Monsanto: quel pouvoir a-t-il dans le secteur de la sécurité agricole ?

Monsanto, colosse américain du secteur des biotechnologies, dont le but officiel louable est de nourrir la population mondiale et de permettre la sécurité agricole dans tous les pays, est devenu incontournable dans de nombreuses régions du monde. Il peine cependant encore un peu à asseoir sa suprématie en Europe.

A l’origine producteur de produits chimiques (industrie pharmaceutique et industrie chimique lourde), dont les célèbres PCB et agents oranges, il est devenu leader mondial sur le marché des semences transgéniques.

Bien que les OGM ne soient pas reconnus comme sans risques, ils permettent d’améliorer la productivité agricole. Certains plants génétiquement modifiés (PGM) résistent aux pesticides et herbicides (72% des PGM) comme le Roundup, et permettent aux agriculteurs d’utiliser allègrement ces derniers sans détruire leur culture. D’autres PGM incorporent au sein même de leurs gènes des systèmes de résistances aux insectes (20%), d’autres encore ont un système de croissance exponentielle et nécessitent une moindre utilisation des ressources naturelles (eau, vitamines, environ 8% des PGM).
Les effets des OGM sur l’environnement ou sur la santé sont mal connus et provoquent des levées de boucliers, au nom le plus souvent du principe de précaution. Monsanto va alors mettre en œuvre une stratégie de conquête légendaire.

Monsanto et son contrôle pour rendre les OGM acceptables 

Le premier outil de sa stratégie de puissance consiste à multiplier les campagnes d’information sur l’utilité des OGM comme moyen de mettre fin à l’insécurité alimentaire dans le monde, mais aussi… de sauver la planète du réchauffement climatique. Grâce à ses PGM, la production des biocarburants est exponentielle, ainsi l’entreprise mise-t-elle sur les plants de maïs produisant plus d’éthanol et en profite pour défendre ses vertus technologiques. Par ailleurs, les plantes OGM, grâce à la diminution du labourage pourraient réduire les quantités de carbone relâché provenant du sol.
Comme outil d’influence, Monsanto n’hésite pas non plus à diffuser des publicités mensongères sur ses pesticides, notamment sur le Roundup présenté comme un engrais biodégradable, qui lui a valu deux condamnations (par le tribunal de New York en 1996 et par la France en 2007).

Monsanto a dépensé 1,4 millions d’USD au premier trimestre 2011, pour ses activités de lobbying auprès du gouvernement fédéral américain. Plusieurs moyens sont employés afin de rallier des autorités politiques à sa cause.

En finançant les campagnes présidentielles (Bill Clinton, Obama, Georges Bush), Monsanto s’assure du soutien du premier porte parole des Etats-Unis en la personne du Président.
Monsanto réussit également à créer des alliances auprès des agences gouvernementales : le Ministère de l’agriculture (USDA), l’autorité des produits alimentaires et pharmaceutiques (FDA), l’Agence pour le développement international (USAID). Il s’ensuit l’élimination des programmes de surveillance des pesticides aux Etats-Unis par l’USDA, qui se consacre à l’évaluation des récoltes de produits biologiques suite à des coupes budgétaires. Comment l’entreprise obtient-elle leur adhésion ?

Un système très connu au Etats-Unis, le « revolving doors », ou mouvement des chaises musicales, consiste à alterner différents postes au sein des administrations publiques, puis dans les entreprises du secteur privé. Monsanto recourt constamment à ce type de pratiques (CF Annexe, fin de document).

Les associations caritatives sont aussi un bon moyen de communiquer sur le bien fondé de son entreprise, telle Bill & Melinda Gates Foundation dédiée aux projets philanthropiques, qui détient 500000 actions de Monsanto d’une valeur de 23 millions d’USD. Fervente promotrice des OGM, l’association crée avec la Fondation Rockfeller, l’Agra (Alliance for a Green Revolution in Africa), en charge d’ouvrir le continent africain aux OGM. Désormais, 70 % des bénéficiaires de l’Agra au Kenya travaillent directement avec Monsanto et près de 80 % des financements dans le pays sont dédiés aux biotechnologies. La Fondation Bill & Melinda Gates s’est adjoint les ministres des Finances des Etats-Unis, du Canada, d’Espagne et de Corée du Sud.

Enfin, il arrivera à Monsanto de tenter d’acheter des fonctionnaires afin de pénétrer un pays (en 2005, Monsanto a été condamnée à payer 1,5 millions d’USD d’amende pour avoir corrompu 140 fonctionnaires indonésiens afin de pénétrer ce marché et annuler un décret exigeant l’évaluation des impacts du coton Bt).

Comment a réussi Monsanto à obtenir les certificats ?

Aux Etats-Unis, la FDA laisse aux fabricants de biotechnologies le soin de réaliser les études de toxicologie sur les produits qu’elles veulent commercialiser. Ces études doivent être soumises au comité scientifique de la FDA, qui après relecture, donne son avis sur la sécurité alimentaire des PGM. Ce processus n’est cependant pas obligatoire si l’entreprise considère que son produit est sûr au nom du principe d’équivalence en substance par rapport aux produits conventionnels (sans OGM).

En Europe, c’est l’AESA (Autorité Européenne de sécurité des aliments) qui évalue les risques liés à la chaîne alimentaire, sur la base des études de l’ISLI (International Life Science Institute). Or, l’AESA n’a jamais rendu un avis négatif à la Commission Européenne, qui se charge d’autoriser ou non la mise sur le marché d’une semence GM. Tout d’abord, il est difficile pour les scientifiques d’évaluer les effets objectifs des OGM dès lors qu’au nom du secret sur les données et la propriété intellectuelle, Monsanto refuse de révéler un grand nombre de résultats. Pourtant, la Directive CEE/2001/18 indique que l’évaluation des risques sur la santé et l’environnement pour les OGM doit être publique, les analyses faites par des experts indépendants, et les résultats contrôlés pendant une durée pouvant aller jusqu’à deux ans.

Comment Monsanto réussit-elle alors obtenir les autorisations nécessaires? Il s’avère que les chercheurs de l’ISLI (et parfois de l’AESA) travaillant sur les OGM sont en grandes majorités issus des entreprises agroalimentaires ou des semenciers (cf Annexe).

Breveter le vivant pour lutter contre l'insécurité alimentaire

Pour cultiver des PGM, l’agriculteur a besoin de semences GM, éventuellement de pesticides auxquels le PGM est résistant, d’une autorisation de Monsanto (car les gènes modifiés de ses semences sont brevetés) et de l’autorisation juridique du pays ou de la région de la mise en culture.
Dans les pays où l’on reconnaît la valeur du brevet sur un organisme vivant (l’UE, les Etats-Unis), l’agriculteur devra payer des royalties pour l’utilisation des semences achetées, mais également des semences qu’il aura lui-même fabriquées à partir de sa production. Ainsi, il sera éternellement redevable à Monsanto et dépendant financièrement. S’il décide d’arrêter de produire des PGM, il ne pourra pas, car le sol sera contaminé et sa production continuera à contenir des OGM, et sera donc taxable par Monsanto.
Dans les pays où l’on ne reconnaît pas le brevetage d’organisme vivant, l’agriculteur indépendant n’a pas l’autorisation de Monsanto de cultiver ses semences (c’est par exemple le cas de l’Inde et du Brésil). Monsanto va alors racheter les petites entreprises locales. Les agriculteurs peuvent alors acheter et utiliser les semences de Monsanto, sans payer les royalties (car ils appartiennent à Monsanto), et deviennent eux aussi dépendants financièrement.
L’ADPIC (l’accord sur la propriété intellectuelle qui touche au commerce) stipule que les brevets ne sont applicables que sur le territoire du pays qui le reconnaît. Comment les producteurs qui ne payent pas les royalties peuvent-ils exporter ces plantes GM en Europe par exemple, où il est interdit d’importer des produits brevetés dits « illicites » (car aucune royaltie n’aura été payée) ? La meilleure façon est de passer par Monsanto, qui peut vendre en toute liberté sa production. Ainsi, le commerce vers l’UE ou les Etats-Unis est contrôlé, verrouillé. De tels accords garantissent à Monsanto le contrôle de 82,7% de la production du soja brésilien.
Monsanto aura réussi à acquérir un bio-pouvoir,  « un pouvoir sur la vie, qui lui permet de la gérer, de la majorer, de la multiplier, d’exercer sur elle des contrôles précis » (*) de l’espèce à la population.
(*) Michel Foucault

Delphine Fichaux

ANNEXE : Personnalités adeptes des « revolving doors »

 

Michael Kantor Membre du CA de MonsantoChef de campagne de Bill ClintonSecrétaire d’Etat au commerce
Richard CrowderVice président de DEKLAB (Monsanto)Secrétaire au USDAChef des négociations pour le commerce agricole des Etats-Unis
Donald RumsfeldMembre du comité directeur de Searle Pharmacy (Monsanto)Secrétaire général de la Maison blanche, au cours duquel il permettra l'homologation de technologies nouvelles comme les hormones transgéniques ou les OGM
Michael TaylorAvocat de Monsanto
Vice Président de Monsanto
Responsable de la régulation des biotechnologies à la FDA (Food and Drugs Administration) américaine
Susan SechenAssistante de Pr Dale Bauman, subventionné par Monsanto pour tester l’hormone transgéniqueChercheuse scientifique au FDA
Margaret MillerSalariée de MonsantoDirectrice exécutive au CVM, département du FDA qui analyse les nouvelles substances chimiques données aux animaux
Gilbert OmmenAncien directeur de MonsantoConseiller scientifique du Président Obama 
Islam SiddiquiAncien Président de Croplife (Fédération d’entreprises de biotechnologies dont Monsanto)Chef des négociations pour l’Agriculture au Ministère du Commerce
Suzy Renckens, Harry Kuiper, Diana banati, Milan Kovac, Matthias Horst, Jiri Ruprich, Piet Vanthemsche, Angelo Moretto, ayant tous des responsabilités importantes à l’AESA (Autorité Européenne de Sécurité des Aliments, instance qui évalue les risques alimentaires), travaillent tous, ou ont travaillé avec Monsanto.