Un capitalisme à visage humain : le modèle vénitien



Auteur de l'ouvrage "Un capitalisme à visage humain, le modèle vénitien", Jean-Claude Barreau, né le 10 mai 1933 à Paris, est un essayiste français . D'un grand-père maternel juif ashkénaze mais élevé par son grand-père paternel, il se convertit au catholicisme et devint prêtre. Tombé amoureux d’une jeune paroissienne et en désaccord avec les déclarations du pape Paul VI, il abandonne la prêtrise pour se marier.

Sa vie oscille ensuite entre l'édition, le journalisme et la politique. Nommé conseiller culturel de l'Ambassade de France en Algérie, il devient conseiller de François Mitterrand sur les questions d'immigration, puis de Charles Pasqua et de Jean-Louis Debré. En 1989, il devient président de l’Office des migrations internationales et président du conseil d'administration de l’Institut national d’études démographiques. Pour lui, la démographie contribue à faire ou défaire les civilisations. Il milite également, sans succès, pour la création d’un ministère de la population chargé de la famille et de « la régulation des flux ».

Auteur de plus d’une trentaine d’ouvrages, l'essayiste tente d'entrer à l'Académie française. N'ayant plus aujourd'hui de fonctions officielles, il poursuit néanmoins ses travaux d'écriture et, fidèle à sa ville de Vendôme, donne régulièrement des conférences sur l’histoire universelle

 

  1. Synthèse de l’ouvrage


Pour l’auteur, Max Weber s’est trompé dans son ouvrage, « l’Ethique protestante et l’éthique du capitalisme ». Ce ne sont pas les cités protestantes du nord de l’Europe qui ont inventé le capitalisme mais les cités catholiques du sud au Moyen-Age dont Venise. Pendant cinq siècles de 1100 à 1600 Venise demeura ce que fut la Grande-Bretagne au XIXème siècle, la reine du commerce. Elle commerçait avec l’économie monde de son époque, (Europe, Asie, Afrique) depuis la Baltique jusqu’à la Chine.

Jean-Claude Barreau démontre dans trois parties l’histoire de Venise et fait le parallèle avec le capitalisme actuel.

 

Dans la première partie, la puissance et la gloire, il présente Venise comme une puissance guerrière (une guêpe furieuse - expression de Fernand Braudel). Elle commerça avec l’Empire Ottoman et la combattit par les armes lorsque cela fut nécessaire. Par exemple elle fournit 60 % des bateaux qui formèrent la coalition qui battu les turcs le 7 octobre 1571 à la bataille de Lépante. Venise a été construite sur une lagune facile à défendre en raison des hauts fonds. Ses marées ont protégées la cité du paludisme car les eaux ne sont pas stagnantes comme dans d’autres lagunes de la Méditerranée. Cette  situation exceptionnelle a permis au premier vénitien de se tourner vers la mer et le commerce notamment du sel. Pendant des siècles l’existence physique même de Venise fut préservée par les doges.

 

La deuxième partie beaucoup plus dense, traite du bon gouvernement et de la manière exemplaire dont les dirigeants de Venise organisèrent la gestion de la Cité.

Les chefs de la république vénitienne ont toujours veillé au bien-être de leurs citoyens grâce à une réelle ingéniosité et un bien du sens commun.

Venise fut toujours une république avec un gouvernement stable et modéré (elle n’eut qu’un seul tyran qui fut décapité). Les magistrats des deux cent plus grandes familles gérèrent la ville et étaient révocables en cas de faute. Ces oligarques obéissaient strictement à la constitution. Il existait une certaine mobilité dans ces familles de praticiens. Ils constituaient le grand conseil, corps électoral de base qui légitimait obligatoirement tout pouvoir. Le Sénat était le corps législatif. Le « conseil des dix » (en réalité 17 membres) devait surveiller la classe dirigeante et la sureté de l’Etat. Le doge était en haut de cette pyramide, il présidait le grand conseil et le conseil des dix. Magistrat élu à vie, sa fonction n’était pas héréditaire et il était aussi le chef de la force armée. Venise fut au centre des routes commerciales entre le nord, le sud et l’orient. Le Duca fut le dollar de l’époque et resta d’une valeur constante durant cinq siècle (3.56 grammes d’or fin soit 26 carats).

Bon vivants et heureux de leur sors, « les patriciens de Venise n’étaient pas coincés comme les capitalistes puritains de Max Weber ». Venise était une ploutocratie car c’était le caractère de la richesse qui faisait que l’on accédait à de hautes fonctions politiques. Les riches vénitiens connaissaient leur devoir et appliquaient la devise « noblesse oblige », au-dessus de l’argent, ils plaçaient la patrie.

Cette oligarchie était keynésienne, le gouvernement a toujours redistribué une juste part de la valeur ajouté ce qui a valu à la cité une tranquillité sociale et une véritable sécurité interne. On peut même dire que Venise fut le premier « welfare state » du monde. Le patriotisme économique des doges leur interdisait de délocaliser les activités. L’Etat vénitien a su faire preuve d’une véritable clairvoyance quant au loyer de l’argent.

Venise connaissait un système juridique très élaboré pour son temps et les hommes étaient tous égaux devant la justice. Les libertés ne remettaient pas en cause le sens du devoir et ce fut le premier état à appliquer au moins dans les faits une laïcité bienveillante. De plus c’était une des plus grande cité « industrielle » de l’époque ou le plein emploi y était l’obsession du gouvernement.

 

La dernière partie explique les raisons de la chute. C’est en 1716 que débuta la chute de Venise qui se termina lors de la domination française en 1797. Trois phénomènes expliquent ce déclin :

- La neutralité absolue de Venise décrétée vers 1717 qui lui fit perdre sa place dans l’Histoire. Cela a entrainé une sclérose de la classe dirigeante car on ne pouvait plus faire rentrer de nouvelle personne dans l’oligarchie.

- L’oubli du bien commun, l’argent était un moyen mais il était devenu une fin.

- La faiblesse morale de cette oligarchie qui  permis à Napoléon de prendre pied à Venise sans combat.

 

Pour conclure, la méditation sur la chute de Venise devrait donner à penser à nos dirigeants. Venise est un exemple ancien d’une économie déjà « mondialisée » de la Baltique jusqu’à la Chine. Les hommes d’affaires vénitiens se situaient entre le libéralisme d’Adam Smith et le « tout état ». Ils firent preuve de réalisme et ne furent nullement « idéologues ». « Ils savaient que seul l’Etat, de l’extérieure, et le patriotisme, à l’intérieur d’eux même, peuvent pousser les riches à sacrifier au bien commun. Ils savaient aussi que « les marchés » n’étaient pas des divinités, mais seulement la traduction des calculs de spéculateurs, guidés précisément par leur seul intérêt personnel. » Venise était une économie mixte alliant les marchés et l’Etat.

Synthèse de la monarchie avec le doge, de la démocratie avec le Grand Conseil et de l’aristocratie via le Sénat, le système politique vénitien fut l’un des plus stables de l’Histoire. La république oligarchique était donc bien « sérénissime » preuve en est que la constitution durant sept siècles.

Venise est un enfant du capitalisme mais d’un capitalisme régulé par l’Etat. Pour l’auteur, c’est le capitalisme sauvage (zone industrielle qui pompe les nappes phréatiques et affaisse le sol, immenses navires de tourisme dans la lagune…) qui mettent en danger la cité aujourd’hui.

  1. Analyse –avis du rédacteur


Très bien écrit au style enlevé et acerbe cet ouvrage très pédagogique explique les travers du capitalisme actuel. Le parcours de l’auteur oriente évidement son analyse mais l’ensemble biographique laisse à penser que cet ouvrage sourcé reste assez objectif

Les réflexions développées sont très intéressantes car il est toujours important de connaitre le passé pour construire l’avenir.

 

Franck Vidalo