La politique américaine en Ukraine : échec ou réussite ?



 

L’Ukraine est un pays très jeune : il est né, encore une fois, en 1917 et il aurait fêté ses « 102 » ans d’existence si son existence avait été permanente. Seulement, à peine créé, ce pays est la victime de la convoitise de ses voisins polonais, roumains, russes… Finalement, c’est la Russie qui emporte le morceau, la majeure partie du moins. L'Ukraine est par la suite incorporée à l’URSS en tant que République socialiste soviétique d’Ukraine. Les Ukrainiens ont été fortement marqués par un passé ou ces territoires furent partagés au grès des conquêtes polonaises, suédoises, russes, turques, mongoles les siècles précédents… Mais ce qui reste dans les mémoires ukrainiennes, c’est la période récente, celle du communisme et des famines des années 30 et 40, des soldats de l’armée nazie luttant contre l’armée rouge, une population divisée entre ces deux « occupants ».

Vu de nos yeux d’occidentaux, à la lumière de la construction européenne et du rapprochement entre la France et l’Allemagne, ceci peut paraître anachronique. Mais en fait, pas tant que cela… Il faut se plonger un peu plus dans l’histoire de l’Ukraine pour comprendre ce qu’il s’y passe vraiment de nos jours. Dès les années 30,
 deux Ukraine se dessinent, une Occidentale sous influence austro-polonaise, et une Orientale russifiée. Les indépendantistes ukrainiens percevaient ces deux sphères d’influence comme des ennemis héréditaires. En 1929 est créée l’Organisation des Nationalistes Ukrainiens (OUN) dont l’objectif principal est la lutte pour une Ukraine indépendante, prônant ouvertement la violence et le terrorisme contre ceux qu’elle considère comme ses ennemis, aussi bien intérieurs qu’extérieurs.

 

Les errances historiques du nationalisme ukrainien      

Dès 1933, les nationalistes de l’OUN, en premier lieu 
Stépan Bandera et Roman Choukhevytch, voient l’Allemagne nazie un partenaire d’opportunité qui pourrait les mener sur la voie de l’indépendance, notamment face à la domination soviétique. L’Allemagne commence à financer l’organisation et Bandera noue des relations avec l’Abwehr et la Gestapo en 1934. Cette organisation devient extrêmement active dans le domaine de l’insurrection et se voit confier la responsabilité de la partie ouest de l’Ukraine. Bandera y organise de nombreux assassinats puis finit par être arrêté par la police polonaise. D’abord condamnée à mort, sa peine est commuée en prison à vie. L’invasion de la Pologne lui permet de regagner la liberté et de reprendre ses activités. Bandera fonda alors la Légion ukrainienne constituée des bataillons Nachtigall et Roland. Le 22 juin 1941, alors que l’opération Barbarossa était lancée, Jaroslav Stetsko proclame l’indépendance de l’Ukraine. Mais un État indépendant n’avait jamais été envisagé par l’Allemagne. Quelques jours plus tard, Bandera et ses acolytes sont arrêtés et internés au camp de concentration de Sachsenhausen jusqu’en 1944. Pendant ce temps-là, l’Armée Insurrectionnelle Ukrainienne (UPA), dirigée par Choukhevytch, luttait contre l’arrivée de l’Armée rouge et des Polonais (plusieurs milliers de Polonais furent massacrés, notamment lors des événements de Volhynie en 1943) puis, en 1944, ce mouvement se retourne contre l’Allemagne.  L’Allemagne est en déroute.

À la fin de la guerre, Bandera se rend aux alliés. Certaines sources citent aussi sa collaboration pour le MI6 (MI-6 : Inside the Covert World of Her Majesty’s Secret Intelligence Service – Stephen Dorrill). Quoi qu’il en soit, le conflit idéologique de l’après-guerre, entre l’Est et l’Ouest, remet l’option OUN-B 
sur la table de la CIA. Quoi de mieux que d’expérimenter Ukrainiens, natifs et prêts à tout, pour lutter contre les Soviétiques. Les documents déclassifiés de la CIA montrent la machine secrète américaine mise en œuvre, avec l’objectif de déstabiliser l’Ukraine et mettre a mal l’URSS grâce à des sabotages et assassinats ciblés perpétrés par des agents au travers de sociétés-écrans comme la « Research Service in Eastern Europe ».   

 

La posture antirusse du nouvel État ukrainien post guerre froide

L’Ukraine accède enfin à l’indépendance en août 1991, quelques mois avant le traité de Minsk qui mit fin à l’existence de l’URSS. Elle commence à vivre la vie d’un pays recouvrant son indépendance, mais avec un fort ancrage économique avec feu l’URSS, une imbrication des économies entre les différentes républiques de ce même ensemble disparu. C’est le cas des 
industries majeures en Ukraine comme le groupe Antonov qui tente aujourd’hui de se relancer. L’Ukraine avait un accès privilégié aux marchés de la Russie et des anciens pays de l’URSS. Comme les bandéristes le souhaitaient, voici l’Ukraine affranchie de la tutelle russe. C’est alors l’apparition des premiers partis nationalistes ukrainiens. Le premier verra le jour dès 1991 et ce sera le Parti National-Social d’Ukraine (le nom n’est pas une coïncidence – SNPU en ukrainien) à Lviv, berceau du nationalisme ukrainien des années 30, reprenant du même coup l’emblème de la 2e division SS Das Reich. Son programme : celui de l’OUN… les choses sont claires : « Le SNPU considère l’État russe comme la cause de tous les maux de l’Ukraine… ». Le puzzle se met doucement en place.  Bref, Leonid Kravtchouk est le premier président de cette Ukraine nouvellement indépendante, et obtient même deux mandats, malgré quelques affaires de corruption et de problème vis-à-vis de la liberté de la presse, en prônant dès le milieu des années 90 un rapprochement avec l’Union européenne.

Entre 2004 en 2005 se produit la révolution orange, 
financée notamment par l’International Renaissance Foundation de George Soros, comme il le reconnaît lui-même, et qui porte au pouvoir Victor Iouchtchenko (et ce après avoir été déclaré perdant de l’élection). Son premier ministre est Ioulia Tymochenko dont le gouvernement sautera suite à une motion de censure de la Rada (parlement ukrainien) à la suite de  négociation sur l’achat de gaz russe dont le prix double (suite à la décision de l’Ukraine de sortir des accords avec la Russie et les pays de la CEI), tout en restant un prix bien inférieur au marché. Ce contrat est très  important pour la suite de l’histoire… À la suite de cet échec, Victor Ianoukovitch arrive au poste de Premier ministre à son tour. Les conflits entre Iouchtchenko président pro-européen et Ianoukovitch Premier ministre pro-Moscou accélèrent le processus du rapport de force. Divers changements de camp de députés amènent le Président en titre à dissoudre le parlement en 2007, dissolution que la Rada considère anticonstitutionnelle…

2010 voit l’élection de Ianoukovitch, au grand dam de l’UE, face à Ioulia Tymochenko. Quelque temps plus tard, accusée de corruption dans le cadre du contrat de gaz russe cité précédemment, son opposante Ioulia Tymochenko se retrouve en prison (son sort fera l’objet de tractation entre l’UE et Kiev pour la signature de l’accord d’association). Juste avant de partir, Iouchtchenko prend le temps de faire désigner Stépan Bandera comme « Héros de l’Ukraine » à titre posthume. En 2013, Ianoukovitch poursuit son rapprochement de l’UE, mais aussi de la Russie.

Dans le passé, l’Ukraine avait comme volonté d’être l’intermédiaire entre l’UE et la Russie et bénéficier d’accord d’échanges privilégiés avec les deux. Malheureusement, l’Ukraine devait faire un choix : 
soit l’UE – soit la Russie (et l’union économique eurasiatique). L’Ukraine a dans un premier temps porté son choix sur l’UE. Les négociations avancent bien jusqu’en novembre 2013. Afin d’assurer une sécurité économique a son pays et ne pas voir l’industrie ukrainienne dépecée par les privatisation et une situation financière catastrophique (produits ukrainiens pas au standard européen et non compétitif dans un marché ouvert au produits occidentaux), Ianoukovitch, à qui l’on a promis oralement des milliards qu’on lui refuse ensuite, s’abstient de signer l’accord d’association avec l’UE et demande un délai afin de préparer son industrie tout en continuant les discussions avec la Russie, son principal partenaire économique. L’UE y voit le résultat d’un chantage orchestré par Moscou.   … et à partir de ce moment que l’épisode « Maïdan » commence …

 

Une révolution orchestrée ?

Le 21 novembre 2013, Victor Ianoukovitch annonce l’annulation de l’accord d’association avec l’Europe. Dès lors, le prétexte est tout trouvé pour Svoboda de marcher sur Kiev. Une semaine plus tard, cette organisation s’empare du bureau du maire Kiev pour en faire leur quartier général. En février 2014, des rassemblements et des manifestations se produisent à travers une bonne partie du pays. A Kiev, la capitale, les manifestants occupent la place Maïdan (place de l’Indépendance). C’est à ce moment que les versions divergent. Celles dont on ne parle pas et celle, angéliques, qui sont présentées dans les actualités populaires. Les faits : Des rassemblements ont lieu en soutien à l’accord d’association. Les membres des factions d’extrême droite, tel le SNPU rebaptisé Svoboda (« liberté »), font rapidement leur apparition. Venus de Lviv par petits groupes, ils se retrouvent sur la place Maïdan.

Mais ce ne sont pas les seuls que l’on retrouve sur cette place désormais célèbre : on assiste au défilé de représentants de l’Union européenne et des États-Unis. En tête de cette délégation, au côté de « nationalistes », Victoria Nuland. Elle apportera 
même des petits pains à ceux-ci, et témoignera de la bienveillance des participants devant le Congrès. Afin d’apporter un peu de détente sur les éventements en cours, le sénateur US Jim Inhofe informe, à tortde la présence de chars russes dans l’est de l’Ukraine, photos fournies par l’opposition, et demande au gouvernement l’envoi d’armes en soutien à l’Ukraine. Les activités de Victoria Nuland  dans la démocratie ukrainienne en marche passent aussi par le choix des personnes placées à la tête du futur gouvernement. La conversation qu'elle a tenue avec l’ambassadeur américain en poste en Ukraine est restée célèbre par le célèbre « Fuck UE ».

A Kiev, pour soutenir un semblant d’accord signé le 21 février en vue d’un compromis et de l’organisation, on assiste au défilé de 
représentants de l’Union européenne ou pays européens, comme Stefan Fule, commissaire européen à l’élargissement européen, Laurent Fabius, ministère des affaires étrangères français, accompagné de son homologue allemand, Catherine Ashton, haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères. Mais toutes ces bonnes intentions affichées ne suffiront pas à calmer les ardeurs de l’extrême droite ukrainienne.

Menacé, le président élu, Victor Ianoukovitch fuit l’Ukraine en craignant pour sa vie. Il trouve refuge en Russie. Cette fuite fait suite à des fusillades qui ont eu lieu les jours précédents sur la place Maïdan, ou à la fois des policiers, mais aussi des manifestants, ont perdu la vie, comme le relatent de 
nombreux médias. Cependant, quelques années après, force est de constater que la vérité bien différente: 3 Géorgiens, tireurs d’élite, ont été recrutés pour faire dégénérer le mouvement et apporter le prétexte au putsch qui a suivi. Ils ont témoigné de leur participation, tirant à la fois sur les manifestants et sur les policiers, « les Berkuts ». Le président en place en Géorgie à ce moment-là est Mikhaïl Saakachvili, futur gouverneur de la région d’Odessa, fait peu avant citoyen ukrainien et fuyant la Géorgie. Opération réussie, l’extrême droite ukrainienne rentre dans le parlement ukrainien, la Rada, arme à la main et prend le pouvoir. Les milliards de dollars que les Etats-Unis ont versés au profit d’une opposition extrémiste et prêt à tout pour lutter contre les Russes, fussent-ils ukrainiens, ont finalement abouti. La doctrine américaine datant des années 60 où l’objectif était de déstabiliser l’Ukraine pour affaiblir l’URSS en la privant de son grenier à blé, du charbon du Donbass et d’une partie de son industrie aéronautique aura finalement réussi à être mise en œuvre 25 ans après la chute de l’URSS.

 

Une indépendance sous influence

Le putsch qui s’est déroulé à Kiev verra l’arrivée au pouvoir de la frange la plus russophobe de l’Ukraine. Cette Ukraine coupée en deux par son histoire et sa civilisation, l’une pro-UE à l’ouest et une proRusse à l’est, voit une partie de sa population craindre pour sa vie. Rappelons les propos du 17 juillet 2013, pendant un camp d’entraînement de Svoboda, une vidéo d’un discours qui devait circuler largement sur internet. On y soulignait trois points :

 


 

  •  Il y a un régime « d’occupation interne » en Ukraine (c’est à dire prorusse, nous sommes en 2013).


 

  • Aucune libération du peuple ukrainien et aucun État ukrainien ne sont possibles sans une révolution nationale.


 

  • La Russie est l’ennemi de toujours et « aussi longtemps que l’Empire russe existe, sous quelque forme que ce soit, une indépendance réelle pour l’Ukraine et le peuple ukrainien est impossible. »

 


Les bases de la séparation physique du pays sont en place. Les pogroms qui ont déjà eu lieu à Lviv ne sont pas un avertissement, mais une promesse quant au sort de la population russophone de l’est et du sud de l’Ukraine. Ce sont bien les intentions affichées par Youlia Tymoshenko lors d’une de ses conversations téléphoniques avec Nestor Shufrych, membre du parlement et qui a été accessoirement secrétaire adjoint au conseil de sécurité nationale et de la défense. La Crimée, peuplée a près de 90 % de russophone, décide de prendre en main son destin. Le parlement criméen décide d’un référendum sur son indépendance vis-à-vis du reste de l’Ukraine puis de son rattachement à la Fédération de Russie en tant que 2 entités ; la république autonome de Crimée et la ville fédérale de Sébastopol. La Crimée souhaite alors bénéficier de la reconnaissance internationale qui a permis au Soudan du Sud, à l’Érythrée ou au Kosovo d’accéder à l’indépendance. Les pays occidentaux ne reconnaissent pas actuellement cette indépendance et ce rattachement. Non sans humour, Barack Obama, président en exercice, ira même jusqu’à qualifier « le référendum criméen d’illégal contrairement à celui du Kosovo organisé en coopération avec l’ONU » ... Concrètement, la Crimée intégrera la Fédération de Russie le 18 mars 2014.

Le 21 mars, les dirigeants européens signent le volet politique de l’accord d'association avec Kiev, en présence du Premier ministre ukrainien, Arseni Iatseniouk, fraîchement désigné le 27 février. Cet accord va placer l’économie ukrainienne dans une position plus que délicate. C’est au tour du Donbass, peuplé très majoritairement de russophones, de vouloir prendre leur destin en main. L’élément déclencheur aura été la suppression de la langue russe comme langue officielle. Le 6  avril, les Républiques de Donetsk et de Lougansk s’embrasent et organisent un référendum sur l’indépendance des deux régions le 11 mai, deux semaines avant la victoire de Porochenko à l’élection présidentielle ukrainienne. Sans grande surprise, le « oui » indépendantiste l’emporte. Porochenko, une fois élu lance « une opération anti-terroriste » dans l’Est ukrainien. Les combats sont menés par les milices nationalistes et non par l’armée « officielle » ukrainienne.

Pour faire face à ce conflit, une série de réunions dite « au format Normandie » (Porochenko et Poutine ont convenu de négociations au cours des célébrations du 70e anniversaire du débarquement allié en Normandie, négociations qui associent la France et l'Allemagne) se déroulera à Minsk. Elles aboutiront à plusieurs reprises a des accords de cessez-le-feu, 
rarement respectés, et dont la feuille de route ne sera jamais appliquée par Kiev. L’image du leader du gouvernement de Kiev vacille du fait de l’échec de la guerre dans l’est du pays. L’encerclement de Debaltsevo restera l’image la plus marquante de l’incapacité des bataillons pro-Kiev, malgré l’interventionnisme américain, tant par la fourniture d’armes et que par l’envoi de troupe en soutien, afin de reprendre le territoire qui échappe à l’autorité de Kiev. Le conflit qui s’éternise depuis maintenant 5 ans est en passe de s’enliser. Les récentes élections qui ont permis à l’acteur Volodymyr Zelensky d’accéder aux fonctions suprêmes ne permettent pas pour le moment d’espérer une baisse des tensions. Les propos rassurants tenus contrastent avec la constancdes bombardements de Kiev sur les localités séparatistes. Les milices présentes ont leurs propres logiques et sont plus ou moins indépendantes du pouvoir central à Kiev.

 

Le jeu à peine masqué des politiques de puissances sur l'échiquier ukrainien

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis ont utilisé des mouvements d’extrême droite ukrainienne afin de lutter d’abord contre l’URSS puis contre la Russie. Les milliards de dollars, comme le concède Victoria Nuland, en attestent, tout comme le soutien militaire accordé à Kiev. Ce soutien au régime de Kiev explique sans doute la décision américaine de voter 
contre la résolution déposée par la Russie, condamnant la glorification du nazisme… Tout comme Kiev qui l’affiche d’ailleurs ouvertement… La doctrine d’endiguement de la Russie, cet adversaire perpétuel, est à l’œuvre. Kiev, de son côté, a perdu, semble-t-il définitivement la Crimée. Au vu des déclarations des mouvements d’extrême droite au pouvoir, il n’est pas sûr que la confiance revienne dans l’est du pays. La volonté affichée de vouloir éradiquer la population russophone d’Ukraine risque au mieux, de dissoudre l’Ukraine à la façon yougoslave, au pire, voir le conflit s’enliser comme en Ossétie, en Abkhazie ou en Transnistrie. Quoi qu’il en soit, on peut douter que les populations russophones accueillent prochainement à bras ouverts ceux qui appellent à les passer par les armes. L’Ukraine semble partagée pour longtemps encore.

Les sanctions contre la Russie, imposées à la suite du rattachement de la Crimée à la Fédération de Russie, ont provoqué une période de trois ans de récessions, obligeant la Russie à réformer son économie à marche forcée. La Russie a imposé des contre-sanctions qui ont fait perdre de nombreuses parts de marché, notamment agricole, à l’UE. Les marchés perdus ont été pris par d’autres pays tels que l’Égypte ou le Brésil. Mais plus certainement, l’économie russe s’est attachée à pallier elle-même les pénuries. La 
production porcine couvre désormais ses besoins. Idem pour les céréales. La Russie devient le premier exportateur mondial de blé et de céréales, se payant même le luxe de devancer les États-Unis… Et second lieu, la production russe fait baisser le cours du blé américain (et européen) du fait de la quantité disponible. Dans un autre domaine, la Russie développe l’extraction d’or  (elle est le premier pays acheteur afin de gonfler ses réserves. Dans le même temps, la réserve fédérale russe se débarrasse de ses bons du trésor américain et de ses dollars. Le manque de confiance dans la monnaie d’un pays surendetté et la volonté de s’affranchir de la dépendance envers les Etats-Unis d'Amérique s'ajoutent au prétexte principal de préserver la souveraineté. Il convient de rappeler que la Russie a remboursé quasiment l’ensemble des dettes héritées de l’URSS et présente désormais un endettement de moins de 11 % en 2019 (source FMI). Les chiffres de l’économie russe, malgré les sanctions, laissent rêveur si l’on s’en tient au fait et qu’on laisse de côté l’idéologie: excédent commercial, réserves de change supérieures à l’endettement, un taux de  chômage à 4.9 %…

Sur le plan énergétique, les tensions russo-ukrainiennes ainsi que les litiges entre Gazprom et Naftogaz, laissent peser sur le transit gazier une menace de coupure. La Russie a proposé à ses partenaires européens la construction d’un second gazoduc – Nord Stream 2 – pour le transit via la mer Baltique, du gaz entre la Russie et un hub gazier sur la côte allemande. Celui est l’objet du courroux américain qui voit s’échapper un marché potentiel pour son propre gaz – nettement plus cher – et Ukraino-Polonais qui y voient la perte de la manne financière du transit du gaz.

Côté géopolitique, la crise ukrainienne aura permis aux USA d’avancer les pions de l’OTAN aux frontières russes, en s’entendant dans les pays baltes, Pologne, Roumanie… 
malgré les promesses, certes orales, faites à Gorbatchev. Cette progression est perçue comme une menace rampante, une zone de conflit a ses frontières. Chaque partie se lance dans des intimidations (déploiement de troupes...), provocations (vols « de reconnaissance »…), exercices géants et autres chasses aux fantômes surtout suédoises.

Le rattachement de la Crimée à la Fédération de Russie a provoqué des tensions au sein de l’Europe dans son ensemble. Le fait le plus marquant a été la suspension du droit de vote de la délégation russe au sein de l’APCE. La Russie a patienté trois ans avant de suspendre sa contribution financière à cette assemblée. Deux ans sans payer entraînant de facto l’exclusion de pays, 
l’APCE vient de réintégrer, au grand damne de l’Ukraine soutenue par les Pays baltes, la Russie pour ne pas la voir quitter définitivement l’assemblée.

 

 Les Etats-Unis et la Russie tirent des bénéfices différents du conflit

 

Le conflit ukrainien a vu l'émergence d’un
 État soutenu par certaines factions sympathisantes du nazisme à l’est du continent, dont l’objectif est la lutte ouverte contre la Russie. Les États-Unis jouent une partie dangereuse afin de mettre à genoux leur adversaire historique, sans doute pour prendre leur revanche de l’invasion manquée de la Russie en 1918. L’endiguement de la Russie tant souhaité n’a pas eu lieu pour l'instant. La politique américaine actuelle de dénonciation d’accords et d’interventionnisme militaire ou économique à tout va, a au contraire remis sur la scène internationale la Russie en tant que partenaire fiable et stable. Les liens entre les BRICS se sont renforcés et ont vu l’apparition de la nouvelle banque de développement, alternative à la Banque mondiale et au FMI, le début de la dédollarisation des échanges commerciaux.

Le grand perdant, en fait, aura été le peuple ukrainien. Instrument, ou jouet, dans les mains d’atlantistes, l’Ukraine a vu son industrie dévastée. 
Son agriculture passe dans les mains de Monsanto, les réserves de charbon sont aux mains des séparatistes, son industrie aéronautique agonisante tente de se relancer par un partenariat avec Boeing. Le pays est partagé en deux, de manière sans doute irrémédiablement. L’entrée de l’Ukraine dans ces conditions au sein de l’OTAN est plus que compromise et les promesses d’intégration de l’UE de ce pays en conflit ne sont pas pour demain.

Finalement, la politique américaine en Ukraine n’aura pas été un si grand échec. Si l’on se place du point de vue outre-Atlantique, on pourra observer un affaiblissement de l’intégration européenne, avec la scission entre une Europe de l’Ouest, ou une marge croissante de politiques réclament une levée des sanctions contre ma Russie, alors que l’Europe de l’Est, Pologne et Pays baltes en tête, recherchent avant tout la protection du bouclier militaire américain. L’OTAN, du fait de la diabolisation de la Russie, est étendue aux frontières orientales de l’UE, au point de voir la Pologne offrir au Pentagone l’installation d’une base permanente sur son territoire. L’augmentation des budgets de défense des pays de l’UE accroît les marchés qui s’offrent à l’industrie de l’armement américaine. Les États-Unis auront ainsi su profiter de la diabolisation de la Russie pour  ralentir l’intégration des nouveaux venus, de l’Est, au sein de l’UE. De plus, les États-Unis ont fait baisser les échanges commerciaux entre les pays européens et la Russie. Les intérêts américains 
ont été touchés à la marge.’Washington n’hésite pas à décréter des exceptions pour ses entreprises si nécessaire, notamment dans le domaine spatial et celui des moteurs de fusée.

 

Rodolphe Cottier