Les puissances étrangères développant des actions de soft power en France

 

 



 

Les sociétés occidentales apparaissent de plus en plus soumises à des interférences informationnelles alimentées par des puissances étrangères pour servir leurs intérêts. Il se confirme ainsi que les affrontements entre pays se déroulent aussi sur le domaine de l’information et le terrain des opinions même en temps de paix. nous questionner sur l’exécution de ces stratégies nous a conduit logiquement à considérer la contribution de l’un des leviers de l’expression de la puissance dans ce registre : le soft power.

Le concept de soft power trouve son origine dans les écrits du professeur américain Joseph Nye qui l’a explicité pour la première fois en 1990. Dans les relations internationales, le soft power est la capacité d'un État à obtenir ce qu'il souhaite de la part d'un autre État sans que celui-ci n'en soit même conscient. Il s’agit donc d'influencer indirectement le comportement de cet autre acteur à travers des moyens non coercitifs : organisations internationales, culture ou idéologies. Affiné par la suite, il s’inscrit fondamentalement en opposition avec la coercition, notamment par la force militaire, ressort du hard power. Compte tenu de l’intensification évidente des rapports de force et conscients de l’enjeu intérieur qu’il constitue pour le pouvoir français, nous nous sommes orientés dans cette étude vers un objectif clairement opérationnel : établir un état des lieux des actions de soft power de puissances étrangères en France, mais surtout doter les décideurs publics d’un outil de cartographie et de mesure dédié à ce type de stratégie. A cette fin, nous avons entrepris la conception et l’expérimentation d’une matrice d’analyse d’une expression de soft power.

L’analyse du cas de la France, en tant que théâtre d’opérations où plusieurs puissances tentent de mener leurs stratégies, permet de tirer quelques tendances, dont celle du caractère générique du soft power. En effet, les stratégies dignes d’y être catégorisées sont aussi diverses que les puissances émettrices étudiées, à savoir, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, la Chine, la Russie, le Monde Arabe (pays du Golfe et Maghreb) ou encore Israël.

Plusieurs facteurs (forces et faiblesses respectives des pays, historique des relations bilatérales …) conditionnent la nature du rapport de forces entre l’émetteur de la stratégie de soft power (les puissances étrangères) et le récepteur (la France) :  séduction unilatérale (cas des Etats Unis sur la France), fascination/dépendance technologique (exemple d’Israël) ou économique (cas du Qatar), … Etc. En tout état de cause, le soft power est rarement mené d’une façon autosuffisante. Il est toujours épaulé, légitimé et crédibilisé par plusieurs vecteurs, lesquels sont fonction de la stratégie d’influence et de l’objectif (la cible) du pays émetteur.

Le travail d’élaboration de la matrice susvisée a emprunté une voie innovante et exploratoire dans la lecture du soft power d’un pays. S’y mêlent en effet une déconstruction empirique en éléments fondamentaux de cette expression de puissance avec l’emploi de concepts issus de l’univers du management stratégique. Il s’agit de saisir la dimension systémique du soft power, animée de dynamiques internes mais aussi d’interactions extérieures et de mécanismes autorégulateurs. Cette tentative de combinaison de deux structures de pensée aussi éloignées s’inscrit face à deux urgences qui ont motivé cette volonté de compréhension plus aboutie de cette puissance : la nécessité de parer à son efficacité et la « course à l’armement » international dans le domaine du soft power.

L’étude s’est « servie » du territoire français comme périmètre d’expérimentation de la matrice d’analyse d’une action de soft power, via le prisme de deux exemples : les soft powers chinois et britanniques. Les résultats de cette démarche constituent les premiers pas d’une réflexion qui ne pourra qu’être itérative et transdisciplinaire tant le sujet est polymorphe.

Face à l’évidente importance du soft power, il conviendra d’actualiser une célèbre question ancrée dans la seule considération du hard power désormais dépassée. Pour chaque pays, il conviendra de se demander non seulement combien de divisions ? Mais également combien de … « followers » et de « likes » ?

 

Bruno Goutard, Leila Sarfati Ghilas, Nawfal Bakhat, Yannick Olivier Offroy, Yannick Mouafo-Pehuie


 

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