La voix de la Chine ou la propagande internationale du Parti communiste chinois


 

 

L’annonce en mars 2018 de la fusion entre la China Global Television Network, la China Radio International et la China National Radio pour former la « Voice of China » est un signe clair de l’ambition chinoise à développer son appareil de propagande à l’extérieur de ses frontières. Toutefois, en dépit des moyens colossaux mis en place et malgré sa capacité d’adaptation, la stratégie d’influence de la Chine peine à séduire les audiences occidentales, relais d’influence cruciaux pour le développement de sa politique économique et commerciale.

 

La crise de Hong Kong comme révélateur 

Beaucoup d’encre coule depuis plusieurs mois dans les journaux occidentaux sur la situation à Hong Kong. Malgré la persistance du blocage du processus politique par les manifestants, experts et journalistes se sont pour la majorité focalisés sur la probabilité de l’emploi de la force militaire par la Chine communiste afin de faire taire la dissension. Pourtant, le spectre des événements de Tiananmen rôde toujours au sein du Parti Communiste Chinois et l’isolement de la Chine, dans un contexte d’affrontement géo-économique avec les Etats Unis, n’est pas une option réaliste pour son secrétaire général Xi Jinping souhaitant donner de l’écho aux principes du nouveau « rêve chinois ».

Depuis l’arrivée au pouvoir de ce dernier, la politique intérieure de la Chine s’est vue verrouillée par la censure, le combat contre la corruption, l’impossibilité pour les ONG de se développer, la mise en place d’un système de crédit social et la mainmise sur les principes idéologiques régissant la place et le rôle du PCC en interne aussi bien que sur la scène internationale. Afin de tisser son réseau d’influence international, condition sine qua non au développement du projet des Nouvelles Routes de la Soie, le pouvoir chinois vise d’une part à développer les outils participant à la propagation de « l’histoire vraie de la Chine » et d’autre part à entraver la portée des discours qui contreviennent à la ligne fixée par le pouvoir central chinois. Les sujets concernés sont connus : l’évocation de l’indépendance du Tibet, de Taïwan et de Hong Kong, du respect des droits de l’Homme au Xinjiang, du statut de la mer de Chine méridionale ou du culte de la personnalité de Xi.

Si les grands chantiers de développement du soft power chinois précèdent l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping, le développement de la politique d’influence de la Chine s’inscrit dans la perspective de ceux-ci, porté par l’ambition des dirigeants chinois de façonner le XXIème siècle à leur profit. Le monde occidental, en quête d’un nouveau souffle économique et dont l’unité politique chancèle, apparait alors comme une cible évidente. Aux initiatives de rayonnement culturel, portées par le développement des Instituts Confucius autour du globe1, s’est ajouté le développement fulgurant des outils médiatiques du PCC. L’agence de presse officielle chinoise Xinhua déploie aujourd’hui un réseau de 180 bureaux autour du monde, détient à la majorité la China News Network, station de télévision diffusant 24 heures sur 24 en anglais. CCTV-News, chaîne de télévision de la CCTV nationale chinoise, devenue CGTN en 2016, diffuse en anglais dans le monde. La China Radio International quant à elle diffuse en 43 langues quotidiennement dans le monde. La fusion menant à la création en 2018 de China Media Group, aussi connu sous le nom de Voice of China, poursuit cette logique de diffusion de l’information à l’international pour soutenir le développement économique de la Chine moderne.

 

La stratégie d’influence médiatique de la Chine

Len enjeux de l’information ont été l’une des priorités stratégiques du Parti depuis sa création en 1919. Dans la période de guerre civile qui opposa le Parti communiste au Kuomintang, le parti nationaliste, puis à l’envahisseur japonais, le rôle de l’influence dans la bataille idéologique fit émerger une structure dédiée à la guerre informationnelle : le Front Uni (United Front en anglais), initialement chargé de rassembler les mouvements révolutionnaires sous l’égide du Comintern. A partir des années 1930 en Chine, les dirigeants adaptèrent l’outil aux spécificités de l’Etat chinois, à sa stratégie internationale et sa culture afin qu’il serve de ciment entre les appareils propres à l’Etat et les agents de propagande du Parti, à l’instar du Département Central de la Publicité2.

Utilisé à grande échelle durant la guerre froide, le principe du Front Uni perdit de son utilité pratique dès la fin des années 1970 lorsque la Chine, sous l’impulsion de Deng Xiaoping, s’ouvrit progressivement sur l’extérieur. Les deux décennies qui suivirent la chute du mur de Berlin furent aussi synonymes d’une Chine en retrait sur le plan de l’influence internationale, caractérisée par la posture de « profil bas »3 de Deng. Toutefois l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping en 2012 acheva de convaincre les élites dirigeantes du besoin de restructurer la posture de la Chine sur le plan international. La création des Nouvelles Routes de la Soie, accompagnée par la formulation du « rêve chinois » posèrent les bases de la stratégie nationale voulue par Xi.

Aux mesures internes prises dans le but de centraliser le pouvoir, maîtriser la corruption et empêcher toute voix dissidente, les travaux du Front Uni furent réhabilités et placés sous les auspices du Ministère des Affaires Etrangères afin de développer le réseau d’influence de l’Etat chinois en dehors de ses frontières. Le dirigeant chinois déclarait en 2014 le besoin de « déplacer le centre de gravité stratégique de la Chine d’une concentration sur le développement économique interne vers l’expansion externe de son influence »3 faisant donc évoluer la posture défensive de la Chine vers une posture offensive, son influence médiatique devant ainsi servir son besoin de stabilité économique.

A la guerre informationnelle interne se superposait dès lors le besoin de toucher les audiences externes. Dans la stratégie d’influence chinoise, deux catégories de cibles sont identifiées : la diaspora chinoise d’un coté et les étrangers de l’autre. Si pour la première catégorie existent des structures sous l’autorité directe du comité central du PCC4, à l’instar du Département des Affaires Chinoises d’outre-mer, les sociétés étrangères sont plus difficile d’accès, pour des raisons linguistiques, culturelles et politiques. Ainsi le besoin de séduire les audiences étrangères se place dans la perspective des efforts de diplomatie publique que développe Pékin dans le but de « bien raconter l’histoire de la Chine et correctement disséminer sa voix »5.

Initialement focalisée sur son environnement régional et la diffusion massive de contenu promouvant l’attrait culturel de la Chine, cette stratégie d’influence a évolué L’exemple du changement de nom de CCTV-News en Central Global Television Network en 2016 est évocateur en ce sens, révélant la volonté du gouvernement chinois de créer un média capable de concurrencer Al Jazeera ou Russia Today6 en augmentant significativement sa présence sur les réseaux sociaux tels YouTube, Facebook et Twitter pour ainsi l’aider à capter plus efficacement des audiences occidentales.

Les bouchées doubles sont donc de rigueur pour développer son réseau d’influence international. Le but n’est plus uniquement de transmettre l’originalité culturelle chinoise via la diffusion massive de contenu mais d’organiser de manière plus ciblée l’usage de son outil médiatique. Il s’agit dès lors d’identifier les entités influentes au sein de milieux spécifiques (scientifiques, académiques, économiques et financiers) et de réussir à s’en rapprocher via le développement de partenariats stratégiques avec médias et journalistes étrangers. Cette tactique fait référence à l’axiome « emprunter un bateau pour aller sur l’océan » utilisé par Mao Zedong et repris par Xi Jinping pour signifier l’importance placée sur les voix étrangères pour réverbérer le discours chinois. Depuis 2009 le développement à l’international des médias d’Etat chinois a grandement profité de subventions conséquentes7 mais n’est pas parvenu à améliorer l’image du Parti au sein des audiences étrangères occidentales : dès lors que du contenu est sponsorisé par les autorités chinoises, il est perçu comme de la propagande et non comme de l’actualité. Pour pallier à ce déficit d’image, les médias chinois ont donc mission de s’associer, par tous les moyens disponibles aux médias et journalistes influents en Amérique du nord, en Océanie et en Europe.

 

Les limites de la  propagande chinoise 

Depuis le 19ème congrès national du PCC en octobre 2017, l’ampleur de la restructuration de l’outil médiatique par la diversification de l’usage de la pression économique est évidente. Si l’information est toujours contrôlée de manière abusive au sein du territoire chinois, le gouvernement de la RPC n’hésite plus à exploiter les vulnérabilités inhérentes à une presse libre, parfois soumise à la pression financière pour pouvoir continuer à fonctionner. Dans sa forme la plus simple, cette pression économique consiste du point de vue chinois à payer pour faire apparaître du contenu au sein de publications locales influentes, comme celles de l’agence Xinhua ou de China Daily au sein du New York Times aux Etats-Unis, du Handelsblatt en Allemagne ou encore du Figaro en France8. De manière plus insidieuse, il peut s’agir de diffuser du contenu sponsorisé de la Radio Chine Internationale de manière opaque sur des stations de radio locales grâce à l’appui sur des groupes médiatiques établis à l’étranger et détenus à la majorité par des entreprises d’Etat chinoises, comme la Global CAMG Media Group en Australie, G&E Studio Inc. en Amérique du nord et l’antenne du Global Times en Finlande. Le schéma est identique pour les trois entreprises, chacune détenue à 60% par la Guoguang Century Media Consultancy elle-même détenue par une filiale de la RCI9.

Dans ce cadre, les fusions et les acquisitions sont désormais des outils prépondérants dans la stratégie d’influence médiatique de la Chine, mêlant médias traditionnels et nouveaux médias à l’usage des réseaux sociaux (dont la majeure partie est aujourd’hui interdite en Chine). Cette approche multiplateforme est donc soutenue par la formation de conglomérats de médias suivant une logique de commercialisation des intérêts médiatiques du gouvernement chinois. Ainsi lancée en janvier 2017, la fusion entre trois journaux d’actualité économique chinois (le China Securities Journal, le Shanghai Securities News et l’Economic Information Daily) et la maison de publication de l’agence de presse Xinhua met en relief la volonté du gouvernement chinois de transformer ses outils de propagande en vecteurs d’influence sur des sujets cruciaux au développement et la propagation du rêve chinois10.

La création du China Fortune Media Group qui en découle vise ainsi à promouvoir les intérêts de la Chine par le développement de l’influence de ses médias économiques et financiers et proposer des services connexes tels l’analyse de risques-crédit et la gestion de fonds. La création en mars 2018 de China Media Group, regroupant CGTN (le bras international de la chaîne de télévision CCTV), la China Radio International (RCI en français) et la China National Radio relève d’une ambition similaire, dont les prérogatives sont de publiciser les théories et les politiques du PCC ainsi que de renforcer les capacités d’émission à l’international des médias concernés11. La volonté de nommer cette entité « the Voice of China » n’est pas non plus anodine, puisqu’elle renvoie directement à la « Voice of America », plateforme médiatique subventionnée par le gouvernement américain après la seconde guerre mondiale.

 

Un rapport de force informationnel asymétrique

Le rapport de force est donc multiscalaire et asymétrique. Le développement simultané de plusieurs vecteurs pour renforcer son influence médiatique à l’international s’appuie sur l’aspect microéconomique aussi bien que sur l’aspect macroéconomique. En formant avec succès des entités capable de rivaliser avec des groupes occidentaux attirant une armada de journalistes étrangers, la stratégie chinoise semble fonctionner. En s’appuyant sur son atout financier et l’attrait de la publicité, ces nouvelles structures sont aujourd’hui capables d’utiliser des médias occidentaux pour propager la voix du PCC. Via l’adaptation de sa stratégie aux différents enjeux socio-économiques des pays concernés en parallèle de sa stratégie de diplomatie publique12 et se basant sur une préférence bilatérale dans les négociations, le gouvernement chinois sait identifier les aspérités pertinentes à prendre en compte lorsqu’il s’agit de développer son réseau médiatique international. Dès lors que l’on considère l’état de la presse traditionnelle dans un pays comme la France, l’attractivité des nouveaux médias chinois devient claire, car proposant des salaires hautement compétitifs aux journalistes occidentaux ou des formations en Chine tous frais payés en contrepartie d’une censure latente sur des sujets jugés « souverains » par le PCC.

Enfin, l’asymétrie dans ce rapport de force réside dans la nature de celui-ci. Sur le plan interne, l’accès aux médias étrangers en Chine et fortement conditionné par les contraintes légales imposées à ceux-ci par la ligne politique du PCC. Il est aujourd’hui impossible pour des médias indépendants de s’installer en Chine si ceux-ci ne respectent pas scrupuleusement la censure qui leur est imposée, s’exposant dans le cas contraire à de lourdes sanctions pénales. Sur le plan externe, l’appareil médiatique du gouvernement chinois se trouve sous la tutelle directe du Département de la Propagande mais bénéficie du soutien crucial de l’Etat chinois en termes de stratégie et de financement, mettant en relief la disparité d’intérêts entre les médias occidentaux privés, heureux de pouvoir bénéficier des investissements chinois et les médias d’Etat chinois, contraints par la rigidité dogmatique et idéologique du PCC13.

Pourtant, si l’objectif du gouvernement chinois d’adoucir son image au sein des sociétés occidentales passe invariablement par le développement de la forme de son outil médiatique, la perception de la Chine par ces mêmes sociétés ne semble pas s’améliorer. D’un côté, la Chine se place en 27ème position sur le Soft Power 30 indiquant que la rigidité des lignes éditoriales des médias gouvernementaux chinois ne leur permet toujours pas de séduire ces audiences14. De l’autre, les enquêtes d’opinion analysant la perception de la Chine par les audiences occidentales, à l’instar de l’Australie et des Etats-Unis15, montrent que la tendance inverse est de mise, indiquant une méfiance renforcée des intentions et intérêts du gouvernement chinois sur la scène internationale.

Cette analyse n’est pas pour autant définitive : la capacité de diversification et d’adaptation des outils d’influence par le gouvernement chinois montre que sur la période s’étalant de 2010 à 2020, l’outil médiatique reste prépondérant pour soutenir les intérêts politiques et économiques de la Chine. Il va ainsi de soi que la stratégie consistant à transformer son outil médiatique afin de le rendre plus attractif continuera sur cette lancée de recherche de partenariats stratégiques avec les médias occidentaux. Il semble toutefois réaliste de penser que les attitudes occidentales vis-à-vis de la Chine auront du mal à évoluer positivement face au monopole évident du PCC sur le discours de ses médias.

 

Christophe Moulin