Les entreprises hexagonales sont-elles victimes de la défaillance stratégique de la politique française au Tchad ?

 


 

Faisant partie du ‘’ pré-carré ‘’ français, pays de l’Afrique Centrale, le Tchad a une superficie de 1 284 000 km² soit 1.5 fois la France, pour une population d’environ 15 000 000 d’habitants.  Il regorge d’énormes richesses naturelles :

  • Des métaux précieux : or, argent et platine ;

  • Des minerais métalliques : cuivre, plomb, zinc, chrome, nickel, fer, titane, manganèse, tungstène, aluminium ;

  • Des pierres gemmes : diamant ;

  • Des substances minérales industrielles : calcaire, marbre et pierres ornementales ;

  • Des matériaux de construction : graphite, talc schistes, kaolin, sable de verrerie, diatomites et gypse.


Disposant de plus de 113 000 000 de têtes de bétails (bovins, caprins, ovins, porcins etc.) , le Tchad se hisse à la seconde place africaine en élevage et premier exportateur mondial de la gomme arabique et dispose d’énorme potentialités en agriculture. Malgré ses avantages et potentialités naturelles, le Tchad demeure presque toujours dans la queue de peloton des pays les plus pauvres au monde car il y’a un manque criard des infrastructures et technologies pour lui permettre de valoriser ses ressources. Selon le classement 2018 du Programme des Nations Unions pour le Développement (PNUD)  le Tchad est classé 186e pays sur 189e en Indice de Développement Humain  (IDH). Ce pays subit une corruption endémique. Il occupe la 165e place sur 180 pays dans le classement fourni par l’ONG Transparency International.

 

Le contexte.

Héritier des modes d’organisations administratives, économiques, législatives et judiciaires de la France après son indépendance le 11 août 1960, le Tchad, colonie Française  a beaucoup des similarités avec la France car les deux pays ont signés des nombreux accords sur le plan économique, diplomatique  et de défense. Il est important de souligner que même dans un passé récent, on notait la présence des conseillers techniques français dans beaucoup de départements ministériels. Appelés Coopérants, ils avaient pour mission de conseillers les Ministres et les directeurs généraux des ministères pour une assistance technique. La France occupait une place de choix dans les relations bilatérales avec le Tchad.

Sur le plan économique, avant l’avènement de l’ère pétrolière, les deux (02) mamelles de l’économie tchadienne étaient l’agriculture et l’élevage. L’exportation agricole tchadienne était basée principalement sur le coton par le biais de la Cotontchad (ex Cotonfran) et la gomme arabique où le Tchad en est le deuxième exportateur mondial après le Soudan . Malgré l’indépendance de la République du Tchad le 11 Aout 1960, les Directeurs Généraux et quelques responsables du fleuron de l’industrie agricole tchadienne qui est la Cotontchad étaient des Français et cela plus de 30 ans. Il est important de souligner que le coton était la plus importante source de revenue financière du pays avant l’exploitation du pétrole de Doba dans le Sud du Tchad en 2003. Dans le secteur d’élevage, en tenant compte du chiffre avancé par le le coordonnateur du bureau central de recensement général de l’élevage, M. Mahamat Tahir Nahar suite aux résultats   du recensement général de l’élevage au Tchad par en date du 3 mai 2018, à l’hôtel Hilton de N’Djamena, le Tchad dispose de 113 560 000 têtes de bétails (Bovins, Ovins, Caprins, Camelin, Porcins etc.) ce qui place ce Tchad, deuxième pays d’élevage en Afrique. Malgré cet avantage, le Tchad dispose d’un seul abattoir (abattoir Frigorifique de Farcha) implanté en 1958  et géré pendant longtemps par des coopérants français et se trouve actuellement en état de  vétusté et peine à répondre au besoin actuel. L’élevage constitue la troisième source de revenue de l’Etat tchadien.

La France a toujours demeuré présente dans les relations stratégiques (économique, politique, diplomatique etc.) avec le Tchad. C’est pourquoi on notait à un moment la présence hégémonique des multinationales françaises qui occupaient une bonne partie de l’espace économique de ce pays.

On peut citer :

  • La SOGEA-SATOM, filiale du groupe Vinci qui est la première entreprise de construction en France et mondiale.

  • Colas et David Terrassement filiale du groupe Bouygues Construction qui est la deuxième entreprise de BTP en France.

  • ELF (la défunte mère de TOTAL) qui avait le monopole de distribution des produits hydrocarbures.

  • La CFAO Motors qui commercialisait les véhicules surtout de fabrications françaises.

  • SOCOPAO (racheté par le groupe Bolloré).

  • Les groupes hôteliers Novotel et Méridien.


Toutes ces multinationales françaises avaient du vent en poupe sur l’échiquier commercial Tchadien car elles étaient les seules actrices et maîtres du jeu. Dans le temps les marchés leurs étaient attribués quelques fois par gré à gré ou appel d’offre de façade.  Les entreprises françaises avaient la mainmise sur l’économie Tchadienne.

Aujourd’hui il est désolant d’assister à la perte en grande vitesse des parts de marchés des entreprises françaises sur le territoire tchadien et cela a entraîné une disparition des certaines multinationales comme la Société Colas et David Terrassement, la perte du monopole bancaire de la Société Générale. Le groupe TOTAL fait une concurrence rude avec des entreprises nationales et autres multinationales dans la distribution des produits pétroliers. La CFAO Motors peine à ventiler des marques françaises au profit des marques japonaises. La SOGEA-SATOM est maintenue sous perfusion par des financements ponctuels de l’AFD (Agence Française de Développement).

Les PME françaises n’arrivent pas à s’implanter sur un territoire communément appelé pré carré Français. Mais le plus grand paradoxe relève du renforcement de la force militaire française sur la base militaire Sergent Adji Kossei implanté dans le deuxième arrondissement de la ville de N’Djamena depuis 1986 au nom de la sécurité. Tout cela en défaveur des entreprises françaises qui sont abandonnées à leur triste sort.

 

La confrontation autour du pétrole tchadien 

La perte par la multinationale française ELF (actuel TOTAL) est due à une défaillance stratégique de la vision économique de la multinationale et de la stratégie de la politique Française au Tchad. Selon le journal français Libération, en 1993, la France s'était livrée à un chantage politico-financier pour faire entrer Elf dans le capital du consortium anglo-saxon. Et Subitement contre toute attente la multinationale française s’est retirée unilatéralement du consortium pétrolier Tchadien en novembre 1999 et cet acte a provoqué une manifestation anti française au Tchad. Les manifestants ont même brûlé le drapeau tricolore français. C’est l’ambassadeur Alain Du Bois Péan qui a informé le président Tchadien et comme argument le représentant d’ELF affirmait que le Tchad n’était pas une priorité. Sur ce fait la France a perdu le pétrole tchadien de KOME au profit d’une multinationale d’un pays allié qui est les Etats Unis.

Une décennie plus tard , on assiste à l'arrivée sur le terrain pétrolier tchadien de la multinationale chinoise CNPC (China National Petroleum Company ) pour l’exploitation et  l’implantation d’une raffinerie à Djarmaya à 40 km au nord de N’Djamena. Le slogan phare était " le partenariat gagnant-gagnant’", argument de base de la stratégie chinoise pour conquérir un pays. La multinationale française TOTAL se confine au rôle de distributeur des produits pétroliers au même titre que les minuscules distributeurs nationaux. Les multinationales chinoises s’engagent dans les champs pétroliers dans la partie nord du Tchad (site pétrolier de RIG-RIG) dans la région du Kanem. Et la France ne s’est toujours pas manifestée pour faire son entrée en jeu dans le secteur d’exploitation pétrolière au Tchad.

 

La confrontation dans le secteur de la construction

Le mastodonte Vinci par le biais de sa filiale SOGEA SATOM a perdu presque toutes ses parts de marchés au Tchad au profit de la multinationale Chinoise de BTP la toute puissante CGCOOC. A l’heure actuelle la SOGEA SATOM est maintenue sous perfusion grâce au financement ponctuel de faible envergure de l’Agence Française de Développement. Les entreprises de BTP telles Razel Bec (groupe Fayat), David Terrassement  ont juste plié bagages car elles n’arrivaient plus à gagner des marchés vu la complexité du système de marché publics Tchadien gangrené par un large système de corruption. Et ces entreprises n’ont pas la culture de corruption pour leur permettre de rester sur le marché.

Cette corruption a été dénoncée et décrié à plusieurs reprises par le président de la République Tchadienne Idriss DEBY ITNO publiquement et cherche les voies et moyens pour y remédier. La France soutien stratégique militaire Tchadien ne peut-elle pas apporter son expertise dans lutte contre la corruption dans son ensemble pour renflouer les caisses de l’Etat tchadien et permettre à ses entreprises compétentes de rafler ou d’augmenter leurs parts de marché ?

La chine a même implanté une cimenterie au Tchad (cimenterie de Baoré) or le groupe cimentier français LAFARGE est implanté à Figuil au Cameroun depuis des décennies à un jet de pierre du Tchad. Malgré le boom de la construction des infrastructures au Tchad, le groupe LAFARGE n’a pas eu l’ingénieuse idée de s’y implanter. En 2018 c’est au tour du cimentier marocain CIMAF de s’installer sur place. Actuellement, on peine à voir les ciments produits par LAFARGE dans les rayons de ventes.

 

La confrontation dans le secteur automobile

Les marques Peugeot et Renault qui font la fierté de l’industrie automobile française étaient les marques prépondérantes du parc automobile tchadien au point où tous les membres du gouvernement et la presque quasi-totalité de l’administration tchadienne étaient dotés de ces véhicules.Après les années 2000 et surtout après la commercialisation du pétrole brute de Doba en 2003   on a assisté à la disparition progressive des marques française dans le giron du parc automobile tchadien dans son ensemble. Cette disparition s’est faite au profit des marques Japonaises en particulier TOYOTA. Il est important de souligner à ce titre que le Japon ne dispose ni d’une ambassade, ni d’une représentation quelconque au Tchad.

Malgré l’implication profonde de l’armée française par son assistance et budget alloué à sa base militaire pour la sécurité du Tchad et son omniprésence à tous les niveaux de l’appareil sécuritaire tchadien (armée, police, gendarmerie etc) , l’armée tchadien ne dispose pratiquement pas des véhicules de marques françaises. Le parc automobile de l’armée tchadienne est dominé par les marques japonaises.

Disposant des routes et des rues vétustes, le citoyen Tchadien a préféré les marques Japonaises principalement TOYOTA. Les véhicules Français ne sont pas adapté à la réalité du terrain car à part les quelques rares artères bitumées, le restant des voies routières est en terre. Et une bonne partie du territoire est désertique donc pas adaptée pour les marques françaises. Ce manque de bitumage est dû en partie à la corruption qui a indu des surfacturations des marchés décriés par la plus haute hiérarchie Tchadienne.

 

La confrontation secteur de l’agriculture et de l’élevage

La France fut la pionnière de l’installation de l’abattoir frigorifique de Farcha en 1958 car le pays disposait d’un énorme potentiel en matière d’élevage. A l’origine, cet abattoir était géré par des coopérants français. Un demi-siècle plus tard le Tchad ne dispose d’aucune unité de transformation des produits d’élevages malgré ses atouts.

En septembre 2014, le Président Tchadien a procédé à la pose de la première de la construction complexe industriel d’exploitation des ruminants, dans la zone de Djermaya, à une vingtaine de kilomètre  au Nord de de N’Djaména. Ce projet est cofinancé par le groupe TANA une société de droit Turc, la Banque de Développement des États de l’Afrique Centrale (BDEAC) et l’Etat Tchadien. Là encore les sociétés Françaises sont les grandes absentes d’un projet déterminant bien que ce soit la France qui est à l’origine du premier et plus grand abattoir au Tchad. La cotontchad (ex cotonfran) après plusieurs décennies de soubresaut, a vu entrée dans son capital à hauteur de 60% de  la multinationale Singapourienne OLAM .(lien) C’est pourtant  la France qui a introduit la culture du coton au Tchad et la création des différentes usines de conditionnement du coton. La Cotontchad dispose même d’une représentation à Paris. Il faut souligner également que le Singapour ne dispose d’aucune représentation diplomatique ou économique au Tchad.

Ces exemples sommaires attestent déjà la perte de la part du marché du secteur de l’élevage et de l’agriculture par les entreprises françaises car il n’y a pas une offensive des entreprises françaises proprement dite sur ce terrain de jeu.

 

La confrontation dans l’hôtellerie 

La capitale Tchadienne disposait de deux (02) hôtels emblématiques. Il s’agissait des groupes hôteliers français Novotel et Méridien. Tous ces deux hôtels sont cotés 3*. Pendant longtemps ils étaient adulés à N’Djamena et accueillaient presque toutes les grandes rencontres et cérémonies officielles de prestiges et étaient aussi les lieux privilégiés de rencontre de la bourgeoisie tchadienne et des expatriés.

En décembre 2005 les Tchadiens assistent à grand pompe à l’inauguration d’un hôtel cinq étoiles, Kempinsky (actuel Ledger Plaza), financé par LAFICO (Fonds Libyen d’Investissement Etranger) et le 21 décembre 2015 on note l’inauguration d’un hôtel cinq étoiles du groupe hôtelier américain Hilton par le Président de la République du Tchad Idriss Deby Itno. En juin 2017 on voit l’entrée en lice d’un hôtel cinq étoiles, le Radisson Blue, construit sur fonds propre de l’Etat tchadien, et actuellement un autre hôtel cinq étoiles (Hôtel Toumai) est en construction par un financement chinois. Devant tous ces consortium hôteliers, un complexe hôteliers français le groupe Accor fait son entrée avec un Hôtel trois étoiles (hôtel Ibis la tchadienne) en 2015. Cet hôtel est logé dans la même enceinte que le Novotel la Tchadienne.  On assiste à la perte du monopole[1] et prestige hôtelier par des groupes français sur le territoire Tchadien.

 

Offensive Commerciale ou simple effet d’annonce du MEDEF-International ?

En 2014, une forte délégation française[2] a rencontré le Président de la République du Tchad qui a demandé vivement aux entreprises Françaises de s’installer massivement au Tchad et d’investir dans tous les secteurs agricole, élevage, industries, pétrole etc. Et c’était aussi l’objectif premier de la mission du Medef International. Dans cette délégation figurait la société spécialisée dans l’habillement et l’équipement militaires MagForce international. Cette délégation du Medef International a même visité la Manufacture des équipements militaires (MANEM). En son temps, l’ambassadeur français Michel Reveyrand de Menthon avait déjà visité la MANEM le 25 juin 2012.

Mais en Janvier 2019, le Tchad a signé un protocole d’accord avec une firme turque Barer Holding, dans l’optique de la cogestion et de moderniser la MANEM afin de répondre aux besoins de l’armée tchadienne. Et en 2018 on assiste à l’entrée de la multinationale singapourienne OLAM à 60% dans le capital de la société cotonnière tchadienne (Cotonchad SN), toujours au détriment des entreprises françaises.

 

Une approche militaire au détriment d’une approche économique ?

La France semble avoir privilégié l’engagement militaire et politique au détriment de l’économie. Cela se matérialise par l’implantation d’une base militaire imposante où elle a déployé des avions de chasses et autres artilleries lourdes, renfermant presque un millier d’hommes. Positionnée au Tchad depuis février 1986 sur trois bases (N’Djamena, Abéché, Faya Largeau) à la suite de l’agression libyenne, l’armée française a plusieurs fois volé au secours des régimes de N’Djamena, notamment en avril 2006 lors de l’incursion des rebelles FUC, en février 2008 quand la coalition UFDD-UFR était aux portes de N’Djamena. En février 2019, lors de l’avancée des rebelles de l’UFR, on a assisté à l’intervention directe de l’armée française pour détruire la colonne rebelle. La France a également installé le quartier général de l’opération Barkhane[3] dans la capitale tchadienne à N’Djamena. Cette force dispose de près de 4500 hommes.

Au regard de ce paradoxe, on peut se demander si la France privilégie le terrain militaire quand les autres pays privilégient le terrain commercial. Cyniquement, d’aucuns pourraient en conclure que, la France sécurise militairement le Tchad pour permettre à d’autres pays d’occuper des postions économiques lucratives.

 

Brahim Zebe Smaila


 

[1] La délégation du MEDEF-International en visite d’affaire au Tchad était logée à l’hôtel Kempinsky au détriment des hôtels des groupes français.

[2] Cette délégation comportait en son sein des grands groupes français et avait une quarantaine de représentants.

[3] Nom donnée à l’opération pour réduire la menace terroriste dans cette partie du globe.