La confrontation informationnelle de l’entreprise israélienne SodaStream avec Coca Cola

SodaStream est une entreprise israélienne encore peu connue du grand public. De taille intermédiaire avec ses quelques 1500 salariés et 220 millions d’euros de chiffres d’affaires en 2012, elle est pourtant leader mondial d’un marché jusqu’à présent resté confidentiel, celui de la commercialisation de machines permettant de gazéifier l’eau du robinet et de créer soi-même ses boissons pétillantes, eau gazeuse ou soda.
Or depuis 2007, sous l’impulsion de son nouveau CEO, Daniel Birnbaum, SodaStream s’est mis en tête de jouer dans la cour des grands et de défier les géants du soda ; en tapant là où ça fait mal, c’est-à-dire sur le porte-monnaie de la ménagère et la protection de l’environnement.
Et en allant jusqu’à orchestrer, en 2011, une campagne internationale mettant en cage les bouteilles en plastique gaspillées par ses nouveaux concurrents, SodaStream a certes eu le mérite de se faire remarquer mais s’est attiré dans le même temps les foudres de Coca-Cola.
Faut-il alors s’étonner que, quelques jours avant la finale du SuperBowl 2013, évènement sportif planétaire au cours duquel SodaStream a investi 3 millions de dollars pour un spot publicitaire « offensif », cette entreprise fasse l’objet aux Etats-Unis d’une campagne de boycott l’accusant de financer les colonies israéliennes en territoire palestinien, de par ses usines de production situées en Cisjordanie ?

La mutation de SodaSream


Créée en Angleterre en 1903, SodaStream s’est principalement développée au sein du Royaume Uni jusque dans les années 1980, y réalisant l’essentiel de son chiffre d’affaires. Ensuite, sous l’effet de plusieurs rachats (le groupe Cadbury Schweppes en 1985 puis Soda-Club, une entreprise israélienne, en 1998), SodaStream va timidement s’implanter dans quelques pays en Europe (Allemagne, Suisse, Autriche, Pays-Bas), allant même jusqu’à tenter quelques aventures en Afrique du Sud, en Australie et en Corée du Sud au début des années 2000.
Mais c’est à partir de 2007, lors de la prise de contrôle de l’entreprise par Fortissimo Capital, un fonds d’investissement israélien, que SodaStream va se lancer dans une politique de gains de marchés beaucoup plus ambitieuse : nouveau logo et relance dans la plupart des pays européens en 2008, première campagne de publicité « globale » à la télévision en 2009, introduction en bourse à New-York en 2010, mise en place d’un réseau de distribution dans 7000 points de vente aux USA en 2011, partenariat avec Kraft Foods en 2012, …
SodaStream déploie sa stratégie à l’international, en particulier aux Etats-Unis, selon trois axes :

  • proximité du consommateur,
  • protection de l’environnement et innovation,
  •  pratique diététique et économique.

Il faut reconnaitre que le contexte s’y prête plutôt bien puisque les crises économiques et énergétiques frappant l’occident de plein fouet tendent à modifier les modes de vie, et par extension le comportement des consommateurs (engouement pour le « home made », chasse aux gaspillages, lutte contre la pollution, …).  Pour autant, malgré une capitalisation boursière multipliée par 3 en l’espace de deux ans et des ventes Etats-Unis multipliées par 10 en moins de cinq ans, SodaStream ne pèse toujours pas lourd sur le marché des sodas et va se résoudre à adopter une attitude résolument plus offensive.

Coca-Cola pris au piège de la « cage »


En 2011, SodaStream crée artificiellement la « Journée mondiale sans bouteille », instaurée chaque 16 juillet, et pour y faire écho, lance l’opération  « The cage challenge » visant à ouvrir une tribune parmi le grand public sur l’urgence à diminuer significativement la quantité de bouteilles en plastique consommées.
Des cages de plusieurs mètres cubes comprenant 10 657 bouteilles en plastique vides – soit la quantité consommée par une famille américaine en cinq ans – sont disposées dans les endroits stratégiques des grandes villes. Nul besoin de préciser que ces bouteilles sont bien évidemment celles des concurrents, accusés implicitement de pollueurs.

forbes.com

Outre l’impact visuel – la cage choque de par l’important volume représenté par les bouteilles –, la campagne permet d’associer, d’impliquer le consommateur.

Jusqu’à l’encourager à « liker » la page Facebook dédiée à l’opération. Une application associée permet même d’adresser un message à Coca-Cola dans une bouteille virtuelle. Et à chaque message envoyé, SodaStream s’engage à expédier, au siège du groupe à Atlanta, une bouteille trouvée dans une décharge afin de placer le géant des sodas face à ses responsabilités.
Coca-Cola se sent légitimement attaqué et menace de poursuites judiciaires … avant de faire marche arrière devant le soutien de milliers d’internautes à SodaStream. Le piège se referme et Daniel Birnbaum de renchérir avec emphase : « La pollution engendrée par les bouteilles en plastique est un problème grave qui touche à des enjeux environnementaux importants. Nous continuerons la lutte, personne ne nous fera taire ».A coup sûr, cette campagne de publicité qui ne dit pas son nom aura permis à SodaStream de marquer des points.

La guerre de l'information par la publicité


La marque s’enhardit et envisage courant 2012 le lancement mondial d’un spot publicitaire très agressif, dans lequel on voit littéralement exploser des bouteilles de Coca-Cola et de Pepsi à chaque fois qu’un consommateur utilise une machine SodaStream. Avec en point d’orgue espéré une diffusion le 3 février 2013 pendant le Superbowl, finale du championnat de football américain. Que l’on est en droit d’analyser comme une provocation de plus (de trop ?), tant l’évènement est considéré comme la chasse gardée des grandes marques de soda.

Sur ce « coup », SodaStream mise gros, très gros même, puisque le Superbowl est le programme télévisé dans lequel l’espace publicitaire est le plus cher du monde, soit environ 3 millions de dollars pour une publicité de 30 secondes. Soit près de 15 % du bénéfice annuel de SodaStream. Mais les choses ne vont pas tout à fait se passer comme prévu.  Un premier coup d’arrêt est porté fin 2012 au Royaume Uni, le marché historique de la marque. Clearcast, l’organisation chargée d’approuver les publicités TV, interdit la diffusion du spot SodaStream, le jugeant déloyal envers les fabricants de boissons embouteillées. Sans manquer de rappeler que les géants du soda figurent parmi les plus gros annonceurs TV, SodaStream dénonce une décision sous influence(s) et fait appel, en vain.
Selon la même logique, mais aux Etats-Unis cette fois-ci, Coca-Cola et Pepsi font pression sur la chaine CBS, diffuseur du Superbowl, et obtiennent gain de cause : SodaStream est prié de revoir sa copie et de délivrer une version moins agressive de son spot publicitaire, sous peine là aussi de ne pas être diffusé.  Néanmoins, marketing viral oblige, la version initiale sera évidemment postée sur Youtube et visionnée par près de 5 millions d’internautes.

brandchannel.com

Les origines incertaines du boycott de SodaStram

Comme souvent, quand le rapport de force s’enlise sur le terrain concurrentiel, il se transpose sur d’autres échiquiers. Et le 17 janvier 2013, quelques jours seulement avant le Superbowl, se lance une campagne de boycott visant explicitement les produits de SodaStream, officiellement sous la bannière d’une diffuse « coalition de groupes chrétiens, juifs et musulmans ».
Il s’avère en effet que sur les treize usines de production de SodaStream, trois d’entre elles (dont la plus importante) se trouvent situées en Cisjordanie, au sein de colonies juives jugées illégales au regard des lois internationales, mais financées par les entreprises implantées localement. De là à considérer qu’être client de SodaStream c’est soutenir le développement de ces colonies en Palestine, il n’y a qu’un pas.
Certes, le boycott des sociétés israéliennes investies dans les territoires occupés n’est pas nouveau, notamment au travers de la démarche BDS (Boycott, Désinvestissement et Sanctions) initiée par la société civile palestinienne depuis 2005. Cela concerne des centaines d’entreprises et SodaStream a déjà été attaqué à ce sujet dans d’autres pays. Mais le fait que l’offensive « boycottsodastream.org » soit ciblée et concomitante avec l’exposition médiatique de SodaStream au Superbowl, pose clairement question. Nul doute qu’il s’agisse là d’une manœuvre de déstabilisation en règle, dont les motifs réels ne sont peut-être pas ceux que l’on croit. Toujours est-il que cela tombe à point nommé pour les concurrents de SodaStream.

Relayée par un site internet du même nom, la campagne va très vite faire caisse de résonnance dans les médias nords-américains et auprès du public. Des manifestations ont lieu sur place le jour du Superbowl, et des dizaines de vidéos (publicités parodiques, appels au boycott, …) sont diffusées sur Youtube.
A ce stade, la défense de SodaStream s’est limitée à promouvoir le dialogue et la bonne entente entre les Palestiniens et les Israéliens et expliquer que tous travaillent côte à côte dans l’usine, ont les mêmes salaires et bénéficient des mêmes avantages. En espérant qu’un jour, il y aura la paix entre les deux peuples.
Mais cette stratégie d’apaisement sera-t-elle tenable sur le long terme, dans un pays comme les Etats-Unis, historiquement sensible au conflit israélo-palestinien ? Dans quelle mesure ces opérations d’influence viendront-elles ternir l’image « verte » de SodaStream et freiner son développement économique ?