La problématique des territoires est-elle un enjeu justifié ?

La Datar fête cette années ses cinquante ans et se voit proposer une mission d'une nature ambitieuse, au-delà de sa probable mue en Commissariat à l’égalité des territoires : l’égalité des territoires. 2013 sera, à en croire les acteurs étatiques, une année de réformes.  Déjà en 2009, la crise des subprimes a eu des effets sur la création de richesses, même si la consommation n’avait pas reculée. Des effets sur l’emploi (97% des pertes sont des métiers tenus par des hommes dans le privé- ouvriers, artisans, agriculteurs). Des effets sur les territoires , les métropoles s’en étant mieux sorties au détriment de certaines régions comme le Limousin, la Picardie, la Franche comte, la Champagne Ardenne…déjà en perte de vitesse, elles risquent fort, demain , de voir le mouvement s’accentuer.

Les fractures territoriales
Financées par le mécanisme de la péréquation, visant à redistribuer pour mieux réduire les écarts de richesse, elles ont plutôt favorisées la progression d’emplois publics. Mais la crise de la dette arrivant, ces mécanismes ayant joués un rôle d’amortisseur vont être la cible des politiques à venir. Le remède d’hier serait un poison demain. Et l’on risque bien d’avoir une forte accentuation de cette géographie de 2008-2009.

L’économie géographique et spatiale, emmenée par le prix Nobel Paul Krugman, nous démontre certes que les territoires sont des marchés et que plus ils sont peuplés, diversifiés, concentrés, plus il y a de productivité. C’est dans les métropoles que l’on observe les mises en valeur des facteurs de production les plus efficaces. La richesse va à la richesse.
Pour l’instant, L’acte III de la réforme de la décentralisation exprime et déconcerte les acteurs locaux notamment par le biais du transfert des compétences aux régions: le risque d'une aggravation « des fractures territoriales » au détriment des « espaces ruraux et périurbains » Pour l'AMF, la prééminence accordée à l'espace urbain ne signifie rien de bon. Et la fracture territoriale, déjà bien réelle, risque de s'aggraver, surtout avec le « transfert obligatoire et automatique de nouvelles compétences » à l'échelon communautaire.

Une vision jacobine contestable de la mobilité territoriale
Laurent Davezies relance le débat sur les territoires dans La crise qui vient: la nouvelle fracture territoriale (Seuil, octobre 2012). Ce professeur titulaire de la chaire « Economie et développement des territoires » au Conservatoire National des Arts et Métiers, n’hésite pas à conseiller aux territoires en stagnation ou déclin économique d’aider leurs jeunes à partir. Sa vision utilitariste fondée sur le bon sens ne tient pas compte d’autres impératifs : l’importance des racines culturelles, de la condition humaine dans des économies locales qui s’écroulent, de la sécurité des gens dans les territoires laissés pour compte. Le cas de la Nouvelle Orléans  touché par l’ouragan Katrina est cet égard un très bon contre exemple. Cette ville en partie détruite, fuie par une partie de sa population et sans grande perspective économique, est un ilot de résistance qui à la mobilité dont nous parle Davezies. La musique ancrée dans l’histoire territoriale de la Louisiane, la continuité indienne, si bien décrite dans la série télévisée Treme de  David Simon et Eric Overmyer, est aux antipodes de ce réflexe utilitariste jacobin. Les jeunes exclus de la Nouvelle Orléans survivent grâce à cette poésie urbaine (plus puissante d’un emploi jeune dans leur définition de l’identité sociale) que la pensée marxienne de Laurent Davezies a bien du mal à intégrer dans son champ de vision.

Les quatre France de Dabezies découlent de sa perception du cadre de vie de l’individu et non du sens culturel lié à un ancrage territorial qui va marque sa vie. Les territoires marchands en difficulté d'abord : la France de Montbéliard, de Roubaix, de Troyes ou d'Oyonnax, peuplée de jeunes, mais dont la tradition productive historique (automobile, textile, plastique…) est aujourd'hui en déclin. Ils risquent de rejoindre la catégorie des territoires « non marchands » en difficulté (Limoges, Béthune, Vitry-le-François…), cette France vieillissante qui a perdu le plus d'emplois depuis vingt ans. Dépendante des prestations sociales, elle souffre. A l’autre extrémité, la France des Métropoles. Une aggravation accrue par le transfert aux régions des fonds européens: la prééminence des métropoles et la question de la captation des fonds. Il y a et aura donc une source de déséquilibres qui est et sera accentuée par le ciblage des fonds européens sur une portion réduite du territoire. Les propositions de la Commission Wahl laissent penser que le milieu urbain va remporter l’essentiel des financements. 5 % des fonds Feder sont dédiés aux villes et 80 % doivent être consacrés aux entreprises, à la recherche et au développement durable. Compte tenu du PIB par habitant sur les espaces métropolitains, le territoire dans son ensemble risque d’être pénalisé au moment de la répartition des fonds. La plus vaste partie de la région, qui se situe en-deçà de la moyenne européenne, risque d’être désavantagée. Et l’utilisation des fonds européens pourrait se retourner contre la ruralité.  La stratégie de L’Etat est pour le moins confuse surtout quand madame la ministre Lebranchu dit fonder sa réforme en voulant « s’appuyer sur le fait urbain ».

La France est un petit pays. Sa force est la diversité de ses territoires, de ses reliefs, de ses populations. Les économistes n’ont jamais été à l’aise pour aborder cette notion de territoire qui dévient « à la mode » tout simplement parce qu’une partie d’entre eux sont menacés par l’effet domino de notre affaiblissement économique sous la pression des contraintes liées à la mondialisation et à la poussée conquérante des nouveaux entrants. Une politique territoriale ne dot pas être jacobine ou girondine, elle doit être d’abord et avant tout un combat pour la survie économique et culturelle afin de conserver à al France une identité qui ne se transforme pas en zones urbaines consuméristes entourée de parcs nationaux et de vide rural. Sans parler de l’exemple italien et de la catastrophe sociétale des régions du Sud  laissées aux mains des structures criminelles.