Le principe de précaution est remis en cause par les faits



Le principe de précaution n’est pas l’avancée sociétale à laquelle on s’attendait. Il pose aujourd’hui de sérieux problèmes dans la mesure où des décisions de retrait de produit sont prises sans que le risque soit avéré. Ce fut le cas pour le médicament Actifed qui fut retiré du marché à la suite de la conjonction d’évènements indépendants (problèmes sur des patients aux Etats-Unis qui n’avaient pas lu les contrindications mentionnées en cas de suivi de traitements multiples, période creuse de la presse française durant l’été, reprise des informations américaines sous un angle sensationnel, et décision de retrait par le ministre de la santé du gouvernement Jospin). Les socialistes avaient déjà été échaudés par la crise du sang contaminé et les esprits étaient encore marqués par la célèbre citation d’une ministre socialiste qui avait botté en touche en disant « Responsable mais pas coupable » à propos des échantillons de sang contaminé qui n’avaient pas été retirés à temps pour les transfusions sanguines dans les hôpitaux. Beaucoup de magistrats se demandent encore aujourd’hui comment Jacques Chirac, Président de la République, a pu commettre l’erreur de faire inscrire ce principe dans la constitution française.



La généalogie historique du principe de précaution n’est pas une chose évidente à étudier. En effet, il est difficile de s’accorder sur l’auteur, la date et les circonstances d’apparition du principe. En fonction du pays et du domaine d’apparition, il existe quelques variantes sur la définition même de ce principe. On note l’apparition du principe dans la législation allemande sous le terme de “Vorsorgeprinzip” qui est un principe fondamental en termes d’environnement dans le droit allemand. Néanmoins, certains auteurs considèrent que le législateur américain a introduit le principe de précaution de façon informelle dans la plupart des lois des années 1970. (BOY L. la nature juridique du principe de précaution). Aux États-Unis, le principe de précaution n’est pas inscrit au niveau fédéral mais apparaît sporadiquement dans quelques états/collectivités locales. Nous pouvons ainsi citer l’état de New-York et la ville de Berkeley qui par des ordonnances ont mis en application le principe de précaution (“precautionnary principe”) dans les domaines que sont l’environnement et la santé de l’Homme.

La conception américaine du principe de précaution diverge de la conception européenne. En effet, le principe de précaution repose sur la comparaison entre les avantages et les inconvénients d’une situation donnée. Cette dernière est suspectée d’être dangereuse avec des effets dits “irréversibles” où le doute est roi. Cette approche des choses n’est pas intégrée à la mentalité américaine où seules des étapes chiffrées et clairement rationnelles prouvant la dangerosité de la situation compte. Si aucune de ces données n’est présente, le produit et/ ou la situation ne sont pas jugés dangereux et le principe de précaution n’a pas lieu d’être mentionné. En Europe, c’est la démarche inverse qui est adoptée, si aucune donnée n’est amenée allant dans un sens qu’il soit en faveur ou en défaveur de la situation considérée, le principe de précaution s’applique. Il s’agit donc aux États-Unis de rationaliser et de chiffrer un principe qui dans son fondement n’est pas ni chiffrable ni rationalisable d’où l’absence de volonté politique au niveau fédéral d’inscrire un tel principe dans la constitution.

En France, le principe de précaution a pris une dimension particulière à la suite de la création de la Charte de l’Environnement sous l’égide du président de la République Jacques Chirac et de Nicolas Hulot. Les politiques expliquent qu’ils ont été contraints à un tel excès de prudence en raison de l’expression des besoins ultra sécuritaires de l’opinion. C’est ce qui s’est passé dans le cas de la grippe A. le gouvernement ne pouvait pas prendre le risque de manquer de vaccin. On ne le lui aurait pas pardonné. Il a donc commandé les vaccins dès le début de l’été 2009 pour être assuré d’en avoir assez. Les pays où l’opinion était moins inquiète (UK – D) ont adopté une politique plus circonspecte et ont tenu compte de la bénignité des grippes en Amérique du Sud pendant l’hiver austral (mais ceci n’a été établi qu’en septembre). En France, l’inquiétude a empêché cette approche pragmatique. De plus, les erreurs dans les prévisions et l’excès de « précaution » ont provoqué des doutes dans l’opinion. Ce décalage a désorienté le public et la tendance à la précaution à partir de septembre 2001 s’est focalisé sur les risques de la vaccination. Le catastrophisme ambiant l’a conduit à faire craindre une mutation du virus et une épidémie grave. Alors que, dès la fin septembre, au vu de l’absence d’épidémie en Amérique du Sud on aurait pu être moins alarmiste, la communication qui avait été conçue dans un esprit catastrophiste n’a pas été capable de s’adapter au renversement de situation qui est intervenu par la suite.

Cette tendance à la précaution a un coût : au moins 50 millions d’euros versés en dédit des commandes de vaccins annulées, mais le coût réel est vraisemblablement nettement supérieur car il ne représente qu’une petite partie de ce que cet excès de précaution coûte à l’Etat. La tendance à la précaution a changé la mentalité collective. En médecine, par exemple, on a donné plus de poids dans la recherche pharmacologique et l’étude de nouvelles techniques, à la prévention de risques putatifs qu’à la recherche d’efficacité et d’économies. Il semble que les habituels critiques du principe, qui ne se sont guère manifestés pendant la période d’incertitude autour de H1N1, aient saisi la faible virulence de la grippe et le désordre occasionné par la campagne de vaccination, pour relancer une offensive – et il y a fort à parier qu’ils seraient restés cois si la grippe avait tué massivement.

Mais à y regarder de plus près, c’est seulement début janvier 2010 que la polémique sur le principe de précaution est véritablement lancée, notamment à travers un colloque à l’Académie de médecine et un entretien accordé par François Ewald sous le titre " Le principe de précaution oblige à exagérer la menace " (Le Monde, 9 janvier 2010). Dans son application, le principe de précaution implique donc une procédure longue, contradictoire et publique. Encore faut-il que les expertises qu’il engendre soient fiables et crédibles pour les populations comme pour les décideurs ce qui exige pour le moins qu’elles ne soient pas entachées de conflits d’intérêts. Les doutes relayés récemment par Wolfang Wodarg, président de la commission santé du Conseil de l’Europe, portent à s’interroger sur la gestion centralisée de la vaccination, qui a posé de sérieux problèmes logistiques – ce qui risque fort de laisser des traces dans l’opinion sur la crédibilité du système. François Ewald critique la volonté qu’auraient les politiques de ne pas prendre le risque d’une confrontation avec l’opinion publique, favorisant ainsi une « hyperdémocratie des individus ».