La bataille des données : la monétisation ou la protection

 



 

La data est le nouvel or noir du monde économique, selon une expression de la Fenchweb évoquée dès 2012 citant le cabinet EMC. Tous les acteurs veulent leur part du « gâteau », eu égard aux chiffres « assez impressionnants » qui fleurissent dans des études notamment dans le magazine  Archimag , celles  de l’IDC Worldwide Big Data and Analytics Spending Guide. Pour IDC, en 2014, le marché français du Big Data affichait une valeur de 285 millions d’euros. À l’horizon 2018, le cabinet d’analyses prévoyait une progression de 129% pour une valeur totale de 652 millions d’euros. En 2015, le blog  bigdadaparis  chiffrait  le  marché évalué à 54,3 milliards de dollars en 2017 – pour 10,2 milliards en 2013  à partir des études de McKinsey.

La « maîtrise des data » est un des enjeux stratégiques du monde actuel et à venir. Du point de vue économique, les entreprises devront savoir et pouvoir la traiter, la vendre et peut être en maîtriser le marché.  Le monde politique qui constate que les données collectées à l’insu de l’internaute sont telles que ceux qui les  collectent, les vendent, mais  surtout d’autres  qui les  utilisent, sont capables d’influencer  des comportements (élections,  vote de  loi etc.).

La société civile avec les données personnelles collectées s’interroge sur les risques comme l’expose en 5 points le magazine le big data.  Et pourtant, les GAFA ont déjà 95 % du marché selon Marina Li, en février 2018, étudiante en M2 Gestion et Droit de l'Économie Numérique - Parcours Droit de l'Économie Numérique à l'Université de Strasbourg.

 

Le combat ne serait-il pas déjà terminé sans avoir vraiment commencé ?

Les parties prenantes se répartissent sur sur les échiquiers, économique, politique et sociétal. Sur le plan économique, les GAFA apparaissent comme incontournables, et depuis plusieurs années ont construit leurs modèles économiques sur la collecte et l’utilisation des données à leur profit.Dans le monde industriel, les appétits s’aiguisent et les équipementiers investissent le champ de la collecte des données de l’ITO (InTernet de l’Objet). Les Etats des   pays industriels ont sans doute évalué le « danger » pour leurs entreprises nationales, et soutiennent par des plans forts leurs industries. L’Union Européenne (UE) défend son « territoire numérique », avec le RDPG (Règlement Général de  Protections des  Données), relayée en  France par la Cnil.  Celle-ci a pour   première mission d’informer et protéger les droits. Elle est donc très vigilante sur la protection des données personnelles qu’elle définit comme étant « toute information se rapportant à une personne physique identifiée ou identifiable ». De son côté, l'Etat français investit le champ de l’Open Data via des lois qui visent à l’imposer, pour répondre à des enjeux démocratiques et également permettre un développement économique.

En 2016, la Responsable  de l’antitrust européen, Margrethe Vestager,, mettait  la pression sur les GAFA, rappelant que  la Cour de justice européenne avait annulé des accords  USA/ UE, estimant que les droits des citoyens européens étaient insuffisamment garantis quand leurs données traversent l’Atlantique.  Et la question de  la monétisation de ces données se  pose. Les consommateurs -internautes prennent conscience, si nous croyons les études  chiffrées qui circulent, qu’ils  pourraient récupérer des euros ou des dollars avec ce qu’ ils fournissent  gratuitement. Les ONG comme le think tank Générations Libre (GL) de  Gaspard Koenig  investissent aussi le terrain de la data et de sa monétisation.

 

Comment chacun déploie ou non ses forces 

L’UE et la Cnil s’attaquent aux GAFA exprimant que la marchandisation des données  va entrainer un déséquilibre entre la protection et la libre circulation des données. Le RGPD  est une des armes qui a obligé les GAFA  à s’aligner, la sanction pouvant atteindre un montant d’amende de 4 % du chiffre d’affaires. Une chronique de Caroline Guillaume , Vice-Présidente Europe du Sud, Cloud Protection & Licensing, Thales, en  2019 dresse la grille « SWOT » de la monétisation des données versus le  RGDP, en le plaçant au service de la monétisation des données.

Julia Plouchart expose sur le site infoguerre, le rapport de force. Les GAFA ont adopté ce règlement et il semble, selon elle, que finalement ce sont les TPE et les PME qui vont plus en souffrir que les GAFA ! A ce jour L’UE et les Etats veulent rester « souverains » sur le champ du numérique, c’est pourquoi ils utilisent l’arme du droit . Aux Etats Unis, en Californie, le débat est également lancé par le Gouverneur de Californie  qui veut que les géants de la Tech rémunèrent les citoyens de son État pour l'utilisation de leurs données personnelles.

Générations Libre en fait un débat idéologique et économique : GL, d’esprit libéral, prône que les internautes doivent « vendre » leurs données   aux acteurs comme les GAFA. Gaspard Koenig, philosophe, essayiste et créateur du think tank, s’exprime dans une tribune du Monde du 5 février 2018 pour que les consommateurs soient propriétaires de leurs données et donc les « monnayent ». Les entreprises peuvent s’interroger quant à la monétisation de leurs données : à ce jour, les entreprises semblent assez réservées, mais évoluent vite sur le sujet de la data, de leurs partages ou de leurs usages. Elles réfléchissent à valoriser ou monétiser. La société de conseil SIA.partners, dans un article, éclaire sur la différence entre ces deux acceptions.

Dans le cadre de l’open data, l’INA a  pu faire exprimer  une valorisation de ses données  par le tribunal de Paris, qui a condamné  un site américain, 4starVideotv,  à 100 000 €. « Sans doute open mais pas free » ! Mais il ne s’agit pas de données personnelles. Pour autant, dans les collectivités de plus de 3500 habitants, les données doivent être ouvertes. Une start-up rochelaise, My Data is Rich, propose depuis mai 2019 un service « donnant-donnant» entre internautes et entreprises. Les gens savent que leurs données sont utiles mais ils veulent remettre la main dessus pour les faire fructifier. C'est là qu'on intervient, précise le fondateur Eric Zeyl.

Jean-Christophe Lagarde, président de l’UDI (Union des Démocrates et Indépendants) et tête de liste aux dernières élections européennes, propose d’instaurer un régime de propriété sur la donnée. Une idée contraire aux principes du RGPD, qui en fait un bien non marchand et non cessible en vertu du droit fondamental à la vie privée. « Cette matière première qui permet de tirer toute cette valeur est captée par des acteurs qui ne la paient pas, c’est du vol ! explique-t-il. Or, le pétrole, c’est nous ! Autant que cela soit reconnu et qu’on en profite. » D’autres, comme Serge Abiteboul, chercheur à l'Inria (Institut National de Recherche en Informatique) et à l'Ecole normale supérieure, et Gilles Dowek chercheur à l'Inria et professeur à l'ENS Paris-Saclay, s’accordent à dire qu’ils préfèrent le respect de la vie privée car le droit de propriété de nos données qui deviennent vendables ne donnerait ni profit ni protection puisqu’elle est une matière première.

 

Qu’est-ce que les données personnelle  peuvent valoir ?

La donnée individuelle n’a que peu de valeur selon certains : c’est la somme de toutes les données en format statistique qui prend de la valeur. Un étudiant italien en 2014 a mis en vente ses données pour 2 dollars par jour soit environ 660  €  par an. Dans ce même article, Orange aurait sondé des Français qui fixaient la valeur de leurs données à 170 €/an. Et si les données volées se revendent sur la darkweb c’est sans doute qu’elles ont un intérêt ! Yves Grandmontagne, journaliste IT, rapporte que la valeur moyenne des données personnelles dans le monde est de 17,89 € en 2015 sur le marché noir. Bastien L. en 2018 nous apprend qu’un numéro de sécurité sociale serait d’un prix de 0,05 dollar quand c’est une personne prise au hasard et de 3 dollars si c’est une personne spécifique. Sous une autre forme, l’ancien député J Dray a proposé de « taxer » les GAFA en reversant 50 k€ à chaque Français à sa majorité : formule originale pour tenir compte du déséquilibre de rapport de force GAFA – internaute/individu et même des Etats. Cependant, rien que pour la France, avec environ 840 000 jeunes qui atteignent la majorité chaque année, cela représente 42 milliards d’euros...

De leur côté, les pouvoirs publics ne sont pas favorables à l'idée. Dans un rapport en 2017, le CNN (Conseil national du numérique) avait considéré la mise en place d'un modèle de patrimonialité des données comme un processus « dangereux ». Sandy Viguier, étudiante en 2019 qualification de niveau III (bac+2) " Mention Bien " de Webmaster au Lycée Post-Bac Saliège – Toulouse, sur un site dédié à l’e-réputation et aux enjeux communicationnels du web, conclut, en mentionnant GL G Koenig dans son article que monétiser ses données ne permettrait pas de se les approprier. Et donc les gagnants seront, selon elle, les GAFA et les grands groupes.

Sur le blog contrepoints.fr, Eddie Willers fait une démonstration d’idées reçues en matière de monétisation des données : le fait d’affirmer que Google utilise nos données sans contrepartie est selon lui, faux. Il en va de même là propos des gains des GAFA qui ne seraient pas légitimes. Cette affirmation est fausse selon son approche. Il répond donc explicitement à GL G Koenig par ce biais. Il semble être sur la ligne libérale mais estime devoir exprimer son désaccord.  Cependant Eddie  Wimmers est  un pseudonyme...qui dit être né 1993 et être analyste dans un fonds d’investissement et engagé dans le scoutisme. Son pseudonyme interroge.

 

 

 

Patrick Le Men