Les faiblesses endémiques françaises dans la défense des intérêts économiques en Afrique

 


 

En Afrique, les sociétés françaises deviennent la variable d'ajustement dans l'obtention des grands contrats et ne pourront éternellement jouer les n°3. Américains, Chinois, Russes, allemand, Japonais, Turcs et même Brésiliens montent au créneau sur chaque contrat avec détermination. Mais parmi les grandes nations la suprématie économique semble clairement se disputer entre Etats-Unis, Russie et Chine. Même si l’Allemagne le japon et la Turquie acquièrent (ou ont acquis) des position forte. Secteur automobile, avionique, agriculture, énergie, armement … pas un secteur n’est en reste des positions des nations citées. Deux arguments de poids supplémentaires – je suis tenté d’écrire - vont peser sur l’accélération du développement du continent : la ZLECA (Zone de Libre Echange Continentale Africaine) qui exigeait 22 pays signataires, est ratifié depuis le 2 avril par la Gambie 22ème cosignataire. La plus grande zone économique mondiale sera donc lancée en juillet prochain à Niamey. Enfin les chantiers d’ouverture du ciel d’Afrique en un espace unique (sans parler de la « taxe Kagame » pour assurer une indépendance financière de l’Union Africaine…) sont en bonne voie.

 

Des immobilismes incompréhensibles

L’immobilisme étatique et consulaire français fait donc vraiment tâche. Sur le plan de l’assistance diplomatique, il n'existe aucune vision stratégique du continent. Les services de l'Etat (consulaires et ambassade) semblent déconnectés. Ils ne servent qu'à "remplir" les demandes étrangères de visa vers la France qui grossissent considérablement. Les fonctionnaires en charge de cela s’en lamentent, en revanche aucun ne considère que l’appui aux responsables économiques français n’est une nécessité. Les pays entreprenants comme l'Allemagne, la Turquie, la Chine la Russie appuient les initiatives de leurs nationaux sur place et "chassent en meute". Tous les moyens étatiques sont mis dans la course aux nouveaux contrats : président, ministres, ambassadeurs (…) jouent aux côtés des entreprises : que ce soit la Russie, la Chine, le Japon ( agence d’état JETRO)... Lorsque la chambre économique américaine remet des prix d’excellence c’est l’ambassadeur des états unis lui même qui officie. En France, les deux entités état et entreprises sont trop éloignées. Même si des initiatives individuelles de consuls se sont distinguées dans des appuis ponctuels. Cet état de fait est une fragilité palpable pour tous nos interlocuteurs qui observent nos faits et gestes (ici au Maroc et en Afrique)  En pareil cas les services de l’état ont vite fait de se défausser de leur obligation ; je me suis personnellement entendu répondre par une chancelière de consulat français « mais pourquoi vous êtes mis en pareil situation » On croit rêver. Certes Le Président Macron a rappelé à l’ordre sur le point de l’assistance de l’Etat aux entreprises avec vigueur lors de la dernière « conférence des ambassadeurs » les sus nommés. Des ricanements et une certaine incrédulité ont parcouru l’assemblée présente.  Le président applique-t-il à lui même cet appui inconditionnel aux entreprises française à l’étranger ?

 

Aucune protection des acteurs économiques français à l’étranger

Les cadres et personnalités économiques françaises ne bénéficient d'aucune protection de l'Etat français. Sans aller jusqu’à l’affaire Carlos Ghosn qui n’est pas le sujet présent, C'est le cas par exemple au Soudan actuellement où deux jeunes Français ont été torturés et mis en prison dans le plus parfait immobilisme des services de l’Etat. Et que l’Etat se le tienne pour dit « aller à l’étranger c’est prendre des risques y compris pour maintenir notre pays à un niveau de vie acceptable ». Et « savoir prendre des risques » pour paraphraser Oliver Dassault « c’est pour ne pas en prendre de trop grands ». Nous accompagner est donc « leur job ».

 

Des pays étrangers qui peuvent compter sur la parfaite « collaboration » de la presse et de (certains) juges français dans la déstabilisation de notre économie en Afrique

Les Russes lancent depuis l'Afrique centrale une communication "antifrançaise" bien relayée par la Chine déjà numériquement présente sur le sol africain. Les estimations sont difficiles mais le million est déjà largement passé et –par exemple- la présence massive de la Chine dans l’archipel du Cap vert au milieu du Pacifique en dit long sur les intentions stratégique du pays (financements massifs en millions de dollars). Les grands contrats français ne sont donc pas accompagnés. Que dire des autres…Mais il y a pire : lorsqu'ils sont signés, la presse d'investigation française (relayée par des juges aux couleurs politiques marquées) lancent des enquêtes sur les chefs d’entreprise française qui prennent des risques et qui ont pu signer ces contrats de haute lutte. Lorsqu’une entreprise chinoise obtient un marché dans les BTP – par exemple au Cameroun- la stratégie est redoutable. Tout d’abord se sont des repris de justice qu’elle envoie (donc non payés) sous le contrôle de contre maître eux du métier. Les travailleurs dorment et vivent jour et nuit sur un chantier complètement clos. Le jour de la fin des travaux, les « travailleurs « sont relâchés…mais sur place. Devant d’une part une organisation spécifique peu élaborée (travail de prisonniers) mais concrète et constat de faiblesse du côté français, il n’est pas surprenant que des forces hostiles profitent de la situation.

Les opposants de tous bords sont en situation d’orchestrent ou d’attiser des "crises informationnelles" qui portent atteinte aux intérêts de nos entreprises : Orange en Afrique de l'ouest et centrale et plus proche de nous Danone mis à terre à la suite d’une crise qui a commencé en avril 2018 et qui a affecté le chiffre d’affaires du groupe dans ce pays : - 538 millions de déficit pour l’exercice 2018). Ces situations conflictuelles ne peuvent être résolues depuis Paris.  Les attaques informationnelles sont toutes "relayées ou aidées" par des intérêts divers locaux (individuels, privés ou parapublics ...). Les groupes français qui ont obtenu les contrats, sont juste accusés « de faire leur travail ».Explications : tous les marchés africains requièrent des « aides » additionnelles, car ce sont les donneurs d’ordre eux-mêmes qui les exigent systématiquement : Allemands, Chinois, Russes, américains le pratiquent : retrouvent-on leur chefs d’entreprises dans les tribunaux de leur pays respectifs lorsqu’ils obtiennent de nouveaux marchés ? Assurément non car cette pratique est la norme. Mais les répercussions vont au-delà : un homme d’affaires coutumier de l’Afrique de l’ouest témoigne «  le Gabon rechigne à signer des contrats, la notion de discrétion autour des relations économiques n’est plus respectée et ils risquent tous d’avoir des problèmes sur leurs avoirs français à cause des média et des juges » (Bolloré). Aux yeux et vues des donneurs d'ordre africains qui subissent en retour une image dégradée et risquent eux-mêmes de voir leur nom dans les colonnes « affaires » des médias français. Or, les entrepreneurs français s’ils veulent maintenir leur activité ou tout simplement exister doivent répondre aux conditions d'obtention de marché auxquelles doit se soumettre tout contractant et pas seulement français sur un des marchés clé à croissance annoncée des années à venir.

 

L’affaire des visas de travail des français qui traine au Maroc depuis …1987

A condition de pouvoir obtenir des visas dans les pays concernés. Au niveau d'un pays comme le Maroc, les conditions d'obtention des visas de travail (même en situation d'investisseur) sont très compliquées, malgré les accords passés entre la France et le Maroc depuis 1987... et toujours non respectés par l'administration marocaine. Pendant toutes ces années, pas un seul fonctionnaire consulaire français n'a suivi ou poussé le dossier dans le sens d'une application. Il s'agit là d'un non problème sur lesquels les médias spécialisés dans l'économie ne disent rien. L'expatriation est de plus en plus une démarche spontanée et individuelle, qui est à "aux risques et périls" de l'individu qui ose passer à l'acte alors que des milliers de non Français bénéficient d'une couverture minimum en arrivant en France. Tout un dispositif proposé depuis la caisse d’assurance maladie à pôle emploi… Bref des milliers de fonctionnaires qui volent à l’aide de gens qui nous ont apporté quoi exactement ? Les plus choqués sont les binationaux qui, à leur retour en France déclarent : " alors qu’on travaille et que nos parents ont travaillé pour la France à l'étranger, on n’a rien .. » Tant et si bien qu’on en vient à rêver de dispositif réciproque « 2000 ressortissants aidés financièrement et socialement par l’état français sur le sol français coûtent tant », une négociation entre état peut voir le jour : et nous il y a tant de ressortissants français, que leur donne-t-on en échange ? Cela serait juste non ? Ne serait-ce pas une saine négociation ? … La France est pourtant le premier pays investisseur au Maroc. Et le contingent des cadres français au Maroc œuvre pour des intérêts communs au Maroc et à la France. (cf Danone qui rachète Centrale Laitière …). Attention ces propos ne doivent pas être déconnecté de son contexte, l’auteur précise qu’il aime son pays, le Maroc et l’Afrique, il ne relate que des faits.

 

Les grandes entreprises dépassées par un manque de réelle vision stratégique.

Jusqu’à présent, l'Etat ne bouge pas. Les entreprises doivent donc s'organiser à leur niveau lorsqu'elles en ont les moyens. Manquement de l’état mais pas seulement car la véritable information n’arrive jamais en France. D’une part les chaines françaises trient l’information et ne parlent que de l’Afrique qui souffre et non qui se construit. D’autre part, l’information aujourd’hui est dispatchée selon les bouquets satellites et les GAFA (parfois les deux satellite + fibre optique) Ce découpage de l’information par les GAFA assurent une distribution « étanche et segmentée » des informations pays par pays et redécoupe ainsi un monde que l’on croyait totalement et en apparence ouvert. L’organisation des entreprises est ainsi dépassée. Par exemple dans le cas de la "sécurisation du périmètre institutionnel dans les pays africains", il serait judicieux de créer des postes locaux en Afrique afin de traiter ce type de menace non seulement avec la réactivité requise mais surtout de traiter en amont avec une communication adaptée au contexte local (souvent très différent de celui qui s'applique à la France). Précisions qu'aucun schéma de Risk Management ne prend en compte une telle problématique étrangère au mode de réflexion de la culture managériale française enseignée dans les grandes écoles de commerce ou à l'INSEAD. Les cadres français y compris d’origine africaine ne sont pas formés à ce type de problématique, que ce soit en école de commerce ou école d’ingénieur.

 

Des solutions à portée de main

Le cas de la crise Danone au Maroc est à ce niveau dramatique et je le répète malheureusement une illustration de ce phénomène qui va se répéter. Une « bonne influence » et un comportement constructif et lucide et combatif de notre état nous mettrait à l’abri de plus de 80 % des problèmes. En premier lieu faire respecter les accords internationaux. Car l’effet endogène est plus efficace que les actions exogènes. Nous nous détruisons mieux que ne pourraient le faire nos compétiteurs (pour ne pas utiliser un autre mot),   Que traduit donc cette constatation : La France paie « cash » un certain nombre de faits :

  • L’éloignement de LA priorité économique (et de toute l’économie) est donc d’un appui sans faille de l’administration française auprès des entreprises de toute taille. CE QUE TOUS LES PAYS DU MONDE PRATIQUENT, nous nous pratiquons l’inverse…

  • L’absence d’objectifs politique économique et donc de politique de « projection économiques »

  • La France tourne le dos à un continent qu’elle connaît mieux que personne.

  • Les fonctionnaires non formés et qui sont « en roue libre » font des catastrophes. Alain Juppé m’avouait pendant les élections «  Sous Hollande il n’y a plus de patron dans les administrations, elles s’autogèrent seules ». La situation a-t-elle changé ?


Les atouts sont cependant là, une connaissance du continent quasi historique, une armée qui elle avec des moyens modestes fait un boulot magistral, des individus qui avec leurs propres économies partent réaliser un projet professionnel ou personnel. J’ai notamment deux exemples en tête. Un chocolatier Bisontin au Cameroun qui plante ses cacaoyers. Un ex-concessionnaire automobile qui part au Sénégal avec sa collection de perroquet et installe prés de Sali un élevage …

Vouloir se projeter à l’étranger est une nécessité vitale du pays – c’est le prix à payer pour le minima de confort d’un pays tel la France –ne pas accepter cela c’est vouloir se priver du confort dont nous avons bénéficier jusqu’à présent et donc perdre la possibilité d’une organisation notamment sociale de notre pays. L’administration « regarde » l’étranger comme quelque chose d’annexe et d’accessoire. D’où un réel malaise parmi la grande communauté des «  français de l’étranger » qui ont l’impression d’être considérés comme des  nantis et exilés fiscaux .Ils sont la pointe de notre action. Aidons-les et on se rendra service. Le cas de l’école française à l’étranger (qui coute environ 3500 euros par an par enfant) est à regarder de prés avec la vision adaptée à nos besoins et ambitions. Si l’on perd notre présence en Afrique, on perd nos chances d’avenir. Il est plus que temps de changer nos paradigmes et de faire bouger les lignes. Mais attention cela sera insuffisant quant aux forces en présence ; une démarche structurée d’accompagnement de notre économie devient une impérieuse et urgente nécessité en Afrique avec une réelle connaissance de ce qui s’y passe. Pour un continent à majorité francophone quelle ironie !

 

Julius Edwards