La contre-attaque informationnelle des Etats-Unis d'Amérique après le sommet Russie-Afrique de Sotchi


 

Le mercredi 23 octobre 2019 s’est tenu, dans la nouvelle station Balnéaire Russe de Sotchi, un forum économique organisé par le Président Vladimir Poutine regroupant plus de quarante dirigeants africains accompagnés de nombreux chefs d’entreprises. A cette occasion, le Président Russe a déclaré : « les pays africains deviennent de plus en plus attractifs pour les entreprises russes. Cela provient du fait que l'Afrique est en train de devenir un centre de croissance économique mondial. » A l’issue de ce sommet, et à l’analyse des secteurs d’activités des entreprises présents dans les stands et les accords issus de ce sommet, il ressort que la Russie accorde une priorité, dans le développement de ses relations commerciales avec l’Afrique, à la signature des contrats de prospection de matières premières, au développement de l’énergie nucléaire à des fins civiles, et à la coopération militaire pour la vente d’armes et enfin à la communication.

Le mercredi 30 octobre 2019 soit quelques jours après le sommet Russie Afrique, Nathaniel Gleicher,  « Head of Cybersecurity Policy » du géant américain Facebook (1,5 milliards d’utilisateurs actifs/mois, 107 langues,…) a annoncé la suppression de 35 comptes, 73 pages et sept groupes de discussion sur son réseau jugés "toxiques". Selon lui, ces comptes étaient pilotées depuis la Russie pour des campagnes de manipulation de l’opinion publique africaine, car leur contenus, adaptés à chacun des huit pays visés (Côte d’Ivoire, RDC, Centrafrique, Cameroun, Madagascar, Mozambique, Soudan, Libye), se concentraient sur des informations plurielles incluant une propagande de la politique de la Russie en  Afrique et les techniques d’intoxication et de désinformation de la politique américaine et française. Environ 1,7 million de comptes de suiveurs sur Facebook n’ont plus aujourd’hui accès aux comptes incriminées.

 

Les jeux d’influence

Les informations à l’origine de la suppression desdits comptes ont été fournies à Facebook par le Cyber Policy Center de l’Université d’Etat de Stanford à travers son programme Stanford Internet Observatory, dans le cadre d’enquêtes internes sur des opérations liées à la Russie envers l'Afrique. Ce programme, logé à l’Université de Stanford, a pour mission de comprendre comment la technologie affecte la sécurité et la gouvernance pour répondre aux préoccupations stratégiques du gouvernement américain. Le rapport d’enquête y relatif, intitulé « Evidence of Russia-Linked Influence Operations in Africa », a été produit le 29 octobre 2019 par trois auteurs : Sleby Grossnan (membre du Center of African Studies de l’Université de Berkeley et d’une dizaine d’autres ONGs en rapport avec l’Afrique), Daniel Bush (titulaire d’un Phd sur la culture internet en Russie et en Ukraine), et Renée DiResta (spécialiste de la diffusion de récits malveillants dans les réseaux sociaux. Elle a étudié par ailleurs la désinformation et la propagande computationnelle dans le contexte des conspirations de pseudoscience, du terrorisme et de la guerre de l’information parrainée par les Etats. Elle a conseillé le Congrès Américain, le Département d’État et d’autres organisations universitaires, civiles et commerciales). Le profil des auteurs, très proches du gouvernement américain permettent de déduire que l’action menée par l’entreprise privée américaine Facebook est la phase opérationnelle d'une contre-attaque informationnelle par le contenant (manipulation logicielle dans le but de bloquer les accès) et par le contenu (médiatisation de l’action menée contre les Russes relayé par un maximum de médias.

 

La machine de guerre économique du Kremlin

Cette contre-attaque américaine est la réponse à une énième attaque par le contenu dont les Russes, via leurs médias, sont passé maitres dans l’Art depuis 2012 sous l’impulsion du Chef d’état-major des forces armées russes de Valeri Vassilievitch Guerassimov. Il avait déclaré à cet effet : « La valeur des outils non militaires dans la réussite d'objectifs politiques et stratégiques s'accroît et, souvent, elle en vient à éclipser la puissance des armes en efficacité ». A titre d’illustration on peut citer, outre la campagne désinformation via les comptes Facebook en Afrique, une kyrielle d’actions similaires antérieures perpétrées par les médias de propagande russe : élections américaines, homophobie, délégitimation de l’Union Européenne, manifestations liées au sommet du G20 de 2017, l’affaire Théo en Seine St Denis, conflits en Syrie, etc…

A l’analyse, ces opérations de guerre de l’information correspondent à l’acception russe du smart power tel que défini par Celine Marangé de l’IRSEM dans les stratégies et les pratiques d’influence de la Russie : « obtenir un avantage sur l’adversaire par le biais des technologies d’information et de communication, … protéger ses sources d’information concernant le terrain d’opération et, dans le même temps, dénier, dégrader, corrompre ou détruire les sources de l’ennemi concernant ce même terrain d’opération ». C’est dans cette optique qu’à la veille du sommet Russie-Afrique, les agences officielles de presse russes, TASS et Ria Novosti, ont organisé une rencontre avec les agences de presse africaines pour dessiner la future stratégie d’influence de la Russie. L’intérêt des Russes pour l’Afrique devrait bientôt se manifester par des partenariats entre les agences de presse locales et des médias comme Sputnik et RT.

 

Hermann Hakapoka