La difficile maîtrise du marché de la sécurité privée

Depuis une demi-décennie, les agents de sûreté privée sont plus nombreux que tous les personnels des polices nationales, municipales, gendarmes, douanes réunis. Il faut ajouter à ce constat l’existence de ressources de sûreté et de sécurité incendie propres et intégrées à des groupes, connus internationalement dans leur spécialité et proches de l’Etat (Aéroports de Paris, par exemple). La commercialisation galopante, je le sais pour rencontrer ou entendre les nombreuses enseignes de sécurité de mon secteur géographique. C’est le lot de la privatisation, ainsi que le redimensionnement légal d’un marché. Ce segment d’activité économique n’a pas toujours brillé par son respect des lois. Pour assainir les pratiques du privé, y compris quand ils vendent leurs prestations dans les domaines publics, autrement dit afin de ne pas ignorer ou abriter un risque-prestataire potentiel et multiformes, l’Etat a effectué une refonte évidente des textes et des pratiques. Je vois dans ce légitime effort national la volonté de coupler l’expansion et la lutte anti-contagion de pratiques économiquement incertaines et passéistes. Les règles d’exercice, la qualification des décideurs de ces entreprises, et les devoirs de leurs employés sont rassemblés dans un Code de Déontologie.

La difficulté du contrôle
Des contrôleurs assermentés, nantis d’un « Droit de Communication », déployés avec mention préalable d’un Procureur de la République, s’intéressent également depuis quelque mois aux services internes de sûreté des établissements publics, en moyens humains ou électroniques. Ils étudient particulièrement si les conditions d’exercice des agents sont licites ou non au regard des critères connus en la matière depuis le Certificat de Qualification Professionnelle (septembre 2008). Depuis l’avènement du Conseil National des Activités Privées de Sécurité (juillet 2012), les contrôleurs émanent de ce CNAPS. Dans les aéroports, gares, musées avec une interprétation généralisée : la République, censée mettre de l’ordre dans ce marché en pleine « ruée vers l’or », en laisse la définition à des organisations financières de haut niveau, assez puissantes pour formater et contenir le « principe » dans les contours du « rentable et durable ». Le cas désormais connu des structures ou ERP réservant les emplois vacants de SSIAP aux candidats certifiés par ailleurs en Sûreté (CQP ou équivalent sous la tenue) m’a démontré la stabilité et la puissance des acteurs économiques privés. Cette qualité des choses est devenue une pratique massive, soutenue car pratiquée systématiquement et simultanément dans les hypermarchés français. D’où s’en suit un doublement de la dépense publique ou personnelle car cette posture de recrutement génère deux investissements de fonds pour un seul retour en charge ou droits associés au salaire. Proposant à leurs clientèles un seul poste de travail facturé, les adhérents de droits et cotisants forcés (0,45% des facturations produites) du CNAPS sont responsables d’une forte diminution du nombre réel d’agents sur les terrains. Le lecteur comprendra que deux qualifications, la première visible et incontournable, l’autre induite dans l’obligation d’assistance à autrui, leurs biens et leur légitime défense constituaient un « full pack service » ou un « tout-en-un » bien rémunérateur pour les deux parties contractantes.

Les excès du privé
Le CNAPS représente un élément-clef dans son réseau, dont les lobbyistes du genre professionnel ont réussi à orienter les missions et expertises de leur autorité nouvelle de tutelle, malgré les garde-fous républicains posés par les parlementaires, préfets, magistrats qui sont à aujourd’hui quasi évincés des tables décisionnelles, de même que les partenaires sociaux versant salariés. Il a été particulièrement investi par l’un des deux syndicats professionnels de la sûreté sécurité vidéo-protection français, celui des deux, pour ne pas le nommer, qui centre ses propositions et arguments sur la meilleure gestion du coût sécuritaire dans les gestions d’entreprises, au détriment de celui qui poussait plus vers l’élévation du niveau individuel de qualification des salariés (trouvant ainsi une obligation partagée), source exogène entre client et prestataire de par ailleurs. Il fournit du renseignement sectoriel grâce à des statistiques régulièrement tenues et consultables. Ces véritables « états de services simplifiés », pour parler un langage militaire, sont une mine d’informations sur la tenue et la teneur des entreprises de sûreté et de sécurité, cartographiée de surcroît (par organisation « zonale »). Ces informations intéressent hautement leur Direction Régionale toujours en veille concurrentielle ou d’expansion. Les croiser avec d’autres informations, issues elles aussi de Services de l’Etat (Emploi, Intérieur, Finances) est possible à tous. Les connaissances et secrets de l’entreprise améliore certaines visibilités en terme de répartitions des concurrences, de rareté et de la valorisation de personnels spécialisés (ex : Agent Conducteur de Chien d’Intervention), procédés substitutifs associés et besoin en personnel certifié. La vertu républicaine se soumet donc au nouveau genre et en accepte voire concède les excès du privé en statuant dans le soutien aux entreprises concurrentielles. Je n’apprends peut-être pas au lecteur que la Place Beauvau imprimait au premier trimestre 2014 dans les cursus formatifs CQP la polyvalence (en adjoignant des items purement préventionnistes et secouristes, à forte pondération dans la note finale de l’examen), comme nécessaire et judicieuse. L’Etat est maintenant passé, dans ses relations aux entreprises privées de sûreté, d’un protectionnisme patriotique des intérêts industriels à la combinaison de moyens légaux accordés à l’influence et au soutien des « services à l’entreprise » très français.