Grille de lecture : Le nucléaire français et le dilemme de l’Innovateur



 

A l’ère des changements climatiques qui s’accélèrent, peut-on être contre la cause écologique ?

Qui n’adhère pas à l’idéal d’une consommation d’énergie zéro carbone ? Mais quelle énergie décarbonée choisir ? Solaire ? Eolienne ? C’est le choix qu’a fait l’Allemagne, en substituant le solaire et l’éolien au nucléaire. Pour autant, son bilan carbone s’est-il vraiment amélioré ? Le solaire et l’éolien ont-ils suffit à la demande énergétique allemande ? La réouverture, en Allemagne, de centrales à charbon suscite l’interrogation.

Les énergies dites renouvelables et chères aux courants de pensée écologiques, utilisent des ressources minières non renouvelables et nécessitent à leur fabrication une chaine de valeur très peu écologique. Curieusement, ces sujets ne sont jamais abordés par la sphère écologiste. Sachant que les ressources nécessaires à ces énergies « renouvelables » sont extraites de mines elles-mêmes à forte teneur en matériaux radioactifs, peut-on vraiment continuer à prétendre qu’elles sont plus écologiques qu’une filière électronucléaire ?

Il est assez curieux de constater qu’une organisation tel que Greenpeace soit complètement muette face à la catastrophe écologique en Mongolie intérieure – conséquence de l’extraction des terres rares nécessaires à la transition « vertes », tout en étant particulièrement active, quand il s’agit de s’introduire dans des centrales nucléaires françaises. Pourquoi cette écologie à géométrie variable ?  Pourquoi cet activisme particulièrement en France comparée aux autres pays nucléarisés ? On est en droit de se le demander.

 

Serait-ce vraiment impensable que l’on veuille porter atteinte à l’industrie nucléaire française ?

Regardons ce qui se passe dans le monde pour s’en faire une idée précise. Alors que les médias mainstream nous expliquent, depuis plusieurs, mois que le nucléaire est une énergie du passé, ailleurs dans le monde, la demande en énergie nucléaire est en forte croissance. Des pays émergents, non nucléarisés à ce jour, commencent à envisager sérieusement le nucléaire parmi leurs options énergétiques. On observe, par ailleurs, que des pays non historiquement nucléaires investissent dans l’élaboration de technologies nucléaires souveraines d’un nouveau genre.

 

Les industriels du nucléaire français peuvent-ils rester spectateurs face à ce changement ?

Ils ne le sont bien évidemment pas, mais on observe malgré tout que la Russie, l’Inde et les Etats-Unis sont très proactifs auprès de ces nouveaux pays candidats et débordent d’innovations diverses. Les déboires de l’EPR y sont peut-être pour quelque chose.  Essayons d’apporter une nouvelle grille de lecture sur la situation de la filière française. Partons du principe que nos ingénieurs sont bien « câblés », et demandons-nous : pourquoi la filière française n’arrive plus à suivre le rythme des ventes des russes, des américains  et des autres? Il est connu que culturellement les ingénieurs français sont attachés à l’excellence scientifique et technologique. Dans un monde en forte turbulence, ou des secteurs bien établis se font « uberiser », l’excellence est-elle le seul gage de réussite ? La tragédie de Kodak nous donne quelques enseignements sur le sujet. Kodak était-il sourd face à l’avènement du numérique ? non. Kodak fut l’inventeur de la photo numérique. Une étude interne commandée en 1986 annonçait la fin de l’argentique dans les 15 années. Les patrons étaient-ils incompétents ? non. Mais, ils ont souffert de ce qu’on appelle aujourd’hui le Dilemme de l’Innovateur : On voit la rupture arriver, mais on est tétanisé, incapable de bouger.

Le dilemme dans lequel se trouve de dirigeant se résume dans les termes suivants :

« Pendant plusieurs années, j’ai structuré mon activité autour de compétences, processus et valeurs qui assurent aujourd’hui ma compétitivité. Si je change tout (nouvelles compétences, processus et valeurs), je n’ai plus d’avantage compétitif comparé à une startup. C’est extrêmement risqué de s’aventurer sur ce terrain, alors que je porte une responsabilité sociale vis-à-vis de mes actionnaires, salariés, leurs familles et du territoire. Et supposons que je saute le pas, j’aurais besoin de moyens financiers importants pour me restructurer. Seule ma « vache à lait » actuelle m’assure une rente suffisante pour financer cette transformation. Alors face à un arbitrage financier entre la R&D et l’Innovation d’un côté, et le marketing et la qualité de l’autre, le bon sens fera que je choisirai le deuxième camp. On reparlera l’année prochaine de l’innovation quand les caisses seront plaines».

Compte tenu du débat de l’assemblée nationale du 22 février 2018 sur les réacteurs nucléaires à sels fondus, est-il absurde de penser que la filière française se trouve face au dilemme de l’innovateur ?

 

Marc Rochefort