Le Canada dans le giron des Etats-Unis par rapport aux enjeux cachés de l'usage des données ?



 

 

La problématique de la sécurisation des données et plus particulièrement dans le domaine bancaire pose le problème du décryptage des jeux de puissance. Si le Canada s'affronte parfois aux Etats-Unis à propos de mesures protectionnistes, il semble que sur le terrain stratégique de l'usage des données, il prend en compte la prédominance des Etats-Unis e ne cherche pas à s'y opposer.

L’écosystème des paiements canadiens se caractérise par une domination oligopolistique du système bancaire, qui repose exclusivement sur des banques canadiennes, issues d’un rapport de force historiquement favorable au développement d’entités interprovinciales, soutenues par le gouvernement, et l’Association des banquiers canadiens. Cependant, le rapport de force historique est profondément bouleversé par l’émergence et l’augmentation des usages des technologies financières, qui se développent hors des cadres traditionnels du système bancaire. Dans le domaine des paiements par carte, l’oligopole bancaire souhaitait, dans les années 1980, disposer d’un réseau sur lequel il pouvait exercer son contrôle. Au terme du rapport de force entre les principales banques canadiennes et les juridictions nationales, Interac a pu rester un acteur majeur malgré la compétition avec les fournisseurs de réseaux américains, Visa et MasterCards.

Aujourd’hui, dans un contexte international de déclassement relatif des banques canadiennes, leurs profits dépendent de leur aptitude à créer de nouvelles sources de revenus. Avec la transformation numérique du système financier, l’activité des paiements fondée sur la transaction est progressivement abandonnée pour intégrer une approche économique où la donnée personnelle est source de profit. Ce domaine a particulièrement été investi par les acteurs américains des circuits en boucle ouverte (Visa et Master Cards) et boucle fermée (Paypal), mais aussi par les géants de la technologie (GAFAM et NATU). Afin de permettre à la fintech canadienne de rester compétitive, les lobbies bancaires ont obtenu, depuis l’élection de Justin Trudeau, un assouplissement des contraintes juridiques du système bancaire, leur permettant de pouvoir collecter, utiliser et communiquer des données à des acteurs extérieurs. Loin d’une refonte du modèle opérationnel des banques, la relation entre ces dernières et la fintech réside davantage dans la collaboration que dans la disruption.

Cependant, seule la volonté de maintenir le secteur bancaire canadien au centre du système des paiements, et de soutenir la fintech canadienne, explique ce décloisonnement sectoriel. Désormais, au Canada, les géants de la tech, tout comme les acteurs de la fintech, bénéficient du gisement des données personnelles directement issues du secteur bancaire, sans que les régulateurs canadiens n’exercent de souveraineté sur la diffusion des données hors du territoire national (au regard du PATRIOT Act et du CLOUD Act). Ce paradoxe rentre en contradiction avec les projets des gouvernants canadiens en matière de cybersécurité. L’ouverture du système bancaire tend avant tout à améliorer la compétitivité sectorielle au sein de l’écosystème des paiements ; elle constitue un temps de respiration face à la pénétration des géants de la technologie américains sur le marché des paiements au Canada. Aussi, l’ouverture du système bancaire place la protection des renseignements personnels au cœur du rapport de force. S’appuyant sur l’image favorable des banques auprès des citoyens, le gouvernement, qui investit dans le développement des nouveaux moyens de paiement, tente de convertir les Canadiens réfractaires.

 

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Rapport réalisé par Alexandre Kahn, David Malicorne, Jérémie Saint-Jalm, Maéva Delaunay, Cédric Coulon, Lamothe Désir, Thomas Lancrenon.