La guerre informationnelle autour du projet Europa City


 

Le projet gigantesque Europacity était un concept unique en Europe. Il regroupait un parc de loisirs et de culture, des centres commerciaux, des espaces à usages public, des restaurants, des hôtels, un parc urbain, ainsi qu’une ferme urbaine. Le projet fut muri entre 2006 et 2008 et s’est vu attribué le site de Gonesse en 2010 par les pouvoirs public. Prévu dans la banlieue parisienne, EUROPACITY devait se situer à la porte du Grand Paris et s’étalerait sur une surface de 80 hectares en plein cœur de la ZAC du Triangle Gonesse (opération publique d’aménagement conduite par Grand Paris) qui s’étend sur presque 300 hectares.

Fort d’une enveloppe de 3.1 milliards d’euros d’investissement privé, le projet est porté par le groupe Auchan via sa filiale Immochan et un partenaire du groupe chinois Wanda, le contrat d'investissement fut signé au début de l’année 2016. Le projet comptait produire 100% de ses besoins en énergie sur place. Positionné dans un des départements les plus pauvres de France, caractérisé par le chômage de masse, et la délinquance, ce projet était censé apporté un souffle nouveau et un nouveau visage au département de Val d’Oise et principalement à la ville de Gonesse (création de 10 000 emplois directs en phase d’exploitation et 3500 emplois par an en phase de construction dans 40 métiers .

Le projet Europacity fut l’objet d’un matraquage médiatique sur lequel s’affrontaient les promoteurs du projet et les opposants au point où en date du 07/11/2019 Emmanuel Macron, président de la République Française a annoncé son abandon en souhaitant voir émerger un projet alternatif sans plus de détails. Et la ministre de la transition écologique et solidaire, Elisabeth Borne a déclaré de son côté que l’aménagement doit être « repensé de façon plus globale » en lien avec le territoire qui l'entoure.

 

La guerre informationnelle des opposants au projet EUROPACITY.

Mené sous la houlette du Collectif pour le Triangle de Gonesse (CPTG), présidé par Bernard Loup, le CPTG est l’aile radicale de la contestation et a vu le jour en mars 2011 à la suite de l’annonce du mégaprojet qui enterrera 80 hectares de surface agricole. Il regroupe en son sein 18 associations du département de Val d’Oise (95) et de Seine Saint-Denis (93) parmi lesquelles quatre associations départementales-Les Amis de la Terre Val d’Oise, Environnement 93, MNLE 93, Val d’Oise Environnement et a reçu le soutien d’Ile de France Environnement. Hormis cette frange de défense environnementale, le collectif comprend aussi les agriculteurs de la Confédération paysanne et du réseau d’associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (AMAP) d’Ile-de-France, la chaîne de magasins Biocoop, des associations citoyennes, des élus de la Seine-Saint-Denis, les architectes et urbanistes de l’Atelier citoyen.

Le Collectif pour le Triangle de Gonesse affirme que le projet d’urbanisation prévu sur le triangle de Gonesse détruirait des terres cultivables qui sont reconnues de très haute valeur agricole et augmenterait l’émission de gaz à effet de serre, des nuisances pour les riverains et pire le flux prévisionnel des dizaines de millions de déplacement annuel sur le site.  Toujours dans sa logique contestataire, le collectif lance une pétition en qualifiant le projet Europacity de catastrophe naturelle en ces mots : « Après les engagements pris lors de la COP21 du Bourget, à 5 km de Gonesse, nous avons plus que jamais besoin de sols capables de capter du CO2, d’absorber le ruissellement des eaux pluviales, d’atténuer canicules et pics de pollution de l’air, et enfin de nourrir les humains. (…) EuropaCity constituerait une véritable catastrophe écologique ». Pour détricoter l’argument culturel, le collectif affirme que les clubs sportifs locaux, les médiathèques, les maisons de quartiers, salles de cinémas, salles de spectacles sont déjà victimes des coupes budgétaires récurrentes et ce projet ne fera que donner un coup de grâce. Et par ricochet toutes les activités commerciales avoisinantes prendront aussi un coup fatal au profit du groupe Auchan. Une bande annonce est mise en ligne sur Youtube pour sensibiliser contre le projet jugé néfaste.

A part ce collectif, s’est créé un autre collectif dénommé «Europas du tout» à qui s’est joint en Avril 2018 la fédération des Commerçants regroupant trois grandes fédérations de commerçants. On y trouve la confédération des commerçants de France, la Fédération nationale des centres-villes et la fédération nationales des marchés de France. La fédération des commerçants se disent être certains que le projet aura beaucoup plus des effets négatifs que positifs sur la région et détruira le commerce local au profit des grands groupes.

Les opposants avancent même que la création d’emplois promis est un bluff à l’exemple des projets similaires tels que l’aéroport de Roissy CGD, Auchan à Sarcelles dans les voisinages proches où les jeunes ont été des laisser pour comptes.Plusieurs manifestations et marches citoyennes ont été organisées dans la ville et sur les lieux dudit projet. Une manifestation en début octobre a conduit les contestataires jusqu’à la porte de Matignon pour exprimer leur opposition au projet. En place le collectif préfère un projet alternatif CARMA (Coopération pour une Ambition Rurale et Métropolitaine d’Avenir). Ce projet alternatif permettrait de garder la structure agricole dont environnemental du triangle et les créations d’emplois seront tournés vers l’agriculture durable, l’alimentions et l’éco-construction.

Avant l’abandon du projet par l’Elysée le 07 novembre 2019, les opposants se préparaient à une occupation pérenne pour transformer la ZAC en Zad (Zone à défendre) à l’exemple de la ZAC de Notre-Dame-des-Landes, dans la région nantaise qui a vu volé en éclat le projet de construction d’un aéroport de pointe.

En son temps ministre de la transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot fervent écologiste, avait affirmé au journal le Monde en août 2018 : « Il faut que nous rentrions en phase de dégrisement sur la consommation abusive des sols, notamment des terres agricoles, et que nous cessions d’avoir la folie des grandeurs sur un certain nombre de projets commerciaux,  Nous ne gagnerons pas la bataille climatique si nous ne cessons pas d’artificialiser les sols » et trouvait le projet incompatible avec le plan climat.

Malgré l’abandon du mégaprojet, le collectif ne baisse pas les bras et ne compte pas s’y arrêter. Il veut lutter contre le projet de la gare de ligne 17 dans la ZAC car les contestataires estiment qu’il serait idiot de croire qu’on construira une gare en plein champs sans un autre projet en dessous.

 

La guerre informationnelle des pro-projets EUROPACITY

Les pro-projets sont déterminés à aller jusqu’au bout. Plusieurs manifestations et autres formes soutiens ont été organisées. Parmi les pros, on retrouve notamment les élus parmi lesquels Jean-Pierre Blazy le maire PS de Gonesse, Marie-Christine Cavecchi Présidente (LR) du conseil départemental du Val d’Oise, la communauté d’agglomération Roissy Pays-de-France (qui regroupe 42 communes, dont Ecouen, Goussainville, Gonesse et Roissy-en-France) représenté par son président Patrick Renaud et des représentants d’associations comme Agir ensemble et Créative.

Le collectif défendant le projet se dénomme :    «le collectif des vrais gens » et réunis en son sein les habitants du Val d’Oise et de Seine Saint-Denis, présidé par   Nessrine Hajeje. Une des raisons pour lequel le collectif soutient le projet est la création de 10000 emplois à terme du projet et 3000 emplois annuel en phase de réalisation.  Et évoque l’idée de la mise en place d’une association « EuropaCity Compétences » qui aura pour vocation la formation et l’emploi pour les Val d’Oisiens dans le projet.

Le maire de Gonesse, Jean-Pierre Blazy membre actif pour le projet déclare : «il ne faut pas opposer urgence écologique et urgence territoriale » et affirme le projet Europacity permet d’établir un équilibre entre la préservation des terres agricoles et développement nécessaire pour réduire les inégalités territoriales et donc l’arrêt signifierait un abandon des banlieues, alors que les voyants sont plutôt au rouge.  Il avance même une recette communale de 40 millions d’euros par an grâce au projet. Après l’abandon du projet par le gouvernement, le maire exprime sa colère en ces termes : «Le territoire a subi une exécution en règle, une décision contre le Val d’Oise. C’est incompréhensible et brutal ». Et à la présidente du conseil départemental Marie-Christine de renchérir : « Ce projet était une locomotive pour le développement du territoire et pour l’emploi. On nous enlève un levier financier essentiel. Quel avenir offrons-nous à nos jeunes ?» (

Quant-aux promoteurs, l’heure n’était pas à la dispute mais plutôt au réajustement du projet afin de répondre aux besoins écologiques des anti-projets. Leur nouvelle copie qui se veut beaucoup plus écologique avec une ambition « zéro carbone » en 2027 :

  • en utilisant 100% de l’énergie renouvelable,

  • par un reboisement en plantant 4000 arbres, création de 80 hectares d’espaces naturels pour compenser ceux construits, suppression de la piste de ski du projet, réduction des surfaces commerciales au profit d’espaces naturels.


Malgré le camouflet gouvernemental, les pros-projets demeurent confiants et compte poursuivre leur lutte jusqu’à obtenir gain de cause pour développer leur territoire.

 

L’épilogue d’une longue croisade judiciaire entre pro et anti-projet

Après moult bras de fer, les affaires se sont portées devant les tribunaux entre les pros et antis Europacity après des dépôts de plaintes et des appels aux verdicts judiciaires. Le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé le 06 mars 2018 l’arrêté préfectoral du 21 décembre 2016 approuvant la création de la zone d’aménagement concerté (ZAC), estimant que l’étude d’impact présentée en 2016 lors de l’enquête publique comportait des lacunes en matière environnementale et d’émissions de CO2  en ces termes : des lacunes « de nature à nuire à l’information complète de la population et à exercer une influence sur la décision de l’autorité administrative ». Le 12 mars 2018 ce même tribunal a annulé le plan local d’urbanisme (PLU) de Gonesse estimant que le conseil municipal qui a approuvé le 25 septembre 2017 le PLU avait commis une erreur manifeste d’appréciation en classant en zone à urbaniser (ZAC) les 248 hectares de terres agricoles.

Le 19 juillet 2018, le commissaire-enquêteur Bruno Ferry-Wilczek a donné un avis favorable après l’enquête publique menée en début d’année dans l’optique de déterminer l’importance de l'aménagement de la ZAC du Triangle de Gonesse pour être déclaré d’utilité publique (DUP). Il conclut que dans sa globalité le projet est cohérent par rapport aux objectifs projetés et donc présente beaucoup plus des avantages que des inconvénients pour la collectivité et les locaux. Même si l’avis  n’est que consultatif soumis à l’approbation du préfet, l’espoir devenait grandissant pour les pros projet. Hormis ce projet, un quartier d’affaires international de 128 hectares est en gestation pour la ZAC.

En Juillet 2019, par rapport à l’appel fait par l'État et Grand Paris Aménagement suite à l’annulation du PLU par le tribunal administratif de Pontoise, la cour administrative d'appel de Versailles a validé par un arrêt le 11 juillet la création de la zone d’aménagement concerté (ZAC) du triangle de Gonesse selon le PLU voter par le conseil municipal de Gonesse. La cour administrative estime :  «le contenu de l'étude d'impact est proportionné à la sensibilité environnementale de la zone (...) à l'importance et la nature des travaux (...) et à leurs incidences prévisibles sur l'environnement ou la santé humaine ».  Ceci ouvrait la voie à une lueur d’espoir pour la réalisation du projet. Dans la ces soubresauts judicaires opposant les différents partis, l’Elysée a décidé tout simplement début novembre 2019 de repenser des nouveaux projets adaptés à la zone mais n’a pas émis un avis sur le dernier arrêt judicaire.

La bataille informationnelle autour du projet de la ZAC du Triangle de Gonesse mobilise deux stratégies sous deux angles différents et le projet EUROPACITY n’est que la partie visible de l’iceberg. En toile de fond, les opposants ont comme base d’appui la défense environnementale et secundo le sauvetage du commerce local et de proximité. A part le projet gigantesque de 3.1 milliards sur financement du groupe Auchan et de son associé chinois Wanda, les opposants veulent tout simplement que cette zone soit conservée comme zone agricole et ne veulent pas entendre parler d’un lopin bétonné ne serait-ce que pour la gare. Ils estiment qu’une gare est nécessairement accompagnée d’un projet. Pour les 10000 emplois qui seront créés, les détracteurs estiment qu’11 800 emplois qui seront détruits sur un périmètre de 20 kilomètres se référant à une étude du cabinet McKinsey en 2016. C’est pourquoi ils ont misé sur une mobilisation de masse et de proximité alliant les commerçants, agriculteurs et les mouvements écologiques.

Malgré l’annonce de l’Elysée sur l’abandon du projet Europacity, la mobilisation des opposants au projet ne faiblit pas car ils estiment que baisser la pression verra resurgir un autre projet dans leurs champs. Les pro-projets menés principalement par les élus locaux voient en ce projet une manne qui dopera la santé financière de la commune et par ricochet du département. C’est pourquoi ils cherchent à relancer une mobilisation d’opinion afin de peser de tout leur poids afin que le projet voie le jour pour la vitalité économique du département.

Smaila Brahim Zébé