Il faut sauver le soldat Gemplus

Le sort de GEMPLUS, leader mondial de la carte à puces, est scellé dit-on dans les milieux bien informés. L’entreprise française est en train de passer aux mains des Américains du fonds TPG, soutenus par leurs alliés allemands de la famille Quandt.
L’affaire Gemplus est plus qu’une histoire d’entreprise qui tourne mal, c’est une part essentielle de la richesse future de la France qui vient de nous être dérobée sous nos yeux. Comment en est-on arrivé à ce triste bilan d’incapacité à faire front devant la menace ?
L’enjeu stratégique passé à la trappe
Gemplus n’est pas une entreprise comme les autres, elle a inventé une technologie de pointe, la carte à puces dont les applications ont une importance vitale dans plusieurs secteurs-clés de l’industrie : le paiement électronique (la carte bancaire), les télécommunications (les cartes SIM);et l’industrie de la sécurité (cryptologie). Ces trois domaines sont au cœur du fonctionnement de l‘économie planétaire. A ce titre, les Etats-Unis d’Amérique les considèrent comme un élément essentiel de leur puissance. Alors une question, une seule, pourquoi une telle évidence n’a-t-elle pas été prise en compte en France ?
Dans son numéro du 5 novembre 2002, le quotidien Le Monde cite les services d’Etat, dont le Ministère de l’Economie et des Finances, qui ont suivi l’affaire. Une phrase conclut l’article intitulé Les services secrets américains cherchent-ils à mettre la main sur la carte à puces ?:
« Tous, sans voir la main de CIA et de la NSA derrière TPG, estiment dommage qu’une technologie française stratégique puisse être « délocalisée » mais disent ne pouvoir intervenir dans le cadre d’une société privé ».
Cet aveu est gravissime. On pourrait presque dire, à l’image de la madeleine de Proust, qu’il a presqu’un parfum de Vel d’Hiv. Ce sont des fontionnaires français qui laissent partir, sans bouger le petit doigt, un atout majeur de l’intérêt de puissance français. Dans cette affaire, les services de renseignement français ont fait leur devoir mais personne ne leur a demandé de contrer cette attaque En revanche, combien de fois faudra-t-il rappeler à certains hauts fonctionnaires français que l’intérêt collectif est au-dessus de l’intérêt privé et qu’à ce titre les contribuables français les paient pour défendre leur patrimoine, et non pour se contenter de regarder passer les trains de la soi-disante libre concurrence. Combien de voyages organisés aux Etats-Unis seront-ils nécessaires pour que ces mêmes hauts fonctionnaires regardent en face le modèle américain où prévaut une règle et une seule : une entreprise est américaine lorsqu’elle sert les intérêts des Etats-Unis. Peu importe le faux débat sur la nationalité des entreprises ou la composition transnationale des actionnariats.
Aux lendemains de la seconde guerre mondiale, des Français plus courageux ont su doter la France d’industries et d’entreprises vitales pour le développement de notre pays, sans s’arrêter à ce pseudo argument de l’entreprise privée. Quand il a fallu bâtir le Commissariat à l’Energie Atomique, des patriotes l’ont doté d’un statut spécial qui le mettait à l’abri des incohérences administratives. A l’époque, la France était à genoux, laminée par la guerre et les divisions politiques de la guerre froide. Les Américains et les Soviétiques, par PCF interposé, ont tout fait pour empêcher la France de se doter de l’arme nucléaire. Quand il a fallu rattraper 60 années de retard dans la compétition pétrolière, d’autres patriotes, parfois les mêmes comme l’ancien des services secrets de la France Libre Pierre Guillaumat, ont créé une entreprise de taille critique Elf Aquitaine capable de rivaliser avec les compagnies concurrentes. La situation actuelle est-elle plus chaotique pour justifier une absence de réponse patriotique à l’affaire Gemplus ?
Insistons sur cet évènement historique ignoré ou omis par certains hauts fonctionnaires français : lorsque l’administration américaine a constaté à la fin des années 70 que les entreprises privées américaines délocalisaient à tout va vers le Japon et l’Asie leur production des microprocesseurs, le Pentagone n’a pas passé cet enjeu stratégique à la trappe. Il a réuni les PDG des principales sociétés de microprocesseurs américains et leur a ordonné de faire machine arrrière en leur précisant que leur politique de délocalisation mettait en danger les technologies critiques des forces armées. Les PDG des entreprises privées américaines et leurs actionnaires ont obéi. En quoi la France échappe-t-elle à cette règle ? La panoplie technologique de la petite entreprise Gemplus fait partie de ces nouveaux précarrés de puissance.
A titre d’exemple, Gemplus a lancé une véritable arme antipiratage : le concept Sumo (Secure Unlimited Memory Oncard). Il s’agit d’une carte dotée d’une mémoire maximale de 224 Mo (contre classiquement 32 ou 64 Ko) permettant de télécharger et stocker de façon sécurisée des fichiers multimédias. Ceux-ci, cryptés à l’aide d’algorithmes seraient ensuite décryptés à la volée par la carte qui aurait une vitesse de transmission de 20 mégabits par seconde. Un des usages de cette carte serait de stocker des fichiers sensibles pour les transférer en toute sécurité d’un ordinateur de bureau à un portable. On imagine bien sûr aisément qu’une telle technologie puisse gêner la recherche de suprématie des Etats-Unis dans le domaine archi-stratégique du contrôle des communications. Nous sommes bien dans le sujet.


Les reponsables de l’abandon du précarré stratégique Gemplus
Les responsables de THOMSON qui ont laissé partir en 1988 six ingénieurs avec le procédé de fabrication des cartes sont à l’origine du premier faux pas .
Le deuxième responsable est l’ancien PDG de Gemplus, Marc Lassus qui n’a pas su avoir de grandeur et dépasser son égo de cadre dynamique. Son départ pour Londres est à l’image du personnage fantasque décrit par les médias.
L’ancien gouvernement porte une responsabilité particulière dans la mesure où c’est en février 2000 que le fonds de pension américain entre dans le capital de Gemplus. Le gouvernement Jospin a commis une faute particulièrement grave en ne sachant pas trouver une parade à cette intrusion américaine qui menaçait un intérêt supérieur de la nation. Dans d’autres dossiers, une main invisble a eu plus de doigté. Pour ceux qui ont la mémoire courte, rappelons que l’incendie criminel du Crédit Lyonnais n’a toujours pas été élucidé.
Dominique Vignon, « grand commis » de l’Etat, a t-il simplement été parachuté Président du Conseil d’Administration de Gemplus en compensation de son éviction de Framatome ou bien a-t-il été effectivement missionné pour calmer le jeu et recruter un nouveau PDG après le départ de l’américain Antonio Perez ? Dans les deux cas, le bilan est affligeant. Un fleuron de l’industrie française mérite un stratège et non ce haut responsable du nucléaire dont la capacité d’analyse est toute entière résumée dans cette phrase : « Tchernobyl n’est pas un accident nucléaire, c’est un accident soviétique. » Aujourd’hui, il explique que tout ce qui tourne autour de l’idée d’une manœuvre de pillage ou de déstabilisation est du domaine de l’affabulation ou de la paranoïa. De la même manière que le nuage de Tchernobyl s’était arrêté à la frontière française, les actifs technologiques de Gemplus (brevets mais surtout capacités en recherche-développement) ne peuvent donc traverser l’Atlantique… Vraiment, quelle perspicacité. Mais surtout apprécions le bilan : arriver dans une société minée par un management à l’américaine et recruter un administrateur d’In-Q-Tel, la société de capital-risque de la CIA, là, chapeau bas.

Les syndicats de Gemplus ont aussi une responsabilité dans cette affaire. En Allemagne, lorsque Krupp a tenté une OPA hostile contre Thyssen, les syndicats des deux entreprises ont organisé ensemble une manifestation de plusieurs dizaines de milliers de personnes en dénonçant cette opération comme contraire à l’intérêt collectif des Allemands. Les syndicats français n’ont aucun sens de l’intérêt collectif au sens patriotique du terme. Ils ne veulent pas s’impliquer dans un combat où les patrons seraient les seuls concernés ? Cette position est suicidaire et relève du non-sens. Il existe pourtant quelques exemples où le patriotisme d’entreprise a servi la cause des travailleurs. Citons le rôle du Comité d’entreprise de la Société générale pilotant la contre-attaque contre l’OPA hostile de la BNP) ou le patriotisme tout court.
Rappelons cet épisode symbolique de l’expression du patriotisme danois. A la fin des années 60, la société américaine UNILEVER a tenté de s'emparer de la totalité du marché en voulant casser la dynamique commerciale du groupe alimentaire danois ALFA. Pour atteindre leurs objectifs, les représentants d'UNILEVER déclenchèrent contre leur adversaire une véritable bataille commerciale en usant de tous les moyens. Citons à titre d’exemples l’achat de tous les supports publicitaires disponibles sur le marché local afin d'empêcher toute campagne d'envergure de la firme danoise, ainsi que la négociation d'accords financiers secrets avec les réseaux de détaillants et de grossistes pour bloquer la distribution des produits d'ALFA. La virulence de cette offensive provoqua une réaction patriotique des Danois qui aboutit à l'échec de la campagne d'UNILEVER.

Le sursaut possible
Est-il encore possible de sauver GEMPLUS des griffes de l’oncle Sam ?
Il existe un maillon faible dans cette affaire, c’est la famille Quandt qui est actionnaire de Gemplus à hauteur de 18% du capital. Cette puissante et très secrète dynastie industrielle allemande pèse aujoud’hui 18,4 milliards euros. Quandt possède BMW, et le nouveau poids lourd de la pharmacie européenne Altana. Ce groupe entretient des liens étroits avec les Américains par le biais de la fondation Herbert Quandt Stiftung.(Postfach 40 02 40, 80702 Münschen, Hanauer Strasse 46, 807888 Münschen tel : 00 49 89 38 21 16 30, fax 00 49 89 38 21 16 36).
La dynastie Quandt a fait parler d’elle en choisissant de soutenir Adolf Hitler à son arrivée au pouvoir en 1933. L’épouse du fondateur de la dynastie, Gunther Quandt, le quittera pour épouser le chef de la propagande du Troisième Reich Joseph Goebbels. De son côté, Gunther Quandt fera trois ans de prison pour son passé nazi.
Pourquoi la famille Quandt est-elle le maillon faible ? Pour une simple raison, c’est que le capitalisme allemand doit choisir son camp : soit construire l’Europe et renforcer les liens sur la préservation de ses technologies-clés du continent ou manger à tous les rateliers. Ce choix n’est pas insignifiant, il est un des points de passage obligés de la vérification du fonctionnement du couple franco-allemand dans les profondeurs de l’alliance. Si à la prochaine assemblée d’actionnaires de Gemplus, la dynastie Quandt contribue à faire basculer le capital technologique de l’entreprise française aux mains des Américains, il s’agit ni plus ni moins d’un acte de trahison contre les fondements de l’Europe industrielle de demain.

L’équipe d’infoguerre