L’influence des fédérations sportives contre la reconnaissance du MMA

 


Le MMA (Mixted Martial Arts - acronyme anglais désignant les arts martiaux mixtes) est un sport de combat combinant des techniques empruntées à différentes disciplines. Il mêle le combat debout (techniques de percussion), le combat au corps-à-corps (techniques de projection), et le combat au sol (techniques de soumission).  Apparu dans les années 1920 au Brésil et exporté dans les années 1990 aux États-Unis puis en Europe, sa pratique fait l’objet de controverses, sur la base d’arguments moraux et éthiques, empêchant sa reconnaissance légale et institutionnelle. En 2019, les compétitions de MMA sont toujours interdites dans trois pays : la France, la Norvège et la Thaïlande. La présente contribution tend à analyser les enjeux socio-économiques dissimulés derrière les arguments moraux des détracteurs, ainsi que leurs réseaux d’influence.

 

Origine du MMA et stratégie marketing

Dans les années 1920 au Brésil, les frères Gracie adaptèrent des techniques de judo et de jiu-jitsu (importées du Japon par Mitsuyo Maéda), afin de briller dans les affrontements populaires de Valé Tudo (combat libre signifiant littéralement « tout est permis »). C’est la naissance du jiu-jitsu brésilien. Afin de prouver la supériorité de leur style de combat, les frères Gracie lancèrent le « Gracie Challenge », un défi ouvert aux combattants de tous horizons : karaté, boxe, lutte, capoeira, etc. Ces défis seront exportés aux États-Unis dans les années 1980 par Rorion Gracie, le fils d’Hélio Gracie. Violents et non réglementés, leur popularité sera immédiate et conduira Rorion à co-créer avec l’aide de deux hommes d’affaires, l’Ultimate Fighting Championship (l’UFC) : un tournoi de combat libre entre adversaires de styles différents. A l’époque, le MMA n’est pas encore une discipline à part entière. Le succès du premier UFC, qui se déroula le 12 novembre 1993 à Denver, popularisa le MMA. Mais la stratégie marketing de brutalité extrême choisi à l’époque par le producteur exécutif, et amplifiée à l’aune du deuxième UFC de mars 1994, avec une stratégie de désinformation, se retourna contre eux. L’accroche « chaque match durera jusqu'à ce qu'il y ait un vainqueur désigné - par KO, par capitulation, par intervention d'un médecin ou par sa mort », servit de base aux détracteurs du MMA pendant des décennies.

 

Un cadre normatif condamnant le MMA en des termes moraux et commerciaux

Les premières oppositions prirent la forme d’une condamnation politique sur la base d’arguments moraux. Dès septembre 1994, le sénateur de l’Arizona John McCain s’insurgea contre les « combats de coqs humains ». A l’occasion d’une audition devant le Congrès sur la santé et la sécurité dans la boxe professionnelle, il déclara que « le phénomène MMA n’est pas un sport », mais que sa pratique entraînait la « dégénérescence de la société ». Dénonçant « un sport brutal et répugnant, qui ne devrait pas être autorisé sur le territoire des États-Unis », il écrivit une lettre aux gouverneurs des cinquante États américains pour interdire ce type d’évènements dans leurs États respectifs. Ce registre moral et éthique fut repris par de nombreux sénateurs américains pour « mettre fin au combat humain, au combat honteux, animalier et dégoûtant qui peut causer de graves blessures aux concurrents et constitue un exemple abominable pour nos jeunes ». Après plus d’un an de campagne et un déferlement médiatique du New York Time, trente-six États américains bannirent les combats « où tous les coups sont permis » (no-hold barred).

Au niveau européen, l’interdiction se base sur un texte non contraignant du 22 avril 1999, émanant du Comité des ministres du Conseil de l’Europe. Les ministres des sports y recommandent aux États membres « d’entreprendre toutes les mesures nécessaires pour interdire et empêcher les combats libres tels que la lutte en cage ». Cette recommandation se base sur l’absence de règles appropriées à la lutte en cage, ainsi que le manque de valeur sociale et intégratrice « de la violence et des actes barbares commis au nom du sport ». En outre, les ministres estiment que ces « divertissements » sont « un danger pour les spectateurs, compromettant la santé des combattants et ont des liens avec des activités illégales, notamment les jeux d’argent ». Ainsi, outre l’argumentaire moral, les membres du Conseil de l’Europe rejettent également l’aspect commercial du sport. La recommandation R 92-13 relative à la Charte européenne du sport, qui vise à protéger le sport et les sportifs des dangers des pratiques abusives et avilissantes, va dans le même sens. Enfin, le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), entré en vigueur le 1er décembre 2009, pose expressément, en son article 165, que « l’Union contribue à la promotion des enjeux européens du sport, tout en tenant compte de ses spécificités (…) ainsi que de sa fonction sociale et éducative. L’action de l’Union vise (…) à développer la dimension européenne du sport, en promouvant l’équité des compétitions sportives (…) ainsi qu’en protégeant l’intégrité physique et morale des sportifs, notamment des plus jeunes d’entre eux ».

En France, la codification débuta en 2006 sous la responsabilité du ministre de la jeunesse, des sports et de la vie associative, Monsieur Jean-François Lamour. L’article L331-2 du code du sport dispose alors que « l’autorité administrative peut, par arrêté motivé, interdire la tenue de toute compétition, rencontre, démonstration ou manifestation publique de quelque nature que ce soit, dans une discipline ou une activité sportive lorsqu’elle présente des risques d’atteinte à la dignité, à l’intégrité physique ou à la santé des participants ». La même année, le Conseil supérieur de l’audiovisuel a interdit aux chaînes de télévision la retransmission des combats libres (dont le MMA). Le ministère des sports a toujours refusé au MMA son agrément. Il ne bénéficie pas d’existence légale via une fédération agréée, et n’obéit par conséquent à aucune exigence en matière de formations des professeurs. Néanmoins depuis 2008, le MMA jouit d’une reconnaissance partielle puisque la pratique et les entraînements de MMA en club sont autorisés. A ce titre, il peut bénéficier indirectement de certaines subventions, lorsque les sections MMA sont abritées par d’autres clubs olympiques.

En réponse aux critiques, dès le début des années 2000, l’UFC - au bord de la faillite - développa sa coopération avec les commissions sportives fédérées et élabora des règles au travers d’un manuel et de codes de conduite. Depuis, le MMA « moderne » repose sur des règles plus strictes encadrant chaque partie du combat et des combattants professionnels. Le MMA devient alors une discipline à part entière où chaque combattant est préparé à tous les aspects du combat, sous l’œil avisé d’un arbitre prêt à intervenir dès lors qu’un combattant n’est plus apte à se défendre. Pour autant, le discours moralisateur n’a eu de cesse de s’opposer à sa reconnaissance.

 

Une hostilité morale dissimulant des enjeux socio-économiques  

L’apparition d’un nouveau sport de combat entraîne une concurrence économique importante pour les sports existants. En effet, les subventions accordées par le ministère des Sports aux fédérations agréées sont conditionnées par l’atteinte d’objectifs, notamment l’évolution des effectifs licenciés. La fuite de licenciés entraîne ainsi la fuite de subventions. Selon l’ethnologue Catherine Choron-Baix, une guerre des pratiques surgirait à chaque diversification d’un champ sportif. Ainsi, trois activités sont devenues tour à tour l’objet d’une dénonciation morale : la boxe anglaise jusqu’au début du XXème siècle, le muay thaï dans les années 1980 et 1990 (concurrence préoccupante pour les fédérations de karaté et de boxe française), puis le MMA dans les décennies 1990-2000. Les oppositions dépendent des cultures nationales et sportives. En Suède par exemple, le MMA est admis alors que la boxe anglaise est interdite, car jugée trop dangereuse.

Enfin, l’hostilité cache également un désaccord profond sur le mode de gouvernance du sport. Le MMA est profondément ancré dans un système marchand et médiatique. Le modèle américain néolibéral de commercialisation du spectacle, s’oppose ainsi à la culture française du « schéma amateur et associatif, fédéralisé, centralisé et pyramidal, héritier de la tradition coubertinienne et âprement défendu par les pouvoirs publics français ». Le MMA brasse effectivement de grosses sommes d’argent. Dès 1994, le deuxième UFC engendra un chiffre d’affaires de près de 2 millions de dollars via la retransmission télévisée en pay-per-view (« télévision à la carte »). Mais les gains restent encore bien inférieurs à ceux générés par la boxe anglaise, considérée comme le « noble art ». En 2017, la star du MMA Conor McGregor fut battue en boxe anglaise par le légendaire boxeur Floyd Mayweather dans « le combat du siècle ». Pour autant, il remporta environ 100 millions de dollars, une première pour un combattant de MMA. Aujourd’hui, le MMA est considéré comme le sport le plus populaire chez les téléspectateurs américains âgés de dix-sept à trente-cinq ans.

 

Le réseau : pouvoir d’influence des lobbys sportifs 

Aux États-Unis, la pression politique émana du sénateur John McCain, intimement lié au milieu de la boxe. Son épouse était l’héritière de la fortune de la distribution Budweiser, sponsor principal de la boxe professionnelle. Il semblerait que les états financiers publics de McCain aient confirmé qu'ils investissaient des sommes importantes dans Anheuser-Busch et Hensley & Co. En France, l’hostilité des dirigeants sportifs est incarnée par les prises de positions de Jean-Luc Rougé, président de la Fédération française de judo depuis 2005. Ce farouche opposant au MMA n’hésite pas à qualifier la discipline « d’expression de la violence qu’on banalise ». Ces deux arguments principaux concernent la cage octogonale et les coups portés au sol, qui selon lui « sont des situations dégradantes ». En 2015, il affirme également que le MMA est un « refuge pour djihadistes ». La même année, l’Union européenne de judo (UEJ) décide d’annuler les championnats d’Europe de judo deux mois avant le début de l’événement du fait du partenariat conclu par la Fédération britannique de judo avec l’UFC pour parrainer l’Euro de judo.

Désormais, vingt ans après la recommandation du Conseil de l’Europe, la ministre des Sports française Roxana Maracineanu, a annoncé vouloir autoriser la discipline. "Aujourd’hui  ce sport est très pratiqué en France mais n'est pas reconnu, il y a donc un risque que des éducateurs interviennent sans diplôme, et il y a aussi le danger que cette pratique se déroule dans des lieux avec des personnes pas très bien intentionnées, je pense à l’aspect radicalisation dans le sport ou par le sport. Il est donc nécessaire de réglementer une telle pratique pour pouvoir avoir un œil sur cette discipline, sur ce sport assez complet." Il reste à savoir sous la tutelle de quelle fédération sportive.

 

 

Elodie  Merle