Les fonds vautours en Afrique

Depuis des décennies, les Etats africains vivent ou plutôt survivent grâce aux prêts accordés soit par d’autres Etats, soit par les organisations internationales (Banque Mondiale, FMI, Club de Paris…). Dans la pratique, ces prêts sont largement accordés contre l’accès aux ressources naturelles (énergétiques, minières…) des pays ou en contrepartie de l’octroi de grands travaux (barrages, routes,…) aux entreprises des pays créanciers. La capacité de remboursement des Etats se base sur une gestion saine des Etats et un accroissement des PNB. Malheureusement, pour un certain nombre de ces Etats, ni l’un ni l’autre ne sont au rendez-vous. Les Etats ne sont plus en mesure d’honorer leurs échéances. C’est alors que les agences de notation dégradent les notes accordées aux Etats. Certains de leurs créanciers préfèrent brader leur créance que d’attendre un hypothétique remboursement même partiel. Selon l’adage bien connu, le malheur des uns fait le bonheur des autres. Des fonds d’investissement voient dans ces Etats surendettés une opportunité et non un risque. Ces fonds d’investissement, aussi baptisés fonds vautours, rachètent à bas prix la dette des Etats africains en difficulté et au premier prétexte légal intentent une action en justice contre ces Etats pour récupérer le nominal de la dette et parfois même des intérêts en complément.
Une première vague de ces fonds vautours a laminé l’Afrique jusqu’en 2008. Le nombre exact d’attaque des fonds vautours contre les Etats africains est difficile à évaluer. Pour ne pas affecter leur image, les Etats préfèrent éviter la médiatisation d’une action en justice et négocient en marge des tribunaux avec les fonds vautours.
Un seul objectif pour ces fonds : réaliser un profit maximal. Ces fonds n’ont pas usurpé leur titre de vautours de la finance en se distinguant par l’usage de pratiques immorales pour récupérer leur mise, bien que ces pratiques soient souvent basées sur le droit et donc parfaitement légales. Ils n’hésitent pas à saisir les biens vitaux des Etats, même les fonds en provenance de l’aide internationale, ainsi qu’à faire préempter les ressources des pays tant qu’ils n’ont été intégralement remboursés. Ils profitent des plans d’abandon et de restructuration des dettes des Etats. Ils font plier les décideurs des Etats corrompus en communiquant sur les dérives de ces derniers, les contraignant à se plier aux desiderata des fonds sans même attendre une décision de justice.

Solidarité et domination

Les Etats africains n’ont pas d’autres choix que de se retourner vers leurs créanciers institutionnels et les organisations internationales. La communauté internationale s’organise pour soutenir les Etats africains victimes de ces fonds.  La Banque Africaine de Développement (BAD) a notamment mis en place en 2010 la Facilité Africaine d’Aide Juridique (FAAJ), une task force juridique pour venir en aide aux Etats dans leur conflit avec les fonds vautours.
La stratégie des Etats créanciers est de renforcer leur domination sur les Etats africains en les contrôlant par la dette. L’objectif est de capter les ressources naturelles des Etats africains et d’obtenir l’octroi des grands travaux publics pour les entreprises des Etats créanciers en contrepartie de l’octroi de crédits nécessaires aux Etats africains.
Les fonds vautours agissent comme des catalyseurs de l’asphyxie des Etats africains. Ils renforcent le rôle de sauveur de l’Afrique et de soutien au développement des Etats créanciers, notamment des Etats-Unis et permettent la mise en place d’institutions, comme la FAAJ conférant aux Etats créanciers un nouvel outil d’influence sur les Etats africains.
Premièrement, les fonds vautours détournent l’attention de la société civile sur le rôle des Etats créanciers. Il ne faut cependant pas tomber dans l’angélisme et minimiser la responsabilité des décideurs de ces Etats sur la situation dans laquelle leurs nations se retrouvent.
Deuxièmement, au  travers de la FAAJ et du soutien apporté à cette association, l’état créancier agit en chevalier blanc contre l’ennemi, les fonds vautours. Les faveurs accordées au travers de l’attribution de concessions ou d’appels d’offres ne résultent plus d’une contrepartie liée à l’octroi de crédit mais bien d’un remerciement pour l’aide et le soutien apportés face à un nouvel ennemi, les fonds vautour et des partenariats d’entraide noués.
Troisièmement, le soutien et l’aide apportés à la FAAJ permettent d’imposer des normes favorables aux Etats créanciers, notamment en matière de droit, facilitant par la suite les échanges et augmentant l’effet de domination sur les Etats aidés. Il est à noter que l’organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA) est membre de la FAAJ.

Quelle est la puissance qui profite le plus de cette situation ?

Les Etats-Unis sembleraient être à la manœuvre derrière cette stratégie. Mais il ne faut pas minimiser ni le rôle des anciennes puissances coloniales, principalement le Royaume-Uni et la France, ni celui de nouveaux entrants à la recherche de ressources pour soutenir leur croissance, comme le Brésil et la Chine.
Les Etats-Unis détiennent le dollar, la monnaie d’échange internationale et sont libres d’en imprimer à volonté. Le FMI et la Banque Mondiale agissent selon les intérêts des Etats-Unis sur tous les aspects de la dette aussi bien la distribution de crédit que les renégociations et l’abandon de dettes.
Par ailleurs, la mise en place d’un contexte légal international favorable aux fonds vautours et des passerelles entre les institutions internationales en charge de la dette des Etats africains et ces fonds vautours sont un aspect important pour comprendre la passivité notamment des Etats-Unis, maitres de la finance mondiale vis-à-vis de ces derniers. On notera le cas de Michael Sheehan. Il a fondé et dirigé la compagnie américaine Debt Advisory International qui détenait en partie le fond vautour Donegal en 2009. Il est aussi avocat et a travaillé comme consultant sur les questions de dette pour le FMI.
De plus, lors de la vague d’attaque des fonds vautours de 2008, la majorité de ces fonds d’investissement étaient anglo-saxons et les juridictions compétentes pour juger des actions intentées contre les Etats africains étaient également à majorité anglo-saxonne.
Les Etats créanciers n’agissent plus directement mais au travers des institutions internationales, en l’occurrence, la FAAJ. Au travers de la FAAJ, les Etats créanciers créent un terreau favorable à l’écoute et à la confiance en venant sauver l’état africain du désastre lié aux fonds vautours, et facilitent ainsi à l’octroi de concession minière ou de grands travaux.
En réaction à la vague d’attaques des fonds vautours, la BAD a mis en place la FAAJ. La BAD a confié les missions suivantes à la FAAJ : 1) gestion de l’endettement et résolution des contentieux y afférents ; 2) gestion et passation des contrats d’exploitation des ressources naturelles par les industries extractives ; 3) négociation  des contrats d’investissement ; et 4) pratique des transactions commerciales s’y rattachant.
La FAAJ est financée directement et indirectement par des Etats non africains créanciers entre autre au travers de la BAD. A sa création, Peter Eigen, fondateur de Transparency International (association financée par USAID) siégeait au conseil de gestion. En mai 2014, USAID (notoirement proche de la CIA) donnait 3 millions de dollars à la FAAJ pour son fonctionnement sur les 3 prochaines années.
La création de la FAAJ et la diminution des attaques des fonds vautours coïncident. Cependant, l’Afrique n’est pas à l’abri de repasser dans le viseur de ces rapaces financiers à la prochaine crise de la dette africaine. Toutefois, la Belgique et l’Angleterre ont voté des lois limitant les manœuvres des fonds vautours. La Belgique a voté une loi interdisant la saisie de l’aide internationale belge par les créanciers des Etats en difficulté.

Les enjeux de la dette permettent une nouvelle répartition du gâteau africain entre les acteurs de la créance africaine. Cette stratégie a notamment permis aux Etats-Unis de prendre pied puis une place significative en Afrique face aux ex-puissances coloniales. Actuellement, l’Afrique emprunte massivement et majoritairement auprès de bailleurs privés, à la recherche de rendement, moins accommodants que les bailleurs institutionnels laissant craindre de nouvelles attaques de fonds vautours en cas de défaut de remboursement.

Sources:
-  Blog Financial Afrik, Article « Fonds vautours : comment l’Afrique évite le syndrome Argentine » entretien avec A. Fall, Pdt du conseil de gestion de cette structure, 7 aout 2014
- African Development Bank Group, News and Event, Article US donates $3 million to African Legal Support Facility, 20 mai 2014 (http://www.afdb.org/en/news-and-events/article/us-donates-3-million-to-african-legal-support-facility-13091/)
- Fondation Prométheus, Baromètre 2012 – 2013 de transparence des ONG, Les ONG et le devoir de transparence (http://www.fondation-prometheus.org/wsite/publications/a-la-une/barom%C3%A8tre-2012/)
- Groupe de la Banque Africaine de Développement, Facilité Africaine de Soutien Juridique. (http://www.afdb.org/fr/topics-and-sectors/initiatives-partnerships/african-legal-support-facility/)
- Groupe de la Banque Africaine de Développement, actualité 19/20/2013, « La France s’engage dans la facilité de soutien juridique de la BAD » (http://www.afdb.org/fr/news-and-events/article/france-engaged-in-afdb-legal-support-facility-11503/)
- Site du parti Solidarité et progrès Article « La doctrine Drago, une arme contre les fonds vautours et l’esclavage de la dette » (http://www.solidariteetprogres.org/documents-de-fond-7/economie/la-doctrine-drago-une-arme-contre.html)
- Un vautour peut en cacher un autre, rapport de la plateforme Dette & Développement et du CNCD – 11.11.11, mai 2009 (http://www.dette2000.org/data/File/EXE_FONDS_VAUTOURS_bd.pdf)
Site Africa Diligence, L’Afrique déclare la guerre aux fonds vautours, 14 aout 2009 (http://www.africadiligence.com/lafrique-declare-la-guerre-aux-fonds-vautours/)
- Jeune Afrique, « L’Afrique part en guerre contre les fonds vautours », 7 juillet 2009 (http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAJA2530p069-071.xml0/)
- FMI, Heavily indebted poor countries (HIPC) initiative and multilateral debt relief initiative - Statistical update, 19 décembre 2013 (http://www.imf.org/external/np/pp/eng/2013/121913.pdf)
- The Economist Le monde en 2015, « Une crise de la dette annoncée » R. Walker, déc 2014
- Manuel de l’intelligence économique, Stratégie d’accroissement de puissance des Etats, par N. Mazzucchi
- Réseau AEGE en Afrique