Tragédie rwandaise et guerre de l’information asymétrique

La revue de grand reportage XXI est le titre de presse qui aura sans conteste mérité de retenir l’attention de l’observateur attentif de la vie des médias. Tandis que la presse écrite souffre d’une grave crise de confiance à laquelle s’ajoutent d’abyssales difficultés financières, XXI a su trouver son public, désireux de lire des dossiers fouillés et rompant avec la plate « neutralité » des guillemets qui ont fini de coloniser toute la presse, après s’être aménagé une base arrière dans le journal vespéral de référence qu’est Le Monde.

Mais qui est donc l’initiateur de ce beau projet ? Qui est Patrick de Saint-Exupéry ?
Lauréat du prestigieux prix Albert Londres en 1991, depuis membre de son jury, Patrick de Saint-Exupéry a signé dans de nombreux titres de la presse parisienne. Il jouit d’un congé sans solde du Figaro qu’il a mis à profit pour lancer avec son éditeur Laurent Beccaria la revue XXI dont il est le directeur éditorial. Il veut y privilégier le narrative writing, « un journalisme qui sait avant tout raconter des histoires », et le récit graphique – des reportages sous forme de bandes dessinées - « une narration stricte sur une histoire vraie (…) mais la réalité est arrangée (…) »

Patrick de Saint-Exupéry a acquis sa notoriété après la publication de son livre sur la tragédie rwandaise, L’Inavouable - La France au Rwanda. Son livre fit émerger la question du génocide des Tutsi dix ans après les faits et provoqua la mise sur pied d’une commission d’enquête citoyenne, qui déboucha sur des dépôts de plaintes contre six militaires français pour complicité de génocide.
Sa thèse est que le Rwanda a servi de laboratoire à une camarilla politico-militaire pour expérimenter ses doctrines de la guerre révolutionnaire développées par l’armée et les services secrets à partir des guerres de décolonisation. Patrick de Saint-Exupéry va jusqu’à dire que la France a été l’instigatrice du génocide, en endoctrinant et en armant les Hutus.

Il prétend qu’ « une sorte de « légion présidentielle » hors hiérarchie (…) affranchi(e) de tout contrôle démocratique, a mené une « guerre secrète » au Rwanda, en relation avec les services secrets et les commandos de gendarmerie (GIGN et EPIGN) ». D’après Patrick de Saint-Exupéry, « ce sont les « blessures d’Empire » françaises qui ont trouvé au Rwanda de quoi se cicatriser. » Il s’agit selon lui d’un pronunciamiento d’un genre nouveau, silencieux en quelque sorte, afin de « créer (…) au nez et à la barbe de nos institutions et de notre Parlement, une structure appelée à être le bras armé de notre désir d’empire, de ce souverain désir de puissance. Une légion aux ordres de l’Elysée ». Le projet aurait séduit un chef d’État fasciné par la théorie des complots, François Mitterrand : « l'armée française, appuyée par le président Mitterrand et une section de la droite politique, aurait utilisé le pays des Mille Collines comme un «laboratoire» pour «tester» sa théorie de la guerre révolutionnaire, élaborée en Indochine et «mise en oeuvre en Algérie» ». « À ce vieux rêve, il sera donné un nom.(…) : il sera baptisé Commandement des opération spéciales. Le COS est un état-major interarmées placé sous l’autorité directe du chef d’état-major des armées, lui-même placé sous l’autorité directe du président de la République, chef des armées aux termes de la Constitution (…). Le COS est une structure politico-militaire. » Saint-Exupéry n’avance aucune preuve pour appuyer sa fantasmagorie, il développe ni plus ni moins qu’une théorie du complot visant explicitement le comitatus, le cœur de notre appareil militaire, prospérant sur l’antimilitarisme coutumier qui traverse bien des secteurs de la société française principalement en raison de leur méconnaissance de l’armée, de son fonctionnement et de ses buts. Est-ce sa passion de « raconter des histoires » qui a conduit Saint-Exupéry à concevoir de telles inepties ? Son goût pour la BD ? La difficulté de porter un nom aussi lourd de sens et de devoirs ?
Patrick de Saint-Exupéry ne peut être un naïf qu’abuseraient ses amis de Kigali…
Ne se fit-il pas le godillot du tyran rwandais Paul Kagamé lorsqu’il l’interrogeait complaisamment dans les colonnes du Figaro pour lui permettre d’exprimer son « mécontentement » à l’égard de Paris ?

Jean-Pierre Chrétien, Raphaël Glucksmann, Raphaël Hazan et Pierre Mezerette, auteurs du documentaire « Tuez-les tous ! », l’association Human Rights Watch, mais aussi Christian Terras, animateur du réseau de chrétiens d’extrême gauche Golias ou encore Bernard Kouchner, ami de Paul Kagamé et l’inénarrable Bernard-Henri Lévy.

Pierre Péan est connu comme un militant tiers-mondiste et ne peut être suspecté de nostalgie colonialiste, lui qui fut l’auteur d’une virulente biographie de Jacques Foccart et d’Affaires africaines, mais afin de faire taire ses légitimes questions, les relais français du nouveau pouvoir à Kigali ne reculèrent devant rien, l’accusant de racisme, de révisionnisme et de négationnisme, alors même qu’il avait été un des parrains de SOS Racisme.

La tragédie rwandaise est l’objet d’une guerre de l’information asymétrique : Kagamé et ses relais mènent des attaques sans réplique.

Comme Péan l’a fort bien compris « le mot « génocide » bloque tout le monde, par crainte d'être traité de « révisionniste » ou de « négationniste » ». Les agents d’influence de Kigali usèrent de terrorisme intellectuel intentionnellement pour faire avancer leur agenda et imposer la fable d’un conflit manichéen, avec d’un côté de gentils Tutsi voulant libérer le Rwanda et victimes du génocide, de l’autre des Hutus racistes manipulés et armés par les sinistres militaires nostalgiques de l’Empire d’une France toujours coupable.

La France et son armée sont l’objet d’un procès d’intention instruit pour «complicité de génocide » tant par le pouvoir Tutsi que par ses porte-serviettes : la théorie préfabriquée d’une planification de génocide par le régime d’Habyarimana en collaboration avec la France avait pour but de faire écran aux cruautés qui suivraient la prise de pouvoir du FPR. Il est choquant de voir les Français mis en accusation alors qu’ils ont été les seuls à venir arrêter les massacres de Tutsis et cette réalité est impossible à falsifier : Saint-Exupéry n’écrivait-il pas lui-même le 12 juillet 1994 dans le Figaro : «En mettant sur pied l’opération Turquoise, l’armée française a agi au mieux.» ? Comment expliquer son revirement sinon par une réécriture rétrospective des évènements pour les faire coller à la théorie du complot français et du génocide prémédité par le Hutu Power, thèse centrale de Kagamé, destinée à couvrir ses propres turpitudes ?

L’amiral Lanxade, alors chef d’État-major des Armées, rappelle que la « mission a scrupuleusement respecté les consignes d’impartialité de la mission de l’ONU. À l’époque, tous les observateurs sur le terrain ont salué l’intervention française. Maintenant, si l’enquête révèle des fautes de certains militaires, ils seront sanctionnés. Mais cela n’a rien à voir avec ce dont on accuse l’armée, d’avoir prêté main forte aux forces génocidaires. »

La politique française d’engagement au Rwanda durant les années 1990 peut faire l’objet de contestations et de critiques mais elle n’avait rien de criminel. Le procès instruit à l’encontre de l'armée française est fondé sur un cas de non-assistance à des Tutsis en danger, à Bisesero. Mais contrairement aux affirmations de Patrick de Saint-Exupéry, l'État-major n'en avait pas été saisi. La France est mise en accusation alors même qu’elle fut le seul pays à tenter quelque chose. Pourquoi les belles âmes sont-elles silencieuses sur l’inaction américaine ? Contrairement à ce qui a été avancé, la politique de François Mitterrand n'a pas consisté à soutenir le régime d’Habyarimana mais à essayer de réconcilier les communautés hutues et tutsies. D’ailleurs si la politique française était si détestable, « quelle était la politique de rechange (…) qu'il convenait de mener ? Quel pays l¹a préconisé ? Qui s'est proposé d'en assumer la responsabilité ? » demande Pierre Péan.

Les dirigeants français n'ont toujours pas pris la mesure de l'ampleur de la guerre de désinformation menée contre la France.

Les Tutsis de Kagamé, alors réfugiés en Ouganda, ont mené une guerre moderne comme le fit naguère le vietminh, en lançant en parallèle une vaste offensive conventionnelle et une guerre informationnelle audacieuse. Ils menèrent une lutte à la fois politique et militaire, comprenant très tôt l'importance de l'opinion publique internationale. Profitant de la méconnaissance des occidentaux du Rwanda et grâce à leurs relais et à la diaspora tutsie, ils imposèrent leur scénario, où ils avaient le beau rôle, combattant pour une démocratie fondée sur l'entente entre les ethnies, contre un régime despotique, corrompu et violant les Droits de l’Homme.

Approfondissant la théorie d’une guerre secrète menée au Rwanda par des tenants de la doctrine Trinquier, lovés au cœur de l’appareil politico-militaire, Périès et Servenay ont commis un livre intitulé Une guerre noire dont la thèse est que la doctrine française de la « guerre révolutionnaire » serait la cause secrète et centrale de la tragédie rwandaise. Il nous semble pourtant que si quelqu’un peut raisonnablement être accusé d’avoir appliqué les enseignements de la guerre subversive, c’est bien Paul Kagamé. Il semble que certains milieux dirigeants américains aient choisi de parrainer une guerre subversive contre la France menée par Paul Kagamé qui a été instruit à Fort Bragg en Caroline du Nord, où les forces armées américaines formèrent les cadres sud-américains de l’opération Condor en y dispensant des cours sur Mao, les guerres d’Indochine et d’Algérie.

Chacun sait que Kagamé est un pion américain dans la région des Grands lacs, riche en uranium. Ne s’est-il pas joint à la « coalition of the willing » pour donner un peu de chair à la famélique coalition américaine en Iraq ?

Usant de son talent de désinformateur, Kagamé a fait mettre au nombre des Tutsis victime du génocide des milliers de Hutus qu’il a fait massacrer et a réussi à faire le silence autour des exactions perpétrées par les soldats tutsis, tant au Rwanda qu'au Congo voisin.

Saint-Exupery , quant à lui, voit en Paul Kagamé un libérateur dont les objectifs étaient « simples » : « il avait pour but de rendre leur patrie à des Rwandais exilés et de créer au Rwanda un État où chaque citoyen se trouve chez lui quelles que soient ses autres identités ( « ethnique », clanique, religieuse, régionale, etc..) ». Un héros, en somme, qui a libéré le peuple de l'oppression. Pas un mot sur son règne de terreur qui depuis 1994 écrase son peuple sous le joug de sa dictature. Jamais un commentaire sur les conflits Hutu-Hutu ou Tutsi-Tutsi qui mettrait à mal la fable manichéenne qui fait que les livres droitdelhomistes se vendent si bien.

Pas un mot non plus sur le drame des Hutus au Burundi depuis plus de quarante ans de dictature tutsie.

Saint-Exupéry est le complice d’une machine de guerre informationnelle pilotée par Paul Kagamé qui a pris la France pour cible, au service des intérêts américains dans la région des Grands lacs. Piétinant des milliers de victimes hutus et tutsis pour asseoir son pouvoir tyrannique, Kigali a su faire un habile usage de l’émotion pour « terroriser » les sceptiques et aveugler les imbéciles, maintenant diffusée par quatre ou cinq films de fiction produits outre-atlantique et accréditant la thèse dominante (« Shooting dogs », « Un dimanche à Kigali », « Hotel Rwanda », « Sometimes in April »…)

On ne s’étonne guère de voir un tel confrère soutenir les propagandistes Talibans, Éric de Lavarène et Véronique de Viguerie suite à leur odieux reportage photo dans la vallée d’Uzbin…


Monsieur de Saint-Exupéry est passionné de bande dessinée, peut-être pourrait-il se donner tout entier à cette passion, ça lui évitera d’« arranger la réalité » et de « raconter des histoires ».

Sébastien de Kererro