L’urgence de réapprendre l’acquisition de la connaissance par la lecture

 



 

Un des problèmes majeurs de l’enseignement supérieur est la baisse tendancielle chez les étudiants de la lecture d’ouvrages sur support papier. En un demi-siècle, la société de l’information a modifié le rapport de l’individu à sa manière d’acquérir de la connaissance. Le temps réel et l’accès à des champs quasi infinis de sources d’information ont amené l’étudiant à se laisser piéger par la facilité. Ce dernier a l’impression que tout lui est accessible de manière quasi immédiate grâce au développement des technologies de l’information.

 

Une culture trompeuse de l’efficacité immédiate

Le bilan actuel de cette évolution, applaudie par de grands scientifiques tels que Michel Serres, est loin d’être réjouissant. La société de l’information a peu à peu habitué l’étudiant à devenir un consommateur qui privilégie de plus en plus l’information captée sur un smartphone que la découverte de la connaissance. Cette réalité a généré beaucoup de confusion dans les esprits. En travaillant dans l’instantanéité, l’étudiant a l’impression d’être efficace et de gagner du temps dans la phase de collecte des informations. Le résultat d’une telle autosatisfaction fait ressortir une baisse tendancielle de la qualité du raisonnement. Dans le domaine de l'intelligence économique, c'est d'autant plus perceptible dans la phase de préparation du plan de recherche puis dans la phase de construction de l’analyse. Les étudiants qui se précipitent sur les informations accessibles par l’intermédiaire de Google ne se rendent même pas compte du caractère très limité de cette offre et du mécanisme marchand de sa conception. Google ne cherche pas à couvrir de manière pertinente un champ d’interrogation. Cette société cherche avant tout à détecter la manière dont un individu cherche à collecter des données pour mieux l’orienter ensuite vers un cheminement cognitif qui relève plus de l’approche publicitaire masquée que de la réponse pertinente à une question posée.

 

Le déficit amont de l’apprentissage

La pédagogie d’apprentissage s’apprend en principe à l’école primaire. Le fichage d’un texte est appris dans les meilleures écoles primaires privées. Plus rarement dans le public où la politique d’achat de la paix sociale a encouragé les représentants du Ministère de l’Education Nationale à orienter la formation sur le thème de l’épanouissement individuel. L’élève s’éduque lui-même avec le soutien de l’enseignant. Cette logique permet sans doute de masquer les différences de niveau à l’intérieur d’une classe. En revanche, elle est terriblement pénalisante par la suite car le collège et e lycée ne corrige pas forcément cette mauvaise habitude prise à la fin de l’école primaire. Plus tôt on apprend à ficher u texte, plus vite on comprend le mécanisme cognitif pour cerner l’importance future d’une grille de lecture. Les élèves qui apprennent à extraire les idées directrices, à caractériser la personnalité d’un auteur et à resituer son positionnement dabs un contexte historique, politique et culturel, sont mieux préparés à la progression méthodologique dans l’enseignement supérieur.

 

La nécessité d’aller à contre-courant du modèle éducatif français

Nous avons adopté le modèle anglo-saxon en pensant qu’il était par nature exemplaire parce que les Etats-Unis se revendiquaient comme la puissance leader dans l’économie de la connaissance. Et nous avons commis une grosse erreur. Les Etats-Unis ont construit un système d’enseignement à plusieurs vitesses qui achète lui aussi la paix sociale à sa manière, en laissant croire que tout le monde a sa chance pour progresser. Ce qui est loin d'être le cas. Un étudiant inscrit dans une université bas de gamme n'a pas accès aux réseaux très sélectifs des grandes universités et dont le coût de scolarité est devenu prohibitif.  L’autre défaut du modèle nord-américain est sa vision culturelle de l’excellence. En un mot, ce qui se fait de mieux est inventé par le modèle éducatif nord-américain. Si les Etats-Unis détiennent encore une certaine avance dans la course aux hautes technologies et dans les sciences dures, leur prédominance passée dans les sciences humaines appliquées notamment au monde de l’entreprise n’est plus systématique. La diversité des économies de marché et surtout la recomposition des dynamiques de puissance imposent une nouvelle approche cognitive des rapports de force.

Les références ne sont plus à sens unique comme ce fut le cas pendant de longues années après la seconde guerre mondiale . Désormais, il est vital de se réapproprier ses propres richesses cognitives pour mieux cerner la complexité conflictuelle du monde à venir. Sur ce plan, l’acquis culturel français est beaucoup plus riche que l’acquis nord-américain plus récent et trop axé sur le court terme. La pensée à moyen/long terme doit redevenir un impératif éducatif majeur. Une telle démarche implique une maîtrise de la méthodologie pour acquérir de la connaissance. Cette dernière est fondée en priorité absolue sur la lecture d’ouvrages en support papier dans la mesure où le livre numérique ne permet pas une assimilation aussi performante. Apprendre à lire un livre et non le survoler, réfléchir sur la construction du sommaire, comprendre l’utilité des notes de bas de page ou de fin de chapitre, ces principes élémentaires ne sont pas des réflexes qui relèvent de l’évidence, à cause de l’évolution négative suivie par l’Education Nationale depuis plusieurs décennies.

Il faut réapprendre aux étudiants à construire un équilibre entre la culture de l’instant favorisée par l’accès à Internet et la culture de la réflexion fondée sur une approche multiculturelle des situations. L’apport anglo-saxon n’est plus qu’un apport parmi d’autres, certes important mais plus dominant . C’est la nouvelle évidence du monde dans lequel nous devons nous mouvoir pour ne pas subir la domination d'autrui.

 

Christian Harbulot