La culture stratégique américaine

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1) Qu'est ce qu'une culture stratégique ?
2) Idéologie américaine et politique étrangère
2-1) Expérience historique
2-2) Une vision paradoxale du monde
3) Traits distinctifs de la culture stratégique américaine
3-1) L'anéantissement de l'ennemi
3-2) L'offensive opérationnelle
3-3) L'attrition
3-4) Quantification, gestion technologiques
3-5) Absence de pensée stratégique
4) Conclusions



Qu'est ce qu'une culture stratégique ?

Le concept de culture stratégique est apparu aux Etats-Unis à la fin des années 70 dans un souçi d'échapper à un ethnocentrisme américain politique et stratégique.

Plusieurs chercheurs souhaitaient élargir leur champ de recherche à l'histoire stratégique, au rapport entre culture et guerre, à la psychologie sociale et aux études géopolitiques régionales. Par conséquent, la culture stratégique est l'ensemble des pratiques traditionnelles et des habitudes de pensée qui, dans une société géographiquement définie, gouvernent l'organisation et l'emploi de la force militaire au service d'objectifs politiques.



La culture stratégique compte six facteurs déterminants:

 - l'assise géopolitique

 - les relations internationales: qui sont les alliés? les ennemis? comment fonctionne le système international?

 - l'idéologie et la culture politique

 - l'histoire militaire

 - les relations entre civils et militaires

 - l'armement et la technologie militaire


Une culture stratégique résulte des opportunités, des ressources et de la façon dont celles-ci ont été gérées, ainsi que des leçons qu'une société choisit de retenir de son histoire. On peut d'ailleurs constater que les sociétés sont, dans une large mesure, prisonnières de ce passé.



IDEOLOGIE AMERICAINE ET POLITIQUE ETRANGERE


   Expériences historiques

Au XVIIème siècle, les colonies britanniques se sont implantées dans la violence et l'insécurité, et ont, de suite, connu les horreurs de la guerre de pacification contre les Indiens. L'absence de force militaire spécialisée imposait aux citoyens, en cas de guerre, la soumission à un service militaire obligatoire qui désorganisait la société, c'est ce qu'on a appelé les milices.

Les colons devaient faire une guerre de représailles contre les violences commises par l'ennemi. C'était une lutte pour la survie de la civilisation contre la sauvagerie, de Dieu contre Satan, massacre contre massacre.

Après la défaite des Indiens, il y eut la guerre entre la France et l'Angleterre, mais chaque camp utilisant des auxilliaires indiens, ces formes de combat se perpétuèrent. A chaque fois, c'est l'existence même de la société américaine qui est en jeu, dans un processus défaites et invasions, rétablissement, victoire finale.

Les Américains ont un optimisme extraordinaire quant à leurs capacités à recourir à la force armée s'il le faut. La victoire est due à la Nation en armes.

Les militaires professionnels sont donc inutiles. Néammoins, en mars 1802, le président Jefferson, pourtant fervent soutien du système de milices dans le cadre d'une société agraire isolationniste et uniquement soucieuse de sa défense, achévera le programme de ses adversaires fédéralistes partisans d'une société urbaine cosmopolite liée à l'Europe Atlantique, prête à des guerres offensives et à protéger son commerce, en signant le décret créeant l'Académie Militaire de West Point.

Au XIXème siècle, les Etats-Unis font successivement la guerre aux Indiens, aux Mexicains et aux Espagnols. Les atrocités sont d'abord le fait de l'ennemi et viennent justifier les guerres horribles causées par le comportement dégéneré de l'ennemi. Chaque conflit marque une importante extension du territoire américain. Ce n'est pas un but de guerre mais une juste rétribution de la vertu américaine.

Les adversaires furent toujours plus faibles, d'où un certain optimisme vis-à-vis de leurs capacités militaires. Ce sentiment ne fut pas modifié par la guerre de Sécession, conflit le plus sanglant des Etats-Unis. Nordistes et Sudistes partirent en joie à la guerre conduits par des officiers qui sortaient de la même école

Les deux guerres mondiales souligneront toujours plus l'attachement viscéral des Américains à la Paix, retardant une intervention qui, alors s'opére massivement sur tous les fronts.




    Un vision paradoxale du monde:

Les dirigeants politiques américains sont intimement convaincus que tous les peuples aspirent sincérement à la Paix et à l'ordre international garanti dans un cadre institutionnel.

L'idée d'une sécurité collective est une idée typiquement américaine, de même que l'indispensable préservation de l'ordre international. Ce légalisme rejette les pratiques diplomatiques secrètes de la tradition européenne. L'utopisme est une caractéristique majeure de la vision américaine des relations internationales.

Par leur puissance économique et sociale fondée sur la Démocratie, les Etats-Unis ont, depuis le début du XXème siècle, tenu pour évident que l'American way of life était le but à atteindre pour tous les peuples. Ce sentiment d'élection est renforcé par le Christianisme et son sens de la mission qui a justifié l'expansionnisme de la fin du XIXème siècle dans le Pacifique et les Caraibes, ce qu'on a appelé le Manifest Destiny.

De même, en 1917, il fallut sauver la Démocratie en Europe par la création de la Société Des Nations, ou de nouveau, après la Seconde Guerre Mondiale, avec l'ONU et le Plan Marshall.

Après la Guerre du Golfe, la mission était de créer un nouvel ordre mondial.

Cette démarche est sensible au moralisme, car celui qui crée une loi s'indigne de sa transgression et affirme sa supériorité sur le mal.

Militairement, cela se traduit par la volonté d'obtenir par la guerre totale une reddition sans condition du criminel qui n'a pas respecté la mise hors-la-loi de la guerre depuis le pacte Briand-Kellog en 1928.

En terme nucléaire, c'est l'équivalent de la stratégie anti-cité.

Le paradoxe veut qu'une noble cause justifie la violence et la diabolisation de l'ennemi auprès de l'opinion publique. Les sacrifices doivent être dignes d'une Démocratie. Il n'y a pas de guerre limitée, toutes les valeurs privées accepteront d'être subordonnées à la victoire de la Nation qui a su défendre son honneur.

Pour un Américain, la guerre ne saurait être la continuation de la politique par d'autres moyens. La guerre est une aberration gérée par des militaires auxquels on a accordé, jusqu'à très récemment, que peu d'importance. Par sentiment révolutionnaire, les Américains ont une véritable aversion pour les militaires et l'organisation d'une armée permanente. Ils préferent être mal préparés et croire que les milices seront suffisantes pour défendre le pays. Il faudra la guerre de Sécession et les deux guerres mondiales pour que la conscription en temps de paix soit acceptée. Ce n'est qu'en 1948 qu'elle sera adoptée pour deux ans puis renouvelé chaque année jusqu'en 1972.

Cette vision est résumée dans le concept de doctrine de la guerre juste. La force ne peut être gouvernée que par des principes légaux et moraux universellement valides. Une guerre juste ne peut être qu'une guerre défensive.

Deux conséquences:

     # La guerre, instrument d'une politique nationale, est fondamentalement injuste car elle rompt la paix (la paix étant comprise comme état de justice). Les seuls interêts légitimes sont ceux invoqués par la communauté internationale dans une guerre défensive collective.

    # On a recours à la force que pour un objectif absolu de vengeance.

Depuis 1945, les décideurs américains essayent de faire preuve d'un plus grand pragmatisme, encouragé par les travaux réalistes de Hans Morgenthau et de George Kennan: les Etats sont animés par la volonté de puissance et sont en rivalité permanente. Morgenthau s'insurge contre le refus américain de développer une politique visant à l'équilibre des forces au profit d'une utopique politique mondiale (Carter en est l'exemple contemporain le plus typique).

Morgenthau note quatre égarements:

 - Une pensée complétement dépassée par la nouvelle réalité sociale.

 - Des interprétations démonologiques de la réalité sans aucune nuance entre les bons et les mauvais.

 - Le refus de voir les vrais menaces et le refuge dans un verbalisme illusoire.

 - La confiance aveugle dans la maléabilité sans limite de la réalité.


L'école réaliste défend cinq convictions:

 - Il n'y a pas d'absolu en politique internationale.

 - Le rejet des idéologies politiques.

 - le retour de l'équilibre des forces.

 - La méfiance envers la conviction américaine de marche vers le progrés.

 - Une compréhension du monde basé sur l'Histoire.

 

Cette tension entre le réalisme et l'idéologie résume l'histoire de la politique étrangère américaine.



TRAITS DISTINCTIFS DE LA CULTURE STRATEGIQUE AMERICAINE


    L'anéantissement de l'ennemi

Les stratéges américains ont toujours cherché à approcher directement l'ennemi. Une fois défini le centre de gravité de celui-ci, on l'attaque directement et massivement sans aucune subtilité. La prospérité économique américaine et des buts de guerre absolus confortent cette stratégie d'anéantissement . Une stratégie indirecte est ressentie comme étant une guerre du pauvre.

Cette stratégie de force brute se prolonge nucléairement avec la doctrine de représailles massives. Bien sûr, la fin du monopole nucléaire a remis en cause la crédibilité de cette doctrine et a poussé certains stratéges à elaborer une théorie de guerre limitée. Mais l'armée, considérée dans son ensemble, s'est montrée incapable de procéder aux ajustements nécessaires. Ce fut le cas lors de la guerre du Vietnam, conflit qui soulève d'ailleurs un paradoxe:

Il est normal que l'armée américaine ait perdu puisqu'il y a eu refus de comprendre le type de conflit qui était mené par l'armée nord-vietnamienne. Pourtant, cette défaite peut paraitre inexplicable si on se réfere au passé militaire américain et aux différentes guérillas qui la composent.

Le souçi de détruire l'ennemi a exclu chez les militaires américains toutes considérations politiques. Les civils ont alors pris le pas sur les militaires pour éviter tout nouveau risque de dérapage comme celui du général MacArthur qui voulait atomiser la Chine, car pour lui, il n'existait pas de substitut à la victoire.




     L'offensive opérationnelle

Les stratéges américains ont toujours accordé peu d'importance au probléme de défense tactique. On peut citer l'exemple dramatique de l'attentat contre les Marines à Beyrouth, le 23 octobre 1983, qui a fait 241 morts. Les troupes américaines se sont crues en terrain conquis et jugeaient absolument impensable toute tentative d'agression contre leur QG. Aucune défense minimale (chicane, sac de sable...) n'avait été prévue. L'officier des renseignements ne s'était pas inquieté des positions respectives des différentes milices libanaises installées au bord de l'immeuble.

Cette préférence pour l'offensive se retrouve sur le theâtre européen avec la doctrine FOFA (Follow- Forces Attack), permettent l'interception en profondeur des 2èmes et 3èmes échelons des blindés soviétiques. Curieusement, rien n'est prévu quant à la défense en profondeur contre le 1er échelon d'attaques massives du Pacte de Varsovie!

La doctrine maritime, quant à elle, veut projeter la puissance américaine partout dans le monde. Cette préférence doctrinale trouve son origine dans l'influence de trois stratéges: Jomini, Mahan, Douhet.

Entre l'avénement du premier Spoutnik et le lancement du programme IDS, les Etats-Unis sont revenus sur la confiance absolue qu'ils avaient dans la sécurité de leur territoire, même si une défense civile de la population américaine est irréalisable, le territoire américain étant a priori impossible à envahir ou à frapper directement, à moins d'utiliser des missiles des missiles balistiques intercontinentaux. C'est ainsi que le manuel de doctrine américain, appellé le FM-105 et le concept d'AIRLAND BATTLE mettent davantage l'accent sur la manoeuvre. Le FM-105, dont la dernière version date de 1993, énonce la doctrine de projection de puissance, élaborée par Caspar WEINBERGER, alors secrétaire d'Etat à la défense.

Les remaniements de ce manuel répondent au débat lancé après la défaite des Etats-Unis au Vietnam: il s'est avéré indispensable de prendre en compte les enjeux politiques et diplomatiques, d'exercer un retour aux forces opérationnelles, d'accorder moins d'importance à la technologie...

La Guerre du Golfe a été une parfaite application de la doctrine Airland battle et a montré l'obsolescence de la pensée stratégique soviétique.

 



     L'attrition

La destruction de l'ennemi s'obtient par une concentration massive des forces et par l'accumulation de succés tactiques remportés au cours d'une progression prudente sur un large front. Pour les Américains, le probléme est d'arriver à rassembler des ressources supérieures à celle de l'adversaire pour le détruire uniquement par la puissance de feu et le matériel. Il n'y a aucune manoeuvre, aucune observation de l'ennemi, même de sa manière de faire la guerre.

La démarche relationnelle de la manoeuvre, qui est possible même face à un ennemi globalement supérieur, nécéssite une plus grande activité intellectuelle et une meilleure collecte et exploitation des renseignements que l'attrition.

Le général Ulysse Grant, est à l'origine de cette préférence. il avait constaté que la bataille napoléonienne, brillante par la manoeuvre, ne pouvait néammoins emporter la décision, les pertes étant trop importantes avec les armes à canons rayés. Il est maitenant plus important de préserver la vie des soldats.

Autre exemple, la dissension existant entre Eisenhower et Patton: le premier était un partisan de l'attrition, c'est-à-dire que l'armée devait avancer lentement en s'assurant d'avoir systématiquement cassé tout potentiel ennemi. Patton, lui, préparait des percées très rapides qui contournaient l'ennemi afin d'avancer le plus vite possible. On peut dire que Patton ressentait beaucoup plus les implications politiques de la guerre.Il voulait absolument atteindre Berlin avant les Soviétiques, alors que Eisenhower voulait qu'il attende les troupes du général Bradley afin de mener une avancée de front.

Malgré tout, le phénomène d'attrition a été jugé insuffisant, par exemple en cas d'attaque soviétique.


L'étude de la dissuasion au détriment de la stratégie opérationnelle

La destruction mutuelle assurée laissa le processus d'arms control usurper le rôle de la stratégie. Les stratégistes nucléaires civils ont complétement ignoré la stratégie opérationnelle et travaillaient essentiellement sur trois questions:

- quels est le meilleur moyen de dissuasion pour faire la guerre? (et comment la dissuasion pourrait-elle être restaurée s'il y a une guerre?).

- comment gérér une guerre de telle façon qu'une puissance militaire restreinte suffise à atteindre des buts politiqus limités?

- comment un processus de contrôle des armements peut-il contribuer à la stabilité stratégique?


 

 

Les Etats-unis ont une stratégie de menace mais pas de stratégie d'emploi.

 



    Quantification, gestion technologiques

Robert MacNamara est à l'origine de la main mise bureaucratique ( des civils, des économistes, des ingénieurs, des gestionnaires) sur l'armée américaine. D'où un conflit permanent entre l'utilisation optimale des ressources d'une part, et les racines des conflits, les subtilités diplomatiques ou les problémes des combattants d'autre part.

De manière typiquement américaine, toute question a une réponse formulée à partir de calculs et de prévisions chiffrées. Tout dépend de la politique budgétaire et des hautes technologies.

L'Académie militaire de West Point en est un exemple puisqu'à l'origine, c'est une émanation du corps des ingénieurs. Jefferson n'aimait pas les militaires professionnels mais il était chaud partisan du progrès scientifique. Dans son esprit, les diplomés de lAcadémie pourraient contribuer au développement intérieur du pays.

Cette démarche fut aussi visible durant la Seconde Guerre Mondiale où les soldats allemands étaient supérieurs au combat que les soldats américains. En effet, les offociers américains apprenaient à gérér leur unité selon l'approvisionnement en matériel. Les Allemands étudiaient presque exclusivement comment prendre en main une situation réelle de combat.

Cela annoncait également la défaite du Vietnam où ce sont les fonctionnaires qui ont pris en main la gestion du conflit avec les résultats que l'on sait.

Les Américains considérent que dans une optique strictement budgétaire et technologique, l'arme nucléaire est l'arme idéale.

 



     Absence de pensée stratégique

Aucun organe d'Etat n'a été conçu pour définir une stratégie précise. Seuls les organismes privés (Think-tanks) comme la Rand Corporation s'y consacrent. Il n'y a pas d'etat-major au sens allemand du terme. Chaque découverte technologiques remet tout en cause.

Néammoins, l'action du général Powell durant la Guerre du Golfe laisse espérer la constitution d'un véritable Etat-major clausewitzien.

 


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Tout d'abord, on constate que face à chaque problème stratégique, qu'il soit doctrinal ou opérationnel, les Américains sont toujours confrontés à deux voies contradictoires (bien et mal, attrition et manoeuvre...) que l'on peut symboliser par la traditionnelle rivalité entre Jomini et Clausewitz.

Ensuite, face au nouveau type de conflit qui tend à se généraliser et qui implique des minorités différentes au sein d'un même Etat contesté, les Etats-Unis se trouvent là encore face à deux options pour préparer leurs interventions militaires: Soit tout miser sur la suprématie technologique, refuser d'avoir des morts américains et recommencer les erreurs de l'intervention en Somalie, soit utiliser la diversité culturelle de sa population afin de

mieux appréhender les différences entre la vision américaine et la vision d'autres Etats. Février 1995


 



 

BIBLIOGRAPHIE