Réflexion prospective sur l'idée d'appauvrissement de la France



 

La question du déclin de la France est souvent évoquée. A chaque élection présidentielle, une palette hétéroclite de candidats – divers dans leurs orientations, divers dans leurs objectifs, divers dans leurs philosophies – regrettent le déclassement de la France et déplorent qu'elle ne tienne plus son rang d'antan. Pour autant, aucun d'eux ne juge utile de quitter le terrain de l'incantation, de procéder à un bilan complet de la situation et de proposer un plan d'action. Le débat autour d'une éventuelle paupérisation de la France reste donc exclu du champ du politiquement correct, à la grande joie de tous ceux qui ont intérêt à ce que rien ne change, ou sont pétrifiés par les contradictions qu'ils pressentent entre ce qu'il faudrait faire et les autres principes qu'ils défendent.

 

Abandonner la langue de bois

Il serait temps qu'une analyse non partisane et exhaustive s'empare du sujet, expose la situation et fasse réagir. Cela peut surprendre, cela peut provoquer la réprobation mais c'est un devoir de vérité. Or selon Schopenhauer, toute vérité franchit 3 étapes : "Tout d'abord elle est ridiculisée, ensuite elle subit une forte opposition puis elle est considérée comme ayant toujours été une évidence !".

Dans nombre de pays, dont la France, l'industrialisation, après bien des efforts, a participé à la garantie d'un niveau de vie acceptable pour la majeure partie de la population, et surtout, a permis à chaque génération d'offrir un avenir un peu meilleur encore à ses enfants. Depuis le choc pétrolier de 1973, et face aux conséquences d'une mondialisation mal maîtrisée, l'espoir de laisser une situation supérieure à la génération suivante a disparu pour une part importante de nos concitoyens. Cela entraîne inquiétude et tentation de repli chez les plus défavorisés, mais aussi un certain déni de réalité chez nos gouvernants (qui ne savent pas gérer le problème et préfère ne pas le reconnaitre) et chez les milieux aisés bien-pensants (qui préservent ainsi leurs idéaux).

Il est en effet possible de se persuader que la France va bien. Contrairement à d'autres puissances européennes, notre population augmente de manière raisonnable[1]. Depuis 1975 elle a cru en métropole[2] de 23% passant de 52,6 millions à 65,02 millions estimés au 1° janvier 2018. Ce dynamisme est conforté par le fait que le solde positif serait majoritairement issu du solde naturel[3]. Autre indicateur potentiellement positif : le PIB. Une lecture simpliste de sa valeur brute sur la même période c'est-à-dire depuis 1975 montre qu'il passe de 236,6 milliards à 2.228,9 milliards en 2016[4]. Cette croissance de près de 950% n'a pas de valeur en elle-même du fait qu'elle contient notamment l'inflation et l'importante contribution des productions non marchandes qui en France proviennent principalement des administrations publiques.

 

Les indicateurs en doivent pas être des leurres pour masquer certaines réalités

Pour relativiser cet indicateur, il convient de regarder son taux de croissance (extrêmement lié à la conjoncture internationale) et son taux d'évolution en volume qui ont tous deux vu leur pourcentage d'évolution diminué de plus de moitié sur la période. Par ailleurs, le PIB par habitant de la France a progressé moins vite que celui de la moyenne des pays de l'OCDE entre 1975 et 2012[5] passant ainsi en deçà de cette moyenne pour se situer en dessous de la plupart des grands pays développés à l'exception de l'Italie et de l'Espagne.

Certains analystes contestent la crédibilité globale du PIB[6] et préfèrent utiliser l'indice de développement humain où depuis quelques années la France oscille entre les 20° et 22° places et ne progresse quasiment pas en valeur. Cet indice, défini par le PNUD[7], présente deux particularités qui relativise sa pertinence : ses évolutions méthodologiques qui ne permettent pas véritablement de comparaisons dans le temps, son mécanisme d’agrégat qui égalise toutes les données prises en compte et les rend substituables. Les puristes lui reprochent également de ne pas avoir pu intégrer la notion de liberté publique. Ces indicateurs ne dissimulent qu'imparfaitement les signes sous-jacents d'un appauvrissement dont l'ampleur doit être étudiée. Il n'est toutefois pas simple de l'estimer et de démontrer une paupérisation latente ou caractérisée. Pour explorer le déclassement économique des nations, aucun chiffre subliminal ne saurait suffire à lui seul.

 

Le décrochage compétitif de la France sur le terrain industriel

Les domaines qui peuvent servir d'indice sont nombreux. Le PIB, l'indice de développement en font partie mais le taux d'activité ou de chômage, l'indice de misère, les classements en matière d'éducation ou de santé, l'accès aux soins, la désertification de certains territoires et de nombreux autres y contribue également. La paupérisation d'un pays ne se mesure pas seulement à l'état de son économie globale mais également à l'appauvrissement de ses citoyens et à la situation de ses régions. Economie, Territoire et Société sont trois dimensions majeures d'une véritable analyse de ce phénomène. Sur le plan économique, l'indicateur majeur est le classement international des nations. La France y a perdu sa quatrième place et se maintient dans un mano à mano avec le Royaume-Unis mais sera rapidement doublée par l'Inde et semble promise à une potentielle neuvième place dans les trente années à venir.). Toutefois, on n'agit pas directement sur un classement pour le corriger. Il convient d'identifier les domaines d'actions possibles (pour créer de la richesse ou éviter d'en détruire) et d'agir sur la capacité de production, sur la création d'emplois ou sur la balance commerciale et son solde. Dans ce contexte, les emplois les plus productifs et garants de création de valeur sont les emplois industriels. Nul ne conteste notre décrochage compétitif dans ce domaine, mais il serait nécessaire d'en étudier les causes, de cartographier la désindustrialisation et de répertorier les secteurs les plus touchés. Il est probable qu'une analyse stratégique de nos principaux déficits commerciaux par secteurs et par zones géographiques pourrait permettre d'identifier des axes de remonté en puissance.

 

Une pauvreté rampante dans les territoires

Les territoires aussi participent à la puissance de la Nation mais ils ne sont pas homogènes. Tout d'abord, ils doivent être en capacité d'accueillir des entreprises en termes d'infrastructures, notamment de transports, de main-d’œuvre disponible et formée, de marchés potentiels. Les territoires sont aussi en concurrence entre eux or certains subissent une désertification par disparition des services publics, absence de services médicaux ou d'équipements numériques et se trouvent de fait exclus du "système-monde". La société et particulièrement la population contribue également à la richesse d'ensemble du pays. Le taux de pauvreté en France oscille autour des 14%[8] si l'on retient le principe européen qui considère comme pauvre toute personne dont le niveau de vie est inférieur à 60% du niveau de vie médian de sa catégorie de population. Le chômage, l’espérance de vie à la naissance, l'accès à l'emploi ou à la formation sont des critères à prendre en compte.

 

Didier Javoy


 

 

[1]Données INSEE - https://www.insee.fr/fr/statistiques/1893198 – tableur téléchargeable : estimation de population par département, sexe et grandes classes d'âge années 1975 à 2018. Existe aussi par régions anciennes et nouvelles.

[2]Ces données de l’INSEE n’intègrent les départements d'outre-mer que depuis 1990 et Mayotte en 2014. Pour donner un ordre d'idée, aujourd'hui les DOM représentent 2,17 millions d'habitants dont 40% pour La Réunion.

[3]Données INSEE - https://www.insee.fr/fr/statistiques/1893198 – tableur téléchargeable : décomposition de l'évolution annuelle moyenne des populations départementales et régionales sur 2010-2018 entre solde naturel et solde apparent des entrées et des sorties. Le solde naturel correspond à l'écart entre les naissances et le décès. Il est donc illusoire de vouloir répartir cette croissance entre l'évolution naturelle des populations déjà installées et les nouveaux arrivants.

[4]Article Wikipedia Produit intérieur brut de la France.

[5]Lettre Trésor-Eco n° 131 publiée par les ministères français de l’économie et des finances en juin 2014

[6]Les principales critiques portent soit sur la non prise en comptes d'éléments économiques comme le travail non rémunéré, le bénévolat ou les activités illégales soit son incapacité à mesurer les patrimoines ou les atteintes à l'environnement et à décrire les notions qualitatives comme le bien-être, l'éducation ou la sécurité et encore moins le bonheur.

[7]PNUD : Programme des Nations Unies pour le Développement

[8]INSEE Taux de pauvreté selon le seuil en 2015 données annuelles de 1970 à 2015