La question de la souveraineté maritime : le cas de Mayotte



 

Mayotte dispose de potentiels dans le développement économique au sein de la zone du canal de Mozambique par la voie maritime. Ces potentiels peuvent rester à l’état de promesse sans faire l’objet de réalisations concrètes dès lors qu’aucune stratégie d’expansion n’est mise en œuvre pour favoriser un accroissement des richesses. Les exemples des territoires qui ont su profiter de leur positionnement à travers les mers pour accroître leur richesse se sont souvent appuyés sur un État-Stratège qui déploie un partenariat compris et approuvé par les acteurs économiques et les partenaires sociaux dans l’objectif de sortir vainqueur dans les affrontements qui les opposent avec d’autres territoires.

Les dysfonctionnements dus aux désaccords entre la sphère publique, les acteurs économiques et les partenaires sociaux au sujet du port de Longoni constituent l’héritage d’un déficit dans la définition d’une ambition identifiable et approuvée par le plus grand nombre. Cet héritage date du XIXème siècle, période à laquelle Mayotte cède sa souveraineté à la France pour cause des affrontements avec des territoires de la région. Aujourd’hui, l’enjeu et les affrontements se situent sur la reprise de la souveraineté pour le développement du commerce par la voie maritime avec une ambition d’expansion économique au sein de la région, niée par l’autorité de l’État et mal engagée par le Département qui occupe à ce jour la place de l’autorité portuaire.

 

 

Le contexte historique

La perte de l’île de France en 1835 (île Maurice) face aux Anglais durant la bataille de Waterloo a nécessité une contre-offensive française avec comme ambitions, s’installer sur les points du globe, destinés à devenir de grands centres commerciaux et de navigation, permettant de se ravitailler et de chercher refuge. Dans un rapport rendu en 1839 au Ministère de la Marine, l’Amiral HELL alors gouverneur de l’île Bourbon (île de La Réunion) exprime les avantages pour la France de s’installer à Mayotte. Selon ses termes: “Le port de Mayotte est très remarquable par son étendue et sa sûreté (…).  La possession de Mayotte nous est indispensable parce que son occupation par les Anglais qui serait probablement la conséquence de notre établissement à Nosy-bé dominerait notre position(…)“. Le “Journal National“ de 1844 rendra public cette découverte en écrivant ceci: « Mayotte est la plus belle position maritime qu’il soit possible de voir. Quelle bonne fortune pour la France, et quel avenir de pouvoir jamais se montrer dans ces mers depuis que nous avions perdu l’île de France ». Derrière cette communication de masse, comprenons deux grandes ambitions dont la seconde ne sera malheureusement pas réalisée, elles consistaient à se doter:

  • d’un port fortifié qui servira de point d’observation et de refuge. Depuis, l’île de Dzaoudzi et l’île de la Réunion abritent toutes deux le FAZSOI (Forces Armées de la Zone Sud de l’Océan Indien)

  • et d’une station commerciale ouverte vers la côte-est de l’Afrique sur le port de Mamoudzou. Aujourd’hui, il abrite quelques plaisanciers qui déplorent le désengagement de l’autorité publique pour agir en faveur du développement des activités de loisirs.


Une prolifération de moustiques et toutes formes d’insalubrité auraient eu raison sur l’idée d’investir dans une entreprise, faisant de Mayotte un centre commercial qui relierait la France au pays du Canal de Mozambique, cependant jugée comme trop onéreuse. Le milieu du XIX ème siècle coïnciderait-il avec le début d’une guerre de l’information qui saperait cette deuxième ambition?

 

L’intérêt stratégique potentiel du port de Dzaoudzi

Jusqu’en 1992, à lui seul le port de Dzaoudzi servait aussi bien de zone de transit et d’importation  commerciale que de point d’observation et de refuge militaire. Pendant ce temps, la SMART (Société Mahoraise d’Aconage de Représentation et de Transit) créée en 1976 par le sénateur Marcel HENRY et la Chambre Professionnelle présidée par Adrien Giraud mettent en place une contre-offensive face à la volonté de faire de la ville de Mutsamadu un hub dans l’océan indien sous l’impulsion de l’État Comorien fraichement indépendant, d’Ahmed ABDALLAH.  Le transfert du port commercial de Dzaoudzi vers la ville de Koungou (Longoni) en 1992 marque un tournant majeur dans le rapport à établir sur la gestion portuaire. Bien que l’autorité portuaire n’affiche pas des ambitions à la hauteur des enjeux observés en 1839, l’espace portuaire de Longoni promet des possibilités d’extension favorables à une importante expansion économique.

Dans un contexte de guerre économique contre les États-Unis, l’Empire du milieu tisse des liens commerciaux à travers les mers par le développement des ports et notamment ceux de l’océan indien: la théorie de la “String Pearls“. En réponse à une absence de stratégie économique de la France sur la côte-est africaine, la Chine fragilise les rapports franco-djiboutiens, datant du XIX ème siècle en installant une base navale sur la “Corne de l’Afrique“, située au milieu de la voie maritime majeure du commerce pétrolier. Il était cependant question de répondre aux attentes de la gouvernance djiboutienne en matière de perspectives commerciales qui se trouvent au carrefour de l’Europe, de l’Extrême Orient, de l’Afrique et du Golfe Arabo-Persique. Au lendemain du premier acte de la décentralisation de 2004 à Mayotte, la gestion du port revenant à l’autorité territoriale, les cartes seront redistribuées en faveur de la nouvelle chambre consulaire qui connaitra des difficultés dans sa gouvernance et dans sa capacité à proposer une démarche ambitieuse à la hauteur de son positionnement au milieu du canal de Mozambique. À l’extrême opposée de la Cité-État de Singapour qui réussit à tirer profit de son positionnement dans le détroit de Malacca : il est le principal hub commercial à la croisée de l’Inde, de l’Asie du sud-est et de l’Australie.

En comparaison aux autres ports de France et des départements d’Outre-mer, celui de Longoni est bien en dessous des standards en matière de trafic des marchandises. Par ailleurs, depuis ces vingt dernières années la croissance moyenne reste nettement positive. La modernisation des activités du port, la proposition de coûts portuaires compétitifs et l’extension de sa plate-forme pour recevoir les “liners“ sont les conditions pour que Mayotte profite de son positionnement privilégié qui la relierait à l’Afrique de l’Est, à l’Afrique du Sud, à Madagascar et au Péninsule Arabique. À ce jour, Port Louis ville de l’île Maurice occupe le premier rang en matière de hub dans l’océan indien malgré les contraintes liées à sa saturation et aux risques cycloniques.

En l’absence d’une stratégie de recherche de souveraineté en matière d’échanges commerciaux, l’autorité territoriale et le secteur privé peinent à s’imposer entant qu’acteurs solidaires pour faire fronts aux obstacles empêchant le port de Longoni d’occuper la place qui lui reviendrait dans le canal de Mozambique. Depuis novembre 2013, la Délégation de Service Public attribuée à Mayotte Channel Gateway a fait l’objet de batailles judiciaires et médiatiques qui l’oppose perpétuellement au corps Syndical, à la SMART, à la gouvernance actuelle du Département et à l’État qui contestent cette procédure.

 

L’expansion économique et régionale du port ralentie par des affrontements internes

Dans un contexte de crises à répétition, l’État à travers le rapport de la cour des comptes et des courriers lancés par les différents ministères s’engage dans une offensive pour se positionner comme médiateur dans les désaccords entre le Département et son délégataire. Ces communications mettent en évidence les manquements des deux protagonistes pour montrer d’un côté le déficit en matière d’entretien des infrastructures et de l’autre côté les défaillances sur la gestion des activités portuaires.

Alors que la Préfecture de Mayotte se positionne comme partenaire du Département dans sa quête vers “la rupture anticipée de la DSP“, le Ministère de l’Outre-mer déploie des missions d’études en mobilisant l’Inspection Générale de l’Administration, l’Inspection Générale des Finances et le Conseil Général de l’Environnement et du Développement Durable pour proposer “la solution juridique la plus adaptée“. Dans une offensive contre l’autorité territoriale, Mayotte Channel Gateway compte parmi ses salariés deux élus qui siègent au sein du conseil départemental dont l’un faisant partie de la majorité. Cette offensive va rencontrer sur son chemin la machine judiciaire qui condamne ces derniers pour conflit d’intérêt. À l’instar d’être le gestionnaire du site qui abrite toutes les activités portuaires du Département, MCG s’oppose à la SMART (société manutentionnaire) dans un conflit à armes inégales, risquant de s’étaler dans la durée au rythme des échéances judiciaires qui se comptent par dizaines depuis son début. Ce contentieux promet la perte de ce dernier car asphyxié économiquement dans une manœuvre exécutée par MCG qui modifie son code APE pour créer une filiale, nommée MANUPORT en charge de concurrencer l’activité de la SMART déjà active depuis 1976. Malgré le dernier jugement prononcé le lundi 26 novembre 2018 au Tribunal Administratif en faveur de la SMART qui remet en cause l’agrément de MANUPORT entant que société de manutention, elle est tout de même placée en redressement judiciaire avec une dette, s’élevant à 3,3 millions d’euros.

Dans un autre registre, le corps syndical à l’échelle locale par la CGT-Ma et au niveau national par le biais de la Fédération Nationale des Ports et Docks de la CGT engagent tous deux des communications en direction de l’autorité de l’État et des médias pour dénoncer le traitement des dockers et des salariés engagés dans les activités portuaires. Le discours de fond soutenu par les partenaires sociaux serait de protéger “les intérêts du manutentionnaire historique“: la SMART, en plus de la défense de ses salariés. Pour contrer cet appel à la réaction de la masse sur les conditions d’exercices de celle-ci, le chargé de mission de MCG déploie sur les plateaux télévisés une contre-influence en mettant en avant une promesse d’emplois et de croissance économique.

À travers ces affrontements internes qui opposent MCG au Département de Mayotte sur l’échiquier politique, à la SMART dans le secteur économique et au corps syndical sur la sphère sociétale se dissimule une autre opposition. La Collectivité Départementale de Mayotte, une administration décentralisée souhaite une rupture anticipée de la DSP en demandant un soutien de l’État. Ce dernier réduit son champ d’intervention en proposant des missions d’études et ministérielles dès lors que le Département ne renonce pas à “sa compétence portuaire“. À ce jour, l’intéressé n’a toujours pas donné réponse à cette requête alors que le soutien de l’État reste primordial dans le conflit qui l’oppose à son délégataire. L’idée de renoncer à l’autorité portuaire pour motif d’un contentieux avec son délégataire reviendrait à rétrocéder sa souveraineté sur la gestion d’un outil d’expansion économique dans le canal du Mozambique au profit de l’État qui le conçoit comme “un équipement stratégique pour la vie et le développement du territoire“. On peut dire que la deuxième ambition identifiée en 1839 n’est toujours pas au coeur des préoccupations des principaux acteurs susceptibles de penser et de veiller à l’application de la stratégie du port commercial de Mayotte.

Faissoil Soilihi


 

Sources:

 

Thierry FLOBERT, Les Comores Évolution juridique et socio-politique , Centre d’Études et de Recherches sur les Sociétés de l’Océan Indien, 1976.

AF, Influences de la France à Djibouti: Absence de stratégie économique, École de Guerre Économique, www.Infoguerre.fr, 2009.

AZALBERT Ambre, CHANTEPERDRIX Thibault, FIRINO MARTELL Théodore, LACAZE ASO Cloé, PARIS William, RENOUX Charlotte, La Stratégie maritime de Singapour, sous la direction de Christian HARBULOT, École de Guerre Économique, Juin 2017, Paris.

Préfecture de Mayotte, Communiqué de presse sur le Port de Longoni, 3 Septembre 2017, Dzaoudzi.

Olivier BENSOUSSAN , La mer, menace ou espoir de développement pour Mayotte ?, Les Cahiers d’Outre-mer, Oct.- Nov. 2009, Bordeaux,  p. 489-512.

Patrick ROGER, Journal Le Monde,  À Mayotte, le port de commerce de Longoni à la dérive, La Cour des comptes s’alarme de la paralysie d’une infrastructure vitale pour l’île, Janvier 2018, Paris.

Chambre Régionale des Comptes - Mayotte, Rapport d’observations définitives, Département de Mayotte, Le port de Longoni, Exercices 2011 et suivants  - Observations délibérées le 8 mars 2017.

Anne PERZO-LAFOND, Port de Longoni : relaxe pour Ida Nel et J. Martial Henry, 6 mois avec sursis pour deux élus, Journal De Mayotte, 17 Octobre 2018.

Anne PERZO-LAFOND, Port : « La manutention n’entre pas dans le champ de la DSP », selon le Tribunal administratif, Journal De Mayotte, 28 Novembre 2018.

Anne PERZO-LAFOND, La SMART placée en redressement judiciaire, Journal De Mayotte, 05 Octobre 2018

Anne PERZO-LAFOND, La Fédération Nationale Ports et Docks CGT se prononce une nouvelle fois sur le conflit à Longoni, Journal De Mayotte, 05 Octobre 2018.

Anne PERZO-LAFOND, Autorité portuaire à Longoni : il faut trancher, appelle la ministre des Outre-mer, Journal De Mayotte du  17  Juin 2018.