Une guerre de l’information potentielle sur le clonage chinois

Le « clonage animal est susceptible d’être utilisé, entre autres techniques, pour la sélection et la multiplication d’animaux aux caractéristiques intéressantes (qualité, productivité etc.) et in fine, pour la production de produits alimentaires » (cf. note 1). Certains pays semblent accepter cet usage qui peut cependant heurter la confiance des consommateurs européens. « Sur le principe, le clonage ne peut altérer le bagage héréditaire des animaux ni leur développement, (…) les problèmes rencontrés jusqu’ici (syndrome du gros beau, malformations) pourraient donc n’être que le résultat transitoire d’une technologie immature » (cf.note 2).
Concernant les normes s’appliquant aux OGM et aux clones, nous pouvons constater un écart législatif relativement important entre la Chine et l’Union Européenne : d’une part, la Chine est particulièrement permissive sur le sujet tandis que l’Union Européenne se montre extrêmement prudente sur le sujet avec une législation particulièrement restrictive. Un ingénieur agronome affirme à ce sujet que « ces progrès s’expliquent aussi par des règles plus souples en Chine qu’en Europe. En France, les travaux sur les OGM sont très encadrés. Ce n’est pas le cas en Chine. Bien au contraire » (cf.note 3). Le manque d’encadrement est accentué du fait de la multiplicité des acteurs et des contrôles peu rigoureux.
Selon un diplomate français chargé de suivre cette thématique, « le comité d’éthique de Pékin ne s’embarrasse pas de la pression de l’opinion publique. Les chinois font confiance aux scientifiques et voient la science de façon positive ». De plus, la pensée confucianiste estime qu’ « une personne est considérée comme un être humain  seulement après sa naissance. Pour nous, les embryons et les fœtus, ne sont donc pas des êtres humains, et c’est la raison pour laquelle détruire des embryons humains pour mener des recherches sur les cellules souches ne nous pose pas de problème »

Contexte
La Chine exporte en Europe ses aliments génétiquement modifiés notamment son "super riz". En effet chaque année l'Union européenne arrête des lots de riz génétiquement modifiés à ses frontières. A travers un texte du 22 décembre 2011, paru au Journal officiel de l'Union européenne, la Commission dévoile de nouvelles « mesures d’urgence » pour empêcher l'entrée non autorisée dans l'UE de riz génétiquement modifié dans les produits à base de riz provenant de la Chine. Cette nouvelle croisade fait suite au constat d'échec concernant la présence régulièrement constatée, dans des produits chinois à base de riz entrés dans l'UE, du riz OGM Bt 63, contre lequel une première décision avait été prise en 2008 (2008/289/CE). La nouvelle décision (2011/884/UE) abroge la précédente qui « prévoyait que, avant toute mise sur le marché, les exploitants devaient présenter un rapport d’analyse aux autorités compétentes de l’État membre concerné démontrant que l’expédition de produits à base de riz n’était pas contaminée par le riz génétiquement modifié “Bt 63” », rappelle la Commission. Outre le constat de l'échec du contrôle de ces denrées chinoises contenant du riz Bt 63 aux frontières de l'UE, la Commission signale depuis 2010 l'arrivée de nouvelles variétés de riz OGM non autorisées dans les produits en provenance de la Chine.
Pour ce qui est de la viande clonée aucun cas avéré n'a encore été révélé en Europe, même si on peut s'attendre dans un futur très proche à un déversement d'aliments clonés sur nos étales grâce aux recherches chinoises dans ce domaine. En effet les Chinois produisent déjà du porc cloné en grande quantité pour son marché intérieur mais rien n'indique pour l'instant qu'ils en exportent en Europe. Nous savons en revanche que de la viande clonée provenant des USA ou d'Argentine se trouve déjà dans nos assiettes. Pour le moment le seul aliment cloné provenant de Chine pourrait se retrouver dans les biberons de nos bébés: en effet du lait issu de vaches clonées est vendu sur internet.

Les enjeux sanitaires
Les aliments génétiquement modifiés chinois présentent de nombreux risques sanitaires. En ce qui concerne le riz génétiquement modifié appelé "super riz" par les autorités chinoises, de nombreux risques sanitaires ont été décelés. Yuan Longping, éminent scientifique agricole, a mis en garde la population chinoise contre les éventuels risques sanitaires que pourraient présenter certaines cultures génétiquement modifiées, particulièrement les souches résistantes aux parasites. Pour lui, « ces cultures devraient subir des essais humains sur l'espace d'au moins deux générations » (cf.note 4). Jiang Gaoming, chercheur à l’Institut de botanique de l’académie des sciences de Chine, explique que ce riz est obtenu en insérant un gène insecticide qui permet aux cellules du riz de fabriquer de la toxine Bt (Bacillus thuringiensis). Les insectes sont empoisonnés lorsqu’ils mangent ce riz, aux effets répulsifs. “On peut se demander si, sur le long terme, l’ingestion de ce riz n’aura pas des conséquences néfastes pour l’homme” (cf.note 5), s’interroge Jiang Gaoming. En revanche, pour Huang Dafang, membre du comité de biosécurité affilié au ministère, les cultures génétiquement modifiées n'ont nul besoin de tels essais. Ce dernier affirme : « des tests sur des animaux ont déjà été faits, qui ont montré que ces cultures étaient aussi sûres, tant pour la plantation que pour la consommation, que leurs homologues non génétiquement modifiées » (cf.note 6).
La présence d'OGM a été détectée en France dans des nouilles chinoises Rice sticks, à base de riz Chao Ching, commercialisées par le premier importateur et distributeur de produits asiatiques en France, la société Tang Frères. Selon Greenpeace qui a effectué les tests : « Les cas de contaminations sont légions, mais c'est la première fois qu'une contamination par un OGM concerne un produit qui se retrouve directement dans nos assiettes » (cf.note 7), avait souligné Arnaud Apoteker, responsable de la campagne OGM de Greenpeace France. Selon l'organisation écologiste, la variété transgénique en cause n'a jamais été autorisée à la culture. Ce riz a été modifié par l'introduction dans son ADN d'un gène de la bactérie Bacillus thuringiensis, qui le rend résistant aux insectes ravageurs. Mais il n'a jamais été testé pour ses impacts sur la santé, ce qui le rend "potentiellement allergène". Greenpeace a estimé que la présence de ces OGM pourrait venir d'une contamination lors d'essais en champ de nouvelles variétés de riz transgénique. La Chine a répondu qu'elle n'avait autorisé aucune production commerciale de riz génétiquement modifié. En France, la Direction générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes a indiqué avoir « diligenté une enquête afin de vérifier les informations données et l'origine des produits » (cf. note 8). La commercialisation des produits concernés « est bloquée dans l'attente des résultats d'analyses ».
Concernant les clones, l'agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFFSA) a publié un rapport intitulé Bénéfices et risques liés aux applications du clonage des animaux d'élevage. Ce rapport a été réalisé avec l'aide d'experts en biotechnologies des plus grands instituts français en la matière (Institut Pasteur, INRA...). Il s'est penché sur l'état physiologique des clones bovins et de leurs descendants ainsi que sur la qualité de leur viande et de leur lait.

Concernant l'état physiologique des bovins clonés, le rapport a observé que 40% des clones meurent au cours de leur première année. Ces décès prématurés sont causés par des anomalies génétiques: malformations, maladies, allergénicité...
Les scientifiques ont également observé que ces clones présentant des anomalies génétiques les transmettent à leurs descendants, d'où l'importance d'obtenir un clone "parfait" si on ne veut pas contaminer toute la descendance de bovins.
Concernant la sécurité alimentaire, les scientifiques de l'AFFSA ont réalisé un certain nombre d'expérience sur des souris en leur faisant manger de la viande et du lait issus de bovins normaux et de bovins clonés. Les conclusions de ces expériences sont les suivantes :
« les deux principaux produits animaux, le lait et la viande, ont fait l'objet d'essais de digestibilité, alimentarité, toxicité, allergénicité et mutagénicité. Les résultats de ces essais obtenus sur un nombre limité d'animaux clonés (non destinés à la consommation humaine) ne montrent aucune différence entre les animaux testés et les témoins. Cependant, ce type d'essais devrait être appliqué, pendant quelques temps au moins, pour les clones et surtout pour ceux de leurs descendants qui seront destinés à entrer dans les élevages ».

Les enjeux économiques
L'analyse des bénéfices et des risques que font peser les biotech alimentaires chinoises sur notre économie concerne majoritairement les bovins puisque la production française de riz est minime, alors que la filière nationale d'élevage bovin représente un chiffre d'affaire de 6,6 milliards d'euros soit 10% de la production hors subventions de la "ferme France". Il s'agit donc d'une filière stratégique pour le pays. Or l'effet de la mise en œuvre du clonage pourrait avoir un impact économique significatif et relativement rapide. En effet l'écart de compétitivité entre un bœuf français issu d'un élevage traditionnel et celui d'un bovin chinois cloné est considérable.
Tout d'abord le coût de revient d'un veau cloné pour l'éleveur chinois est moins cher qu'un veau classique pour l'éleveur français. En effet des études prospectives indiquent que la technique de clonage des bovins bien maîtrisée permettrait un supplément de gain d'environ 1000$ par veau par rapport à l'insémination artificielle classique. Ceci devrait devenir progressivement une réalité dans les cinq ans qui viennent et au-delà selon l'AFFSA.
Ensuite le clonage permet l'optimisation du troupeau en copiant uniquement les meilleures bêtes. En effet, la multiplication de reproducteurs à haute valeur génétique accroît les performances laitières des cheptels et assure la présence de reproducteurs performants dans des troupeaux en monte naturelle.
Enfin la modification génétique permet des innovations majeures. Par exemple l'introduction de génome d'humain dans celui de bovins clonés a permis aux Chinois d'obtenir du lait maternel pour bébé à partir de vache. De plus le lait ainsi créé est enrichi en vitamines et renforce le système immunitaire.
Ainsi, si la viande et le lait issus de bovins clonés chinois passaient les frontières de l'Europe, alors les avantages économiques de ce type d’élevage est susceptible de mettre à mal la filière d'élevage traditionnelle.

Les enjeux éthiques
Dans un avis adopté le 16 janvier 2008, le groupe européen d’éthique des sciences et des nouvelles technologies (GEE) estime qu’il ne voit pas d’arguments convainquant pour justifier la production de denrées alimentaires à partir de clones et de leurs descendants. Sur les aspects éthiques du clonage animal pour l’approvisionnement alimentaire, le GEE déclare qu’étant donné le niveau actuel de souffrance et de problèmes de santé des mères porteuses et des animaux clonés, le groupe doute que le clonage d’animaux à des fins alimentaires soit justifié d’un point de vue éthique. Quant à la question de savoir si cette théorie s’applique également aux descendants des animaux clonés, le groupe estime qu’il faut davantage de recherches scientifiques.
Néanmoins, si la viande et d’autres produits alimentaires clonés provenant d’animaux clonés devaient être introduits sur le marché européen, le GEE estime que :
•    La sécurité des produits alimentaires pour la consommation humaine doit être garantie.
•    les lignes directrices pour le bien être animal fournies par l’Organisation mondiale pour la santé animale (OIE) doivent être suivies.
•    la législation européenne sur la traçabilité des animaux et des produits alimentaires qui en sont issus doit être appliquée, notamment la traçabilité des importations et des échanges internationaux.
En outre, le GEE recommande l’élaboration d’enquêtes et d’analyses complémentaires sur le bien-être animal à long terme et les répercussions sur la santé des clones et de leurs descendants. Il a également conseillé de prendre des mesures concrètes afin de préserver le patrimoine génétique des espèces d’animaux d’élevage et d’aborder les questions de la propriété intellectuelle et de l’étiquetage des produits. Enfin, il recommande l’organisation de débats publics sur l’impact du clonage d’animaux d’élevage sur l’agriculture et l’environnement, sur les effets de l’augmentation de la consommation de viande et de l’élevage de bovins sur la société, ainsi que sur la distribution équitable des ressources alimentaires.
Les biotechnologies alimentaires chinoises présentent de réels risques sanitaires pour le consommateur ("super riz"). Leurs exportations massives en Europe représentent une menace pour la filière agricole et d'élevage traditionnelle; par exemple les animaux clonés chinois sont beaucoup plus compétitifs aussi bien au niveau du prix qu'au niveau de leurs attributs hors normes du fait de leur optimisation génétique. Enfin la modification du génome, le clonage, la création de races hybrides, remettent en question un certain nombre de considérations éthiques qui devraient faire l'objet d'un débat au niveau européen. C'est pourquoi il est urgent de prévenir le déversement des biotechnologies chinoises alimentaires chinoises sur nos marchés aussi bien pour sauvegarder le bien-être de nos consommateurs que pour protéger la filière agricole et d'élevage traditionnel.

Notes
1)    « Un clone est le résultat d’une multiplication qui se veut à l’identique d’un être vivant (…) Le clonage artificiel fait appel à des techniques de biologie moléculaire et s’effectue soit par la multiplication d’une cellule ou d’une séquence ADN, soit par la reproduction d’organismes vivants qui conservent à l’identique leur patrimoine génétique ».
2)    Le clonage animal, Note d’analyse n° 225, mai 2011, Centre d’analyse stratégique, www.strategie.gouv.
3)    Stéphane PAMBRUN, Chine : l’empire du biotech sans contrôle, 4 juillet 2011, L’Expansion.com
4)    Le riz génétiquement modifié a encore "un long chemin à parcourir", La France Agricole, 12/04/2010.
5)    WEI Jin, En Chine le riz OGM a du mal à passer, Courrier International, 11/04/10.
6)    Chine: les céréales OGM ont encore un long chemin à parcourir, terresacree.org, 12/03/10.
7)    Du riz OGM jamais autorisé et potentiellement allergène dans nos assiettes, greenpeace.org, 18/01/09.
8)    Marie SIMON, Du riz OGM en France et en Suède, L'Express, 12 septembre 2006.