Les menées offensives sur la viande artificielle : comment les investisseurs créent le futur eldorado

 



 

La viande artificielle, sortie tout droit de laboratoires, est devenue une réalité. Encore inaccessible pour le commun des mortels du fait de son prix, elle est cependant amenée à devenir un bien de consommation courant d’ici 2020 pour les plus optimistes, d’ici cinq à dix ans pour les plus réalistes. Pour Richard Branson, c’est dans 30 ans que toute la production de viande dans le monde sera « soit propre soit à base de plantes ».Cette innovation scientifique prend tous les aspects d’un cas d’école incroyable, à savoir celui d’une innovation arrivant sur un marché déjà prêt … soit l’inverse de toutes les innovations à ce jour.

En effet, plusieurs signes semblent indiquer que certains acteurs sont déjà en train de modéliser un marché propice à la réception de la viande artificielle. Ainsi, d’importantes personnalités du monde des affaires investissent dans les laboratoires se lançant dans l’aventure, et ce, non pas parce qu’un marché pourrait un jour éclore. Ils investissent car ils sont également actifs dans la création même de ce marché, tant en agissant sur l’idéologie pouvant le rendre éthiquement légitime qu’en agissant sur le cadre légal pouvant accueillir cette viande de substitution. Le but est simple : le premier sur le marché arrivant à produire une viande issue d’un laboratoire, et donc brevetée, deviendra de facto leader incontesté sur le marché.

L’objet de cet article n’est donc pas la légitimité du combat bien-être animal / vegan, ni sa critique. Bien au contraire, nous allons considérer que cette mouvance va gagner du terrain en Occident. Des acteurs puissants sont déjà en ordre de marche pour saisir un marché de plusieurs milliards d’euros. Si les organisations de type PETA ou L214 sont contre la consommation de viande, l’impossibilité de l’espèce humaine à se passer de cette source de protéine et de vitamine B12 nécessite de trouver une alternative viable. Ainsi, plusieurs investisseurs et laboratoires s’orientent vers une consommation de véritable viande, mais non issue d’un procédé classique élevage / abattage. Une viande issue des laboratoires, une viande qui outrepasse le besoin d’élever et de tuer des milliards d’animaux chaque année.

 

L’eldorado : le modèle pharmaceutique appliqué à l’alimentaire

Ce nouveau produit s’appuie sur deux anticipations dont on voit déjà les tendances aujourd’hui : la baisse de consommation de viande chez les occidentaux pour des raisons éthiques (bien-être animal) et la très forte augmentation de consommation de viande dans le reste du monde, dont l’impact écologique est une véritable bombe à retardement. Concernant le premier point, nous allons y revenir dans la suite de cet article. Le second point est quant à lui un véritable défi pour des milliards d’individus. En effet, la hausse de la consommation mondiale de viande va, selon la FAO, être 16% plus élevée en 2025 qu’en 2013-15. Cette consommation avait déjà augmenté de 20% les dix années précédentes. Si la consommation devrait rester stable en Occident, sa croissance va être tirée par les pays en voie de développement. Ainsi, Chine en tête, mais aussi Inde, Indonésie, Mexique, Pakistan et Vietnam vont devoir faire face à une très forte hausse de consommation. Et cela va représenter des millions d’hectares dédiés à la production de céréales pour nourrir les bêtes, des millions d’hectares pour les élever, et des millions de tonnes de CO2 en plus liés à la vie même de ces animaux. Et cela se traduira en plus par une déforestation toujours plus importante.

Les statistiques de la FAO donnent une valeur inestimable aux opportunités que représentent la viande artificielle. La production en laboratoire permet des économies d’échelle et une rationalisation quasi parfaite des besoins en eau et nutriments. Les chiffres parlent pour eux : le procédé n’utiliserait que 1% de la terre et 10% nécessaire à l’agriculture animale classique. C’est donc un marché mondial déjà en crise de production qui se trouve à portée des laboratoires. Point particulier de ce marché, c’est qu’il transforme le simple marché de la viande en le faisant passer de productions locales à un modèle de production équivalent à celui des laboratoires pharmaceutiques. En regardant de plus près, les deux modèles économiques sont équivalents : un besoin considérable en recherche & développement, puis une production à faible coût, protégée par des brevets, assurant la rentabilisation des coûts de R&D. Tout ce qui sort des laboratoires pharmaceutiques est protégé par les droits à la propriété, assurant des monopoles sur les formules chimiques pendant des décennies.

Et si demain, les steaks étaient brevetés ? Si demain nous n’avions pas d’autre choix que de nous fournir auprès d’un seul fournisseur de viande ? Si demain un laboratoire avait un monopole sur une production qualifiée d’éthique et fournissait plusieurs pays en viande artificielle ? Cette option est plus que jamais d’actualité, et les laboratoires n’ont qu’à tendre la main pour accepter les financements. Un exemple : l’entreprise Memphis Meat compte des investisseurs de renom : Bill Gates (Microsoft), Richard Branson (Virgin) et Jack Welch (ancien PDG de General Motors). L’entreprise est aujourd’hui estimée à 22 millions de dollars …

Il est intéressant de noter que de grands groupes dont l’activité principale est justement la transformation et la commercialisation de produits carnés investissent dans ces start ups :


Qui a dit que le marché n’était pas prometteur ?

 

 

Créer le marché : idéologie et législation

 

Le rapport « Comment perdre une guerre économique : l’exemple de la filière viande en France » met en avant les liens entre le milieu associatif pro bien-être animal – voir vegan, avec un important financier britannique, Jeremy Coller. Celui-ci, à l’initiative de l’association FAIRR (Farm Animal Investment Risk & Return) est arrivé à mobiliser 40 investisseurs, représentant ensemble la gestion de 1,25 billions de dollars dans le but d’influencer les multinationales de l’alimentaire afin de les inciter à trouver des alternatives à la viande. Parmi ces groupes, nous pouvons déjà citer Nestlé, Kraft Heinz, Unilever, Tesco, Walmart. Les moyens de pression de ces investisseurs peuvent se faire de différente manière :

  • En se retirant des participations de ces entreprises, et en les condamnant publiquement, avec les effets que l’on sait sur la publicité et sur le cours de bourse

  • En investissant directement dans les entreprises afin d’en orienter la politique.


 

Changer les acteurs existants 

Cette dernière option a déjà fait ses preuves. L’association PETA, dont les dons de 2018 se sont élevés à plus de 54 millions de dollars, en est le chef de file, suivant le credo « si vous ne pouvez pas les battre, rejoignez-les ». Si elle ne peut pas gagner sur le front, elle changera les entreprises de l’intérieur. Ainsi, l’association a déjà pris des parts dans la chaîne de fast food Shake Shack, afin de forcer la chaîne à proposer des burgers vegan. Elle avait déjà investi chez MacDonald’s pour des raisons de souffrance animale. Elle a également pris des parts dans la marque de luxe Prada, afin d’interdire la commercialisation de sacs en cuir d’autruche, et dans SeaWorld là encore pour des raisons de souffrance animale. Au total, PETA aurait investi dans plus de 70 entreprises afin de mener l’activisme jusque dans les réunions d’actionnaires et de proposer des solutions alternatives.

Cette tactique d’investissement est mise en avant par la fondation FAIRR de Jeremy Coller. Toujours dans le rapport sur la filière viande, les discours de l’investisseur britannique sont on ne peut plus clairs : « Issues associated with factory farming present an iceberg of risks to investors. Above the surface, scandals such as swine flu, avian flu and horsemeat have shown how poor animal welfare and industrial production methods can lead to value destruction. But more than this, FAIRR believes that under the surface there is a wide range of risks, all linking back to this method of livestock production, which could damage long-term performance for investors. »

 

Le message est clair : n’investissez pas dans les entreprises exploitant les animaux. Ce genre de propos pourrait sembler inoffensif venant d’un militant lambda, mais n’oublions pas que le milliardaire s’adresse à un panel valant plus de mille milliards de dollars …

 

Attaquer le marché par le consommateur

Toutes ces associations, dont on le sait enregistrent des dons conséquents, sont également experts dans la diffusion de rapports, condamnant tous la production et la consommation de viande. Ces rapports ont la particularité d’attaquer le consommateur sur différents fronts, en multipliant les arguments afin d’en avoir au moins un pouvant toucher sentimentalement chacun d’entre nous :

  • Le traitement inhumain et la quantité d’animaux tués : la comparaison systématique avec la Shoah, dont les meilleurs passages ont même une page Wikipedia.

  • Les conditions d’élevage et d’abatage : jouer sur le dégoût et la souffrance animale – ici ce sera le cheval de bataille de L214

  • La dimension écologie : rapports sur la déforestation, sur la consommation d’eau, sur les émissions de CO2

  • La dimension humaniste : « si toutes les terres agricoles dédiées à nourrir les animaux l’étaient pour les humains, il n’y aurait plus de faim dans le monde »


Le but est simple, faire en sorte que le consommateur assimile que la consommation de viande soit un problème, et qu’il veuille trouver une alternative. On le voit déjà dans les chiffres de la FAO, le mouvement a déjà pris, les occidentaux sont déjà sensibilisés sur le sujet, la consommation de viande baisse de manière régulière.

 

Nouvel allié : le législateur

Partie prenante cruciale pour ce marché : le cadre légal. La viande artificielle va soulever des problématiques d’hygiène, et va devoir se conforter à la règlementation dans le cadre de son arrivée sur le marché. Avoir une législation prête à l’accueillir est donc primordiale, surtout lorsque les laboratoires pourront produire de manière industrielle. Comment influencer le législateur ? Là encore, nous assistons à un cas d’école. Tout d’abord, il faut prendre en considération que le législateur est influencé par les mêmes médias, les mêmes idées que le consommateur dans ce domaine : lui aussi est sensibilisé au bien-être animal, à la consommation de viande, etc. De plus, il lui est demandé de travailler sur des problématiques environnementales ; et le consommateur-électeur est en demande de réformes écologiques et éthiques. Voter pour un cadre complaisant avec ce nouveau produit ne contraint finalement personne, et c’est même une publicité sans conséquences négatives pour le législateur. Après tout, lui aussi prend part dans le combat contre le mal …

Et il peut être activement aidé ! Que ce soit Pamela Anderson, ambassadrice de PETA, qui visite les couloirs l’Assemblée Nationale, ou le CIWF (financé par Jeremy Coller) dont les actions de lobbying vont jusque dans ceux du Parlement Européen afin de faire reconnaître la souffrance animale … il n’y a plus de limite.

Est-ce que cela porte ses fruits ? Une fois de plus, la réponse se trouve aux États-Unis. Le 16 novembre 2018, l’administration américaine a révélé le cadre réglementaire pour la commercialisation de la viande artificielle. La commercialisation sera encadrée par le ministère de l’Agriculture et l’agence en charge de la sécurité alimentaire (FDA – Food and Drug Administration). Les réactions ne se sont pas fait attendre : « les gouvernements d’Israël, du Japon et de Singapour ont déjà fait part de leur intérêt pour cette importante technologie alimentaire ».

 

Conclusion : L’or rouge, déjà un enjeu stratégique

Les milliards de dollars que représentent ce marché ne sont pas pris à la légère. Une fois de plus, ce sont les investisseurs anglo-saxons qui ont senti le coup venir, et qui ont décidé de s’approprier le marché. Tous les éléments de la guerre économique y sont présents :

  • Lobbying appuyé

  • Communication offensive auprès du consommateur

  • Investissements dans la R&D

  • Investissements dans les entreprises du secteur, futur relais pour la nouvelle viande

  • Cadre législatif déjà existant aux États-Unis


On le sait, la production de viande va devenir un enjeu crucial, et les acteurs sont déjà prêts à s’emparer du marché. Plusieurs pays voient déjà la viande artificielle comme une possibilité de s’affranchir d’une dépendance vitale. Et lorsque le produit sera prêt, la phase suivante sera celle que les américains maîtrisent le mieux : la lutte mondiale du bien contre le mal.

 

Olivier Mery