Médicaments génériques ; l’Inde est-elle en mesure de gagner contre les puissants laboratoires pharmaceutiques ?

L’industrie pharmaceutique est le secteur le plus rentable après l'industrie pétrolière. Pourtant, les puissants laboratoires pharmaceutiques sont confrontés à de nombreuses difficultés. Le coût grandissant des dépenses de R&D, le nombre déclinant des molécules nouvelles, les médicaments phares tombant progressivement dans le domaine public, le durcissement de la réglementation, la concurrence des génériqueurs et l’accroissement de la contrefaçon. Toutefois, la population mondiale étant en constante progression, le besoin en médicaments l’est également.
Pourtant, l’accès aux médicaments n’est pas équitable au niveau de la planète. Pour exemple ; les maladies infectieuses font annuellement près de 10 millions de victimes, dont 9 millions dans les pays en voie de développement. Le prix élevé des médicaments constitue l’obstacle principal du manque d'accès aux médicaments. La protection par des brevets en est souvent la cause. Ils confèrent aux détenteurs un monopole sur la fabrication, la vente et l'importation des produits brevetés qui sont vendus à des prix inéquitables pour les pays non riches.
C’est en Inde que se cristallise cette guerre des brevets. Ce pays en développement est l’un des rares doté de capacités de production nécessaires pour fabriquer des médicaments génériques de qualité. Leader mondial de la production et de l’exportation des génériques, ce pays est réputé pour être « la pharmacie du tiers-monde » car les médicaments qui y sont fabriqués sont parmi les moins chers.

Dates clés
1970, le gouvernement Indien a favorisé fortement le développement d’une industrie pharmaceutique locale, entre autres en cessant d’octroyer des brevets sur les médicaments.
1995, les leaders pharmaceutiques indiens sont devenus des géants mondiaux du générique. Leurs usines obtiennent l’agrémentation de la Food and Drug Administration (FDA) Américaine. Leurs produits deviennent commercialisés dans les pays développés lorsque les brevets arrivent à expiration. Un marché gigantesque dont le volume s’accroit avec le temps.
2005, l’Inde, jusqu’à cette date n’accordait aucun brevet, ce qui lui a permis de multiplier les génériques de produits encore protégés ailleurs. Or, sous la pression des laboratoires Indiens qui lorgnaient les marchés des pays développés et celle des puissants lobbys pharmaceutiques occidentaux, le gouvernement indien finit par modifier sa législation en matière de brevets, en devenant membre de l’OMC. Par conséquent, avec l’octroi de certains brevets dans le pays, les laboratoires indiens deviennent parfois dans l’incapacité de fabriquer des versions génériques moins chères de certains médicaments désormais protégés.

Discours des pro-laboratoires génériques

L'Inde exporte la moitié de sa production vers les pays en développement et plus de 50 % des médicaments distribués par l'Unicef sont des génériques produits en Inde.
L’état Indien depuis 2005 n’accorde des brevets que lorsque les médicaments sont innovants et de meilleure efficacité thérapeutique. Cette posture, en dépit des règles imposées par l’OMC se concrétise par de nombreux procès en justice arbitrés en faveur de l’industrie pharmaceutique Indienne. MSF a également pris de nombreuses fois partie des laboratoires Indiens dans les batailles de brevets que leurs livrent les grands laboratoires pharmaceutiques. D’autres acteurs de la santé dont l’OMS et nombreuses associations appellent les laboratoires des pays développés à cesser leurs attaques contre « la pharmacie du monde en développement ».
Les partisans ; états, organisations et acteurs de la santé expliquent que sans l'industrie pharmaceutique indienne,  on ne pourrait plus fournir les traitements à bas coût qui sauvent des populations entières, décimées par le sida, le paludisme, la rougeole et la tuberculose.

Capacité de nuisance élevée des laboratoires occidentaux

Pour répliquer, les laboratoires occidentaux, aidés par leurs lobbys ont mis en place une multitude de stratégies pour sauvegarder leur part du gâteau. Le dépôt de centaine de brevets pour un médicament. Le développement de nouvelles formes d'administration d’un médicament (association avec un autre médicament) brevetables elles aussi. L’imitation (changement d’un ou deux composants sans presque modifier les propriétés du médicament) lorsqu’expire le brevet d’un médicament au bout de 20 ans, ce qui donne un nouveau brevet (c’est l’Evergreening ou le renouvellement perpétuel). Enfin, le recours en justice, ce qui entraîne une suspension de la commercialisation des génériques.

Résonance médiatique moyenne à ponctuellement élevée
La résonance médiatique est fluctuante selon les actions des puissants laboratoires et les réactions des pro-laboratoires génériques (Indiens mais pas seulement). Elle peut avoir une résonance régionale ou locale. Comme en 2010, lorsque la Commission Européenne, dans un élan régulateur a voulu restreindre les importations des médicaments génériques pour les états membres de l’Union Européenne. Ou en 2013, lorsque la France a été contrainte de « sauver le soldat Doliprane ». Dans les coulisses du pouvoir, via un lobbying actif auprès des conseillers de François Hollande, Marisol Touraine et Arnaud Montebourg. Objectif de la manœuvre ; éviter que ce paracétamol soit inscrit sur la liste des médicaments que les pharmaciens doivent systématiquement proposer en génériques. 2000 emplois dans les usines Françaises menacés de délocalisation par le DG de Sanofi, des élus de la république et des protestants descendent dans la rue pour se faire entendre.
Mais parfois, sous la pression de l’opinion publique, certains laboratoires préfèrent abandonner le recours en justice contre les génériqueurs indiens. Et d’autres ont compris qu'ils ne pourraient pas éternellement lutter contre la tendance et deviennent également fabricants de génériques. Certains ont même opté pour la mise à disposition gratuite de traitements dans les pays du Sud, avec l’idée que la rentabilité immédiate doit parfois céder la place à l’impact d’une campagne de communication positive.

Sources
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