A l’occasion de l’ouverture du marché de l’électricité, la fameuse ONG s’est lancée dans une campagne pour le moins étonnante. Elle n’a jamais caché son hostilité envers EDF, qui produit la plupart de son électricité grâce au nucléaire, et est prête à tout pour l’empêcher de lancer l’EPR, son nouveau type de centrale. Elle vient de le prouver en s’engageant dans une campagne qui navigue aux frontières de l’absurde. En effet, Greenpeace propose tout bonnement de profiter de la libéralisation des marchés de l’énergie pour se dégager de l’opérateur historique, coupable à ses yeux de produire une électricité sale, au profit d’autres fournisseurs qui seraient plus « écologiquement corrects », ne produisant que de l’électricité verte. Elle a comme à son habitude relayé le message sur son site français, et a également ouvert pour l’occasion un autre site spécialement dédié à cette question et qui offre aux entreprises (et bientôt aux particuliers) tous les détails pratiques pour aller se fournir chez un opérateur écologique. Greenpeace a d’ailleurs donné l’exemple dès le 1er juillet en devenant client de GEG (Gaz Electricité de Grenoble), qui se targue de fournir à l’ONG une offre 100% verte.
Greenpeace est bien entendu libre de profiter de la mise en concurrence du secteur, personne ne saurait le lui reprocher. Pourtant, il existe au moins trois détails qui choquent dans cette campagne menée tambour battant, et qui semble plus proche d’une campagne anti-EDF que d’une campagne antinucléaire.
Le choix des opérateurs
Sur le site www.edfdemainjarrete.org, sans doute par souci d’égalité ou pour éviter les accusations de favoritisme, Greenpeace offre une liste presque complète des nouveaux entrants avec un panorama de leurs « offres vertes ». Or, dans cette liste, aucun opérateur ne peut prétendre fournir l’ensemble de son électricité par des moyens écologiques, à commencer par Suez qui, de l’aveu même de l’ONG, ne serait même pas opposé à une participation au développement de l’EPR en partenariat avec EDF. L’électricité étant un bien non stockable et les méthodes de production écologiques étant bien insuffisamment développées pour répondre à la demande, aucun de ces opérateurs ne saurait en effet garantir le fait de ne jamais acheter de Kilowatts produits par le nucléaire pour satisfaire une hausse soudaine de la consommation. Dès lors, pourquoi blâmer EDF, et non l’ensemble de ces opérateurs (à commencer par Poweo, courtier qui ne fait qu’acheter et revendre de l’électron…) ?
Le principe de non-réversibilité
Ce principe, inscrit dans la directive européenne de libéralisation des marchés, s’impose à toute entreprise qui a quitté son opérateur historique et son tarif régulé par les pouvoirs publics pour devenir cliente de nouveaux entrants et payer un prix fixé uniquement par le marché. Il empêche l’entreprise qui le souhaite de revenir au tarif régulé et à ses anciennes relations avec son opérateur historique si elle se révèle être mécontente des nouvelles prestations et des prix qu’elle doit supporter. Barrière à la sortie impossible à franchir, ce principe doit faire l’objet d’une réflexion longue et posée de la part des entreprises souhaitant passer le cap (elles doivent notamment s’interroger sur la pertinence de l’offre de la concurrence d’EDF, sur sa consommation et sa dépendance aux fluctuations des prix ou encore sur sa marge de manœuvre pour négocier les prix…). Or, il s’avère que ce principe est très mal expliqué sur le site de Greenpeace, voire presque dissimulé. Contrairement à ce qu’il affirme, ce site n’est donc pas vraiment un guide pratique, dans la mesure où il décrit très mal à ses destinataires un des principes les importants et contraignants de l’ouverture des marchés de l’énergie. Cette dissimulation pourrait s’expliquer par la volonté de Greenpeace de faire le plus de mal possible à sa bête noire, mais elle se fait au détriment des petites entreprises qui n’ont pas forcément connaissance des règles et qui pourraient en payer le prix fort en cas de décision prise à la hâte pour des motifs de Développement Durable ou d’idéologie.
Greenpeace pousse à la consommation
Mais la contradiction majeure de l’ONG se trouve sûrement dans la posture même de soutien qu’elle adopte face à la libéralisation. On s’attendrait à ce qu’une ONG oeuvrant pour la défense de l’environnement place la question de la maîtrise de la consommation énergétique au sein de ses préoccupations. Or, la libéralisation d’un marché n’est par définition que peu propice à une restriction de l’accroissement de l’offre et de la demande du produit concerné. Les exemples qui ont précédé l’électricité sont nombreux (trafic aérien, telecom…). Dans ce cas, soutenir la libéralisation revient donc à accepter ne serait-ce que par principe une consommation d’énergie accrûe due à la multiplication des opérateurs et des offres promotionnelles de réduction tarifaire. Cette hausse de la consommation ne pourra en aucun cas être compensée par une augmentation de la production d’énergie renouvelable (bien souvent déjà incapable de faire l’appoint en cas de situation de surconsommation, obligeant EDF à acheter de l’électricité à l’étranger). Greenpeace ne devrait pas oublier que le Kw le moins polluant, ce n’est pas celui qui vient des barrages ou des éoliennes, mais bien celui qu’on ne consomme pas. La libéralisation ne semble pas être le contexte idéal pour favoriser une baisse, ni même une maîtrise de la consommation d’énergie, et Greenpeace commet une grave erreur en plaçant avant la question de la maîtrise (qui passe par une refondation profonde de nos relations avec l’énergie et de nos habitudes de consommateurs) celle de la production, qui est importante, mais qui ne résoudra pas à elle seule l’épineuse question de la surconsommation énergétique.
Alors de deux choses l’une : soit Greenpeace est de bonne foi dans sa démarche, et dans ce cas l’aveuglement provenant de sa haine envers EDF l’empêche d’exercer une observation rationnelle et scientifique des faits dont elle sait parfois faire preuve, ou alors cette manœuvre est clairement et cyniquement lancée pour le « plaisir de se payer EDF », ce qui mettrait gravement en cause la probité et la crédibilité de cette ONG. Ce n’est pas à nous de pencher pour l’une ou l’autre de ces hypothèses, mais ce qui est sûr, c’est qu’en soutenant la libéralisation et en mésinformant sur l’ensemble des règles qui la concernent, l’ONG ne fait que participer à l’accroissement de la consommation énergétique qui met gravement en danger la planète, et elle n’en sort pas grandie. Les citoyens, que l’ONG prétend représenter et défendre, sont donc en droit de lui demander des comptes à ce sujet.
NC