L'implantation russe en Centrafique



 

En débarquant sur le terrain centrafricain, la Russie a minutieusement étudié les contours et exploité les limites des accords internationaux, les accords avec la France entérinant l’aide et l’accompagnement qu’elle devrait apporter à l’État centrafricain. Cela a débouché sur les accords de coopération militaire signée par le Président Faustin Archange Touadera. Les autorités centrafricaines ont joué le jeu en contribuant au succès de la stratégie russe, qui demeure floue au niveau de la finalité des accords bilatéraux, allant jusqu’à l'octroi des permis d'exploitation minière aux entreprises russes.

Plusieurs importantes actions qui ont suivi ces accords nous permettent de se projeter par rapport à la vision prônée par les deux États concernant l’avenir de leur collaboration bilatérale :

  • La nomination, par le Président Touadera, de Valery Zakharov au poste de conseiller en matière de sécurité à la présidence de la République. Ce dernier est un ancien membre du service intérieur de sécurité de russe (FSB).

  • Le déploiement d’une quarantaine de militaires russes, affectés à la garde Présidentielle, en charge de la sécurité du président de la République.

  • La création de Lobaye Invest, société minière ayant pour activité principale la prospection des concessions minières. Elle est basée dans les localités de Boda et de Bakala située à 200 km à l’Ouest de la capitale.;

  • La création de la société locale Séwa Sécurité, spécialisée dans la sécurité et la protection rapprochée.

  • La présence de l’entreprise militaire privée, Wagner, très active dans le dispositif de sécurité du Président Touadera, et dans la prospection minière.


La plupart des militaires russes sont employés par ces sociétés privées (Wagner et Séwa Sécurité). Ce déploiement démontre que la Russie s’est immiscée dans la politique intérieure de la République centrafricaine, ce qu’elle reprochait jadis à la France. Par la voix de Valery Zakharov, Kremlin prend des initiatives parallèles à celle de l'Union Africaine (UA), en invitant notamment les chefs des groupes armés à Khartoum, le 15 août 2018 pour des négociations de paix. Hasard d’agenda, à la même date, l'UA organisait une rencontre avec les groupes armés dans la ville de Bouar, située dans l’Ouest de la Centrafrique. Il faudrait ajouter à cette montée en puissance des nouveaux locataires du Palais de la Renaissance, des pratiques de propagande, voire de désinformation, et l’utilisation de la chaîne télévision privée dénommée Vision 4TV RCA comme une chaîne ambassadrice dans la diffusion des messages anti-français.

À défaut de réels résultats sur le terrain sécuritaire, économique et social, le Président centrafricain Faustin A. Touadera, est rassuré par la présence russe. Il cherche à couper le cordon ombilical qui relie son pays au partenaire historique qu’est la France. Une vaste campagne anti-française a été sous-traitée par le régime, inondant les réseaux sociaux, des banderoles affichées dans la capitale Bangui, à la veille de l’arrivée du ministre des affaires étrangères françaises sur le thème « la France et Le Drian sont des traîtres ».

 

Un raté comblé par le rattrapage offensif de la France

Le choix fait par Paris de retirer l’ensemble de l’effectif des Forces Françaises SANGARIS  en 2016 était prématuré, cela a laissé un vide qui a profité aux groupes armés. La Centrafrique est l’une des conséquences directes des choix de la politique extérieure de la France au niveau des opérations de cette nature. La France n’est pas allée au bout de son objectif, se laissant gagner par un confort et une prétention de tout contrôler à distance, passant pour un sentiment de légèreté pour les Africains (cf. « Nos chers espions en Afrique » de Thomas Hofnung et Antoine Glaser, explique un colonel de la DGSE « Chaque semaine il a un rendez-vous rituel les mardis et jeudis avec le Président Touadera »). Est-ce que ce confort est-il suffisant de combattre la présence russe ? Le cas de la Centrafrique, n’est qu’une parfaite illustration de la politique diplomatique de la France dans ses méthodes de résolutions des conflits. Et cela se caractérise par un manque de solutions de sortie de crise qui pourrait entraîner un véritable partenariat économique et culturel gagnant-gagnant.

Ayant saisi la stratégie du Kremlin en Centrafrique, Paris a repris l’initiative par la voie du ministre Jean-Yves Le Drian.

Cette offensive s’est matérialisée par des propositions d’une aide financière à hauteur de 24 millions d’euros avec un protocole stratégiquement bien orienté « pour contribuer notamment à des paiements d’arriérés de salaires et de retraites, développer les territoires proches du Cameroun touchés par d’importants déplacements de populations et installer des ponts afin de désenclaver plusieurs régions ». La deuxième proposition consiste à livrer 1 400 fusils d’assaut destinés à équiper les Forces armées centrafricaines (FACA). « Nous le faisons dans le cadre strict, respectueux et transparent des Nations unies, dans une transparence totale, à la fois sur l’origine, sur l’acheminement, et sur la livraison ».

 

Les difficultés du Kremlin en Centrafrique

Le Kremlin a compris, que pour asseoir une éventuelle hégémonie en République Centrafricaine, il était indispensable d’utiliser les médias locaux, et de diffuser des informations par le biais des partisans du régime afin de court-circuiter la longueur d’avance que la France a conservée dans la lecture qui est faîte de l’état politique et socio-économique du pays.

La volonté du Kremlin est de montrer qu’il est capable de résoudre la crise centrafricaine, mais il s’est rendu compte que rien n’est facile. Le facteur temps incombe à l’offensive russe de prendre la main et faire asseoir son influence sur l’ensemble du territoire. Elle accélère sa présence dans le cercle de décision ou du moins sa manière de se positionner dans les zones minières. Mais la Russie cherche toujours un argument solide afin de faire débarquer plus de troupes dans un souci de protéger ses intérêts. Elle se heurte au réveil français pour contrer leur précipitation à l’assaut des ressources naturelles.

Les principales erreurs stratégiques de la Russie dans sa conquête :

  • En mars 2018, les représentants du Kremlin ont pris contact avec l’ancien Président Dotodjia, pour avoir accès aux mines de platine et de mercure dans les zones occupées par les bandes armées. Cette démarche est considérée comme maladroite.

  • Il n’existe aucune visibilité de la présence armée russe. Tout se fait dans le strict secret tant sur le plan national qu’international.

  • La présence des sociétés privées ne montre pas clairement un partenariat État à État.

  • La stratégie de brider l’Union Africaine, la CEMAC, et la CEEAC comme les suppôts de Paris, diminue la chance de parvenir à une solution commune et à leur soif dans la durée.


 

Certes, l’offre militaire est mise en avant afin de séduire les autorités locales à propos d’un éventuel respect de la souveraineté. Mais cette approche soulève quelques interrogations. La fédération de Russie n’est-elle pas en Centrafrique pour influencer les choix politiques comme le faisait l’ancienne puissance coloniale.

Notons enfin que la France préserve pour l’instant sa position dans ce pays grâce à son expérience passée, et agit en commun accord avec la communauté internationale pour contrecarrer l’influence russe en Centrafrique.

 

Anselme Patrick Houlaguele