Attaque informationnelle de l’UFC-Que Choisir pour généraliser l'usage du Nutri-Score


 

Le 20 mai 2019, l’UFC Que Choisir et six autres associations de consommateurs européennes lancent une campagne pour rendre l’étiquetage nutritionnel Nutri-Score obligatoire dans tous les pays d’Europe. Cette campagne prend la forme d’une initiative citoyenne européenne, intitulée « Pro Nutri Score ». Si la pétition est portée par l’UFC-Que Choisir, elle est conjointement lancée par Test-Achat (Belgique), VZBV (Allemagne), Consumentenbond (Pays-Bas), OCU (Espagne), Federajca Konsumentow (Pologne) et EKPIZO (Grèce). Toutes ces associations sont membres du Bureau Européen des Unions de Consommateurs (BEUC).

 

Qu’est-ce que le Nutri-Score ?

Le Nutri-score est un étiquetage nutritionnel visant à faciliter la compréhension nutritionnelle d’un produit. Aussi appelé « logo 5C » - pour 5 couleurs, il a été élaboré sur la base d’un score nutritionnel mis au point par une équipe d’Oxford pour la Food Standard Agency au Royaume-Uni. Le Nutri-Score a ensuite été développé par l’équipe de recherche en épidémiologie nutritionnelle de l’université Paris 13, dirigée par Serge Hercberg, également président du Plan national nutrition santé (PNNS). Le logo a quant à lui été créé par Santé publique France, à la demande de la direction générale de la santé, en s’appuyant sur les travaux de l’équipe du Pr Hercberg, les expertises de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) et du Haut conseil de santé publique.

Le Nutri-Score est un système de notation global. Il élabore un score sur la base des bons nutriments (fibres, protéines, fruits, légumes, noix) ainsi que ceux à éviter (sucres, sel, acides gras saturés…), et aboutit à une note. Il classe les produits en cinq lettres : de A (meilleur score) à E, et cinq couleurs allant du vert au rouge. Le règlement UE n°1169/2011 rend obligatoire la déclaration nutritionnelle complète sur les produits alimentaires depuis pour 2014. En France, la loi Santé de 2016 recommande la mise en place d’une information claire, visible, et facile à comprendre pour tous. Le Nutri-Score a officiellement été adopté en France en 2017, en novembre 2018 pour l’Espagne, et en avril 2019 en Belgique. En revanche, l’Italie est opposée à ce système, et d’autres pays ont développé leur propre étiquetage nutritionnel.

 

Un système qui ne fait pas l’unanimité… en Europe

Les Britanniques ont été les premiers à mettre en place un système d’évaluation dans les années 90 avec l’affichage d’un logo de type feux tricolores, appelé « traffic light ». Le Traffic light a ensuite été abandonné au profit du GDA (Guideline daily amount), que nous connaissons actuellement sous le nom de RNJ, repère nutritionnel journalier. Le Royaume-Uni utilise depuis 2013 son propre système d’étiquetage, basé sur le RNJ. Les Etats scandinaves ont mis au point une étiquette « trou de serrure » (keyhole). Les aliments affichant ce logo sont considérés plus sains.

De son côté, l’Allemagne est clairement opposée à l’utilisation du Nutri-Score. Le 16 avril 2019, le tribunal de Hambourg a exigé le retrait du Nutri-Score sur les emballages de la marque de surgelés Iglo. Selon la cour de Hambourg, le label Nutri-Score enfreint l’article 35 du règlement UE n°1169/2011 relatif à l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires. Iglo n’ayant pu prouver à la Cour que le Nutri-Score est fondé sur des conclusions scientifiques, le tribunal a ordonné à la marque de ne plus utiliser ce label, celui-ci étant par ailleurs interdit en Allemagne en vertu du droit de la concurrence. L’association allemande de l’industrie alimentaire (BLL) a donc lancé son propre système d’étiquetage nutritionnel en avril 2019. En Italie, « la diplomatie italienne freine des quatre fers devant l’étiquetage nutritionnel », comme on peut lire dans l’article « Nutri-Score: Où en est l'étiquetage nutritionnel en France et en Europe » paru dans 20 Minutes le 21 mai 2019. « Au pays du Nutella (fleuron du groupe Ferrero), du parmesan et du prosciutto, l’adoption du Nutri-Score ne serait pas bonne pour les affaires ».

La campagne « Pro Nutri-Score » est également lancée juste après une réunion des membres du Comité du Codex Alimentarius sur l’étiquetage des denrées alimentaires du 13 au 17 mai 2019, à Ottawa au Canada. Depuis 2018, ce comité géré par l’OMS réalise des travaux afin d'élaborer des directives sur ce sujet. Rappelons qu’en 2006, la Commission européenne a émis le souhait d’harmoniser l’étiquetage alimentaire dans l’Union européenne et d’imposer le système de feux tricolores. Ce projet d’étiquetage obligatoire a été abandonné en 2010.

 

Parmi les industriels

Du côté des industriels, pas d’enthousiasme non plus. Si le tableau des valeurs nutritionnelles est obligatoire, le logo Nutri-Score est en revanche facultatif, du fait de la réglementation européenne. Son apposition repose donc sur la base du volontariat. Selon une étude de 2018 de l’Observatoire de la qualité et de l’alimentation (Oqali), sur les 28 secteurs d’aliments définis par l’observatoire, seuls sept montrent des références portant le Nutri-Score. Il s’agit souvent de produits à base de fruits et légumes affichant un bon score nutritionnel.

En France, certaines entreprises comme Danone, Fleury Michon, McCain, Auchan, Casino… apposent le Nutri-Score sur leurs produits. Tout comme les marques distributeurs d’Intermarché, Leclerc et Auchan. En Belgique, il est mis en place par les groupes Carrefour, Colruyt, Delhaize, Intermarché, Danone, Alpro et Elvea.

Ce logo nutritionnel ne fait cependant pas l’unanimité parmi les industriels. En mars 2017, Nestlé, Coca-Cola, Mars, Mondelez, PepsiCo et Unilever ont développé leur propre logo appelé « Evolved Nutrition Label Initiative », abandonné en 2018. Dans l’Hexagone, des professionnels de l’agroalimentaire ont développé d’autres méthodes d’étiquetage comme SENS en 2015 et Nutri-Repère en 2016. Cependant, en février 2019, l’Assemblée nationale a rendu le Nutri-Score obligatoire en France sur tous les supports publicitaires. Les annonceurs pourront cependant y déroger, moyennant une contribution à l’Agence nationale de santé publique. L’entrée en vigueur de la mesure est fixée au 1er janvier 2021.

 

Stratégie d’attaque informationnelle

L’UFC-Que Choisir, initiateur de la campagne « Pro Nutri-Score », a enregistré l’initiative citoyenne européenne sur le site de la Commission le 8 mai 2019. Le but de la pétition : « imposer l’étiquetage simplifié Nutri-Score sur les produits alimentaires, pour garantir une information nutritionnelle de qualité aux consommateurs européens et protéger leur santé ».

Le site www.pronutriscore.org a été créé le 15 mai 2019, avec diverses extensions dont le .com. Tous les sites renvoient vers celui de la pétition en ligne, via des redirections automatiques. Le 20 mai, l’appel à la pétition a été lancé par l’UFC-Que Choisir via un communiqué et une actualité publiée sur son site, ainsi que sur le site des associations européennes partenaires. Le communiqué de presse de l’UFC-Que Choisir « Initiative citoyenne européenne : Une Pétition européenne pour rendre obligatoire le Nutri-Score au sein de l’Union » évoque un taux élevé d’obésité, de maladies cardio-vasculaires et de diabète, relatifs à une « mauvaise qualité nutritionnelle ». « La complexité des tableaux de chiffres réglementaires européens figurant sur les emballages aboutit à ce que 82 % des consommateurs ne les comprennent pas ». Dans la manière de rédiger, l’UFC-Que Choisir souligne des problèmes, tout en apportant une solution. « Le Nutri-Score permet de simplifier la lecture et la compréhension de l’intérêt nutritionnel d’un aliment en un coup d’œil. Plusieurs études nationales et internationales ont d’ailleurs souligné que le Nutri-Score était l’étiquetage nutritionnel simplifié le plus efficace ».

Le communiqué de presse de l’UFC-Que Choisir a été repris dans les médias régionaux (Le Parisien, Ouest France…) et nationaux tels que Le Figaro, LCI, Francetv Info… Et ce, dès 7 heures du matin le lundi 20 mai. Cette reprise du communiqué de presse le jour même de sa publication officielle, laisse supposer un embargo, permettant aux journalistes d’écrire leurs articles plusieurs jours avant la diffusion officielle de l’information. Celle-ci a également été relayée sur les grandes chaînes, dont France 5, dans l’émission « Allô docteurs ».

Sur les réseaux sociaux, un hashtag a été créé le même jour : #PRONUTRISCORE. Les internautes ayant participé à la pétition peuvent également partager l’information automatiquement sur leurs réseaux sociaux, via un bouton de partage sur le site de la pétition, créant un phénomène d’amplification. Par ailleurs, cette campagne ayant été lancée à une semaine des législatives européennes, le hashtag est souvent associé à d’autres mentionnant les élections : #Europeennes2019 #ElectionsUE2019.

Sur le site de l’association belge Test-Achats partenaire de l’UFC Que Choisir, on retrouve dans « Signez la pétition pour rendre le Nutri-Score obligatoire en Europe » les même arguments : problèmes de surpoids et d’obésité lié à l’alimentation, manque de temps pour lire ou comprendre les étiquettes « ce qui rend difficile l’achat de produits sains ». En matière de sémantique, Test-Achat soulève une problématique, auquel il répond là encore par une solution. « Le Nutri-Score a pour but d’aider à choisir en un coup d’œil les produits les plus intéressants sur le plan nutritionnel dans les rayons des supermarchés ». Sur le site de Test-Achats, on peut lire que le Nutri-Score « a été intégré dans une vaste étude du comportement d’achat et s’est révélé plus efficace que les autres systèmes d’étiquetage simplifié comme le feu de signalisation anglais ». « Il est mieux compris par les consommateurs ».

 

L’implication de Foodwatch

Parallèlement à son communiqué de presse et son actualité publiée sur son site, l’UFC-Que Choisir a publié un autre article, le même jour, sur une campagne de désinformation : « Nutri-Score : campagne de désinformation sur les réseaux sociaux ». Cet article ressemble beaucoup à celui publié sur le site de l’ONG Foodwatch, le 20 mai 2019, date du lancement de la campagne, intitulé « Nutri-Score : Foodwatch décrypte l’opération de désinformation des lobbies ». L’UFC Que-Choisir et Foodwatch mettent en avant le risque de désinformation et de fake news circulant sur les réseaux sociaux, alors qu’il n’y en a quasiment pas à ce moment-là. Des photomontages circuleraient montrant des produits gras, comme des frites, bien notées par le Nutri-Score.

L’ONG affiche clairement un ton vindicatif, pro Nutri-Score. Ainsi, peut-on lire dès la première phrase : « Le rapport de force avec les géants de la malbouffe continue ! » « Les stratégies de lobbies pour désinformer et bloquer les initiatives comme le Nutri-Score, ça suffit ! ». L’article de Foodwatch met également en avant trois « intox » qui pourraient être utilisées par les détracteurs. L’ONG évoque ainsi le manque de fiabilité du Nutri-score en 3 points : « il embrouille le consommateur », « il note correctement certains produits industriels ultra-transformés », « des produits traditionnels sont moins bons que des sodas lights ».

Foodwatch souligne le fait que des charcuteries contenant beaucoup de sel pour assurer leur conservation ont un résultat D ou E. Cela « ne veut pas dire qu’il ne faut pas en consommer », mais en petite quantité, prenant ainsi les devants d’une contre-argumentation. Selon le texte de Foodwwatch, plus de 120 entreprises françaises se sont déjà engagées à l’apposer sur leurs emballages. « Mais certains géants de la malbouffe allument des contre-feux pour éviter d’être obligés d’utiliser le Nutri-Score et être obligés de révéler les vraies teneurs nutritionnelles des produits qu’ils nous vendent ».

Le communiqué de Foodwatch insiste sur l’impact de la malbouffe et la nécessité de renforcer les règles pour les industriels et distributeurs en faveur d’une alimentation plus saine et du droit à une information claire. L’article ne nomme aucune des associations à l’origine de la pétition, mais participe à cette campagne comme caisse de résonnance. L’ONG est d’ailleurs invitée aux débats sur les plateaux télévisés comme dans l’émission « C’est-à-dire » sur France 5 sur l’étiquetage nutritionnel. Toutefois, la guerre au sujet du Nutri-Score ne date pas d’hier. Dès 2011, Foodwatch publie un texte intitulé « La guerre du Nutri-score devient européenne, selon Foodwatch ». En 2016, BFM Business soulève « Les conflits d'intérêts s'accumulent autour de l'évaluation des logos nutritionnels ». En juin 2018, Foodwatch continue : « Comment les industriels de la malbouffe blanchissent l’image de leurs produits ». Il s’agit donc d’un thème récurrent.

 

UFC-Que Choisir et BEUC

Créée en 1951, l’UFC Que-Choisir est la 1ère association de consommateurs en France. Elle mène des actions de sensibilisation, de défense des consommateurs, des enquêtes… En 1961, elle publie le premier numéro du magazine Que Choisir. Dans les années 60, des unions locales de consommateurs et se regroupent, formant une Union Fédérale des Consommateurs. La fédération compte aujourd’hui 5 000 bénévoles et plus de 300 points d’accueil. Le Bureau européen des unions de consommateurs (BEUC) a été créé en 1962. En 2019, cette fédération compte 45 associations de consommateurs de 32 pays européens (pays de l’UE, de l’EEE et des pays candidats). Elle représente et défend les intérêts des consommateurs au niveau européen, en accordant une attention aux domaines considérés comme prioritaires par ses membres : les services financiers, l'alimentation, les droits numériques, les droits des consommateurs et l'application des lois et la durabilité. L’UFC-Que Choisir est membre fondateur du BEUC. Alain Bazot, président de UFC-Que Choisir en est d’ailleurs membre exécutif. Lors de la campagne pour les élections législatives européennes de mai 2019, le BEUC a appelé les candidats à prendre position, notamment sur les labels nutritionnels, et à en faire un thème de campagne.

 

Réponse des politiques et des marques

Pendant la campagne, plusieurs politiques, de différents partis et divers pays, ont clairement affiché leur soutien au Nutri-Score, notamment sur Twitter. Peu de marques se sont manifestées. Seules celles qui affichent déjà le Nutri-Score ont communiqué dessus, comme Danone par exemple. Aux Pays-Bas, après la marque HAK, la société Iglo Hollande a annoncé qu’elle affichera le Nutri-Score sur la face avant de ses emballages dès le mois de septembre. Pour que l’initiative citoyenne européenne aboutisse, elle doit recueillir 1 million de signatures dans au moins 7 états membres pour obliger la Commission à réagir.

 

Caroline Rabourdin