse des forces en présence (dans le cadre du face-à face avec les forces du pacte de Varsovie). Nous nous trouvions en outre en second échelon derrière les forces de l'OTAN. Les interventions extérieures étaient essentiellement africaines, et une présence et connaissance anciennes du terrain nous assuraient en gros le renseignement nécessaire. Ce n'est que pour le renseignement nécessaire à la dissuasion nucléaire que nous recherchions une autonomie nationale absolue.

Depuis 1989, l'espace de notre intérêt militaire potentiel s'est dilaté aux dimensions du monde. Notre stratégie de défense en effet s'est orientée vers la prévention et la gestion de crises dans un environnement international parcouru de zones de fractures, fertiles en foyers d'instabilité : guerre du Golfe, opération somalienne, raid humanitaire du Rwanda, interposition humanitaire en ex-Yougoslavie illustrent assez notre nouvelle posture militaire.

Qu'on ne s'y trompe pas, c'est bien dans ce cadre nouveau que la disponibilité croissante de masses considérables &informations modifie la donne pour le renseignement. Premièrement parce que la géographie de notre attention Militaire est devenue mondiale; deuxièmement parce que prévention et gestion des crises, planification des opérations Extérieures obligent à une connaissance de contexte qui va largement au-delà du renseignement strictement militaire. Troisièmement, parce que les pays qui étaient hier l'objet de notre attention Militaire, essentiellement ceux du pacte de Varsovie, étaient couverts par un manteau de secret qui rendait l'information ouverte d'un faible secours pour le renseignement militaire.



 

4-2-2) Un milieu nouveau - l'information



 

4-3) La maîtrise des flots d'information



4-3-1) Outils


informationnels



 

4-3-2) Organisation interne


 

L'idée à retenir est celle du fonctionnement en réseau. Depuis longtemps à la mode dans le monde de l'entreprise, le concept traduit la nécessité d'assurer la circulation de l'information la plus large possible. Cette exigence s'applique particulièrement au monde du renseignement militaire, dont le champ d'investigation, comme on l'a vu, est devenu extrêmement large, comme les sources d'information nombreuses. L'horizontalité du réseau n'entre pas en contradiction avec le principe hiérarchique, non plus qu'avec les règles de la sécurité, à condition d'avoir soigneusement réglementé les conditions d'accès en fonction de l'habilitation. Elle rend possible le partage nécessaire de l'information et sa rapidité de circulation.



 


4-3-3) Organisation externe : vers une sous-traitance pour le traitement de l'information ouverte


La croissance exponentielle des masses d'information ouvertes pourrait bien conduire à envisager de manière plus systématique qu'aujourd'hui la sous traitance à des services privés par les organismes de renseignement.

On peut penser que le balayage systématique de certaines sources, ou plutôt de certains vecteurs d'information, comme Internet ou les grands serveurs américains de banques de données (Nexis, Dialog, notamment), devrait être sous-traité à de petites structures privées ou semi-privées, en lien de confiance avec les services. Cela existe déjà d'ailleurs pour un certain nombre de firmes qui font appel à des agences spécialisées de recherche sur les grandes banques de données ; cela existe avec les divers bulletins thématiques de l'Aérospatiale, fruits d'une recherche systématique sur les banques de données américaines, et qui peuvent aisément être utilisées tels quels par les spécialistes des services. Avec Internet, on peut parier qu'il y a un grand avenir à la sous-traitance documentaire, et que l'immensité de l'univers Internet va susciter la naissance de raiders mercenaires spécialisés dans la traque de l'information. Cela aussi c'est la guerre de l'information.

Le traitement de l'information ouverte pourrait alors reposer sur une sorte de dispositif en étoile. Au centre, le pôle de renseignement, dont les fonctions s'orienteraient essentiellement vers l'analyse et la synthèse. Pour l'information sur les événements bruts, ce pôle s'alimenterait, comme c'est déjà le cas actuellement, par abonnement aux grandes agences de presse. Un deuxième cercle serait constitué par des agences privées de filtrage systématique des informations pertinentes sur Internet, les grands serveurs de banques de données, etc…, sur des thèmes d'intérêt spécifiques définis par le pôle de renseignement : la plus grande difficulté serait sans doute de s'assurer que ces agences respectent bien des règles strictes de confidentialité. Un troisième cercle correspondrait à des spécialistes du monde civil, consultés ponctuellement sur des points précis : industriels (d'ores et déjà ils sont souvent consultés pour expertise, par exemple sur les capacités prêtées à certains matériels militaires étrangers), universitaires, jugés compétents sur telle zone potentielle de crise d'intérêt militaire, journalistes...


 

4-4) Renseignement, intelligence, prospective

La prépondérance des sources Ouvertes dans l'information traitée par le renseignement militaire renouvelle t-elle le travail des analystes ?



 


4-4-1) Maîtriser l'information : les qualités traditionnelles de l'analyste davantage mises à l'épreuve


En l'occurrence, de quelles sources va-t-il s'agir ? On trouve tout d'abord la floraison d'articles parus dans la presse spécialisée, dont le suivi systématique quotidien requiert l'attention d'une équipe bien organisée. Sur les affaires spatiales, on peut citer, pour donner un idée de l'ampleur de la tâche, les journaux et revues Aviation Week & Space Technology, Air & Cosmos, Space Policy, Fligbt International, Space Space News, Space Fligbl, Nouvelle Revue Aéronautique et Astronautique, Military Space, Satellite News, Satellite Times, Aerospace journal, Aviation et Cosmonautique, Air Fleet Herald, Revue Aérospatiale, Aerospace America, jane's Defense Weekly, Signal, etc.

De surcroît, il n'est pas inutile de se procurer la documentation officielle en provenance des agences spatiales des pays que l'on souhaite suivre, et qui peut contenir les informations intéressantes. Les salons aéronautiques et astronautiques, les salons d'armement sont toujours des endroits intéressants à visiter, et grâce auxquels la presse ouverte peut agrémenter ses textes de photographies exploitables. Enfin, pour clore une liste non exhaustive, il faut signaler Internet : telle firme britannique, par exemple, y tient tribune, et offre une chronique régulière sur les projets de mini satellites et de microsatellites, y compris militaires, chronique assortie de fiches techniques relativement précises.

Le travail de l'analyste consiste alors, non pas à compiler les informations successivement extraites de cette masse, mais au contraire à les traiter avec les méthodes de recoupement avec d'autres sources, de vérification, d'estimation, qui sont celles du renseignement. Non seulement la profusion actuelle des informations, qui contraste avec la rareté du passé, ne dispense pas des règles professionnelles draconiennes traditionnellement appliquées, mais elle en rend l'application plus indispensable encore. L'information ouverte est, au demeurant, facilement moutonnière. Si telle information apparaît plusieurs fois dans des sources différentes, cela n'est pas nécessairement une garantie de véracité : elle a pu surgir une seule fois sous forme originale, puis être reproduite à l'identique et sans esprit d'examen par divers rédacteurs moins soucieux de rigueur que les hommes du renseignement.

Notons, enfin, que le travail sur les informations ne s'arrête pas à leur comparaison, même conduite de manière très méthodique : à partir de certaines indications fragmentaires, l'analyste peut être amené à faire les calculs mathématiques qui lui donneront certains paramètres techniques fondamentaux soigneusement cachés par la puissance détentrice du satellite. De la même manière, la comparaison entre de nombreuses photographies, même floues, issues de la presse, peut donner des indications précieuses sur la nature des instruments embarqués et contribuer à l'exercice, qui confine à l'art, de la restitution technique.


 

4-4-2) La compréhension : Le renseignement comme victoire sur l'information


De fait, cette patience critique apparente -du point de vue des méthodes d'investigation le travail de l'analyste de renseignement à celui de l'historien.

La mutation géostratégique oblige désormais à une compréhension des situations pouvant déboucher sur des crises d'intérêt militaire par la prise en compte de facteurs bien plus nombreux que l'état et la nature des forces en présence. La situation nouvelle a conduit à définir la nécessité du renseignement d'intérêt militaire : au-delà du renseignement strictement militaire, il inclut toutes les données de contexte indispensables pour apprécier une situation militaire. Il concerne les domaines suivants :




  • l'environnement géopolitique et économique qui tient compte des contextes historique, politique et humain ;



  • la stratégie générale, les doctrines d'emploi, les forces, leur organisation et leur mise sur pied, la politique d'armement et des équipements militaires



  • la capacité logistique générale ainsi que les capacités de conversion industrielle.

Ainsi, pour reprendre l'exemple évoqué ci-dessus, il ne suffit pas d'avoir identifié les principales caractéristiques techniques d'un satellite militaire étranger pour avoir rempli sa mission de renseignement. Il importe également d'avoir bien saisi la signification stratégique de l'engin d'observation spatial, ce qui n'est possible que par une compréhension du contexte régional, d'éventuelles nécessités domestiques en matière de télédétection, etc. Le diagnostic sur l'intention politique est tout aussi important que la connaissance des capacités militaires, puisque seul le produit de l'intention et des capacités est à proprement parler une menace.

L'analyse des facteurs potentiels de perturbation peut aller, en réalité, au delà de la simple prévision. Si la prévision désigne les conjectures que l'on peut faire sur l'avenir à partir d'une extrapolation des tendances connues, notamment par l'intermédiaire de certaines statistiques, alors c'est davantage de prospective que le renseignement a besoin. La prospective n'annonce pas d'avenir prévisible. Bien plutôt, elle s'efforce de mettre en lumière les divers scénarios possibles, en identifiant les indicateurs d'alerte qui permettront de se rendre compte de la route empruntée par l'avenir. Cela est vrai aussi bien d'une prospective de, court terme appliquée à des crises régionales, que d'une prospective plus ambitieuse à long terme appliquée à l'analyse des conditions de résurgence d'une menace majeure.

Une telle approche relève d'une démarche spécifique qui réclame parfois le développement de méthodologies adaptées. Dans le cadre du renseignement militaire, elle fait l'objet d'une activité de plus en plus spécialisée indispensable à la planification globale des actions de recherche et d'exploitation.

Le défi de l'adaptation à l'explosion de l'information ouverte ne se pose pas seulement au renseignement militaire français ; on peut toutefois dire que celui-ci a montré autant d'aptitude à y répondre convenablement que les meilleurs de ses partenaires occidentaux, pourtant plus aguerris et mieux dotés en moyens. Précisément, la relative jeunesse du renseignement militaire en France, en tout cas sous la forme actuelle d'une organisation centralisée, la relative modestie de ses moyens, l'incitent, autant que possible, à prendre les chemins de traverse, exploiter les gisements de productivité insoupçonnés que certaines techniques nouvelles permettent de découvrir, pour répondre à l'ampleur démesurée de la tâche.

Les techniques nouvelles, qu'il s'agisse de traitement de grandes masses de données ou de méthodes de prospective, ne sont cependant pas tout: c'est par la ressource humaine que le renseignement peut relever les défis d'une stratégie de vigilance mondiale à l'âge de l'information. Ces défis appellent un approfondissement des exigences traditionnelles du métier d'analyste, qui se voit aussi renouvelé dans l'ampleur de sa visée. Mais la devise de toujours du renseignement demeure : la information, au bon moment, pour la bonne personne.