L'agribashing s'est imposé dans le débat public



 

En trente ans, le monde agricole est devenu un des secteurs économiques les plus soumis à la guerre de l'information par le contenu : campagnes de dénigrement, insultes et multiplication des attaques criminelles contre des exploitations, troubles de voisinage débouchant sur des plaintes pour nuisances sonores, olfactives ou visuelles ?... alors que dans le même temps,   74% des Français déclarent avoir confiance dans leurs agriculteurs (sondage Harris interactive - 09/2019) et que The Economist Intelligence Unit salue dans sa dernière étude (2018) et pour la troisième année consécutive les efforts de la France et des agriculteurs en matière de transition agro-écologique.

L’opération « 1 000 tracteurs pour bloquer Paris »  ainsi que les manifestations de  2018  ont connu une résonnance particulière pour que Didier Guillaume, le ministre de l’agriculture reprenne la formule en annonçant être « un bouclier face à l’agribashing » et promettant la création d’un observatoire dédié  à cette question.Comme l’illustre le nombre de recherches effectuées sur internet (Google), l’agribashing est une thématique récente, sortie des cénacles agricoles pour envahir la sphère publique en  2018, dénonçant les pratiques agricoles productivistes. Une transformation dont les agriculteurs dans leur grande majorité reconnaissent le caractère inévitable pour répondre à l’effet conjugué d’un durcissement des normes environnementales, d’une agriculture mondialisée et de l’injonction légitime des consommateurs pour plus de traçabilité et de qualité.

Si cette notion d’agribashing ne fait pas l’unanimité, y compris dans le monde agricole, elle n’en paraît pas moins importante aux yeux de nombreux agriculteurs comme le montrent les résultats d’une enquête récente de l’IFOP publié par Ouest France en Octobre 2019

 

Une multiplication des attaques informationnelles contre le monde agricole

Le secteur agricole du fait des interactions de l’activité agricole avec les problématiques environnementales,  de santé, d’alimentation, de culture et même de religion (dans le cas de l’abattage rituel)  est entré dans l’ère du risque sociétal avec l’émergence d’une pluralité d’acteurs qui animent le débat public avec plus ou moins de velléité:  organisations anti-pesticides (ex : Génération Futures...),  associations de défense de la cause animale (ex : L214 ; 269 Life France), associations écologiques (Greenpeace ;  WWF),  journalistes et scientifiques militants, mouvements citoyens (ex : « nous voulons tous des coquelicots »), riverains d’exploitations, néo ruraux, élus locaux...

Il paraît donc important de bien définir ce que représente ce concept alors que deux approches tendent soit à nier l’existence même d’un tel phénomène, soit à assimiler n’importe quelle forme de critique à de l’agribashing. La forme la plus modérée considère cette approche comme un éveil  des consciences en  questionnant l’impact des pesticides pour la santé et l’environnement ,  en se souciant du bien-être animal ou en critiquant les pratiques agricoles  traditionnelles .  En revanche, on peut estimer dans sa version radicale,  que l’on fait face à de l’agribashing dès lors que la critique est systématiquement à charge avec la volonté d’opposer les modèles les uns aux autres (bio vs. conventionnel), d’inciter de façon plus ou moins explicite à un passage à l’acte (actes malveillants), de véhiculer auprès du public  une vision orientée des faits, voire propager des « fake news » et de la « fake science », sur une méconnaissance de la science et de la réalité concrète du terrain et de ses contraintes. La polémique sur le glyphosate opposant la communauté scientifique sur la probabilité ou non de risques de cancer pour l’Homme sur la base d’études contradictoires ou partiales est une illustration de la complexité pour le grand public de disposer d’une grille de lecture objective et indépendante de l’influence des lobbies.

 

Dans ce jeu politico-médiatique,  les syndicats agricoles ne sont pas exempts de responsabilités quant à leur propre orchestration du sujet. Ce sont en effet deux visions qui s’opposent. Les uns, la Coordination rurale et la Confédération paysanne prônant des mesures volontaristes pour accompagner la fin du modèle intensif reprochent aux autres,  la FNSEA et les Jeunes Agriculteurs de céder à la facilité en agitant le chiffon rouge de  l’agribashing pour cacher les vrais problèmes des agriculteurs.

 

Guerre de l’information et de l’image 

Inspirées par les méthodes de communication des organisations historiques comme PETA (People for the Ethical Treatment of Animals),  ALF (Animal Liberation Front), Extinction Rebellion (RX)  au Royaume-Uni ou PAN (Pesticide Action Network) aux Etats Unis, les associations françaises ont investi le débat public avec succès, combinant plusieurs facteurs : diffusion de contenus et actions à fort impact émotionnel,  recours à des leaders d’opinion et proximité avec la presse traditionnelle.

Très présentes sur les réseaux sociaux à l’image de L214 connue pour avoir diffusé plus d’une cinquantaine de vidéos chocs sur le traitement des animaux dans les abattoirs (ex : abattoir municipal d’Alès en octobre 2015) ou 269 Life France avec des opérations coups de poing, elles capitalisent sur la notoriété de personnalités du monde du spectacle, de l’audiovisuel ou même religieuses,  pour rallier l’opinion publique. L’exemple de la cause vegan en est une illustration. Alors que ses adeptes représenteraient moins de 0,02 % de la population française, la part de voix des activistes animalistes reste largement supérieure à ce score, fruit d’une parfaite maitrise des réseaux sociaux, des référencements sur Internet et de la capacité à promouvoir leurs idéaux dans la société.

Cette sensibilité sociétale  aux questions environnementales ou animales suscite en effet un intérêt de plus en plus manifeste de la part des médias qui semblent avoir trouvé un «filon » avec la dénonciation de « scandales » impliquant des multinationales et la diffusion d’informations souvent à caractère anxiogène autour de l’agriculture et de l’alimentation. L’exemple des émissions de Cash Investigation consacrées aux pesticides (2016, 2018)  font figure de cas d’école dans cette recherche de sensationnalisme comme tend à l’illustrer une plainte de l’ Association Française de l’Information (AFIS) auprès du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA)  ou le travail de décryptage de la même émission réalisé par Eddy Fougier, politologue et expert des mouvements protestataires en relevant que sur 2h15 de reportage, plus de 500 termes anxiogènes ont été employés, soit en moyenne une fois toutes les 16 secondes. Autre exemple cité par le même auteur pour illustrer une  prise de  « parole à charge » est le nombre d’occurrences entre les termes « pesticides » et « cancer » qui apparaissent dans les colonnes du journal   Le monde  au travers d’une centaine d’articles entre 2016 et 2017. Sur le même sujet, l’ONG « Générations Futures » occupe régulièrement la scène médiatique en multipliant les études, recours en justice ou actions emblématiques comme lorsqu’elle révèle la présence de molécules perturbatrices endocriniennes  recueillies sur des prélèvements de cheveux de candidats écologiques à l’élection présidentielle.

Les organisations écologiques comme Greenpeace ou WWF capitalisent pour leur part sur leur visibilité et leur emprise sur le territoire  pour  interpeller l’opinion publique, sommant les élus de tous niveaux à prendre position comme par exemple dans la commune de Langouët où le maire a pris un arrêté municipal  (décision actuellement contestée devant la justice) interdisant l’utilisation des pesticides à moins de 150 mètres2 des habitations ou bâtiments publics .

Contrairement aux années 1990 où la critique envers le monde agricole se manifestait déjà  par des actions de désobéissance civile  (ex : Faucheurs volontaires pour lutter contre les OGM),  l’émergence des réseaux sociaux avec des prises de parole isolées ou collectives devenues incontrôlables viennent renforcer la  pression exercée sur les agriculteurs. Ainsi, certaines associations de défense de la cause animale revendiquent des positions plus radicales passant d’un discours en faveur de l’amélioration des conditions de vie des animaux à l‘abolition de toute forme d’exploitation des animaux, n’hésitant plus à s’attaquer aux biens et aux personnes.

 

La prise de conscience des agriculteurs

Face à cette omniprésence de l’agribashing dans les médias, les agriculteurs prennent de plus en plus conscience de la nécessité de sortir de cet enfermement et de réagi  par un dialogue direct avec les citoyens en investissant à leur tour le terrain médiatique avec des messages compréhensibles du grand public. Selon, l’Observatoire du Syrpa (mai 2018), seuls 17 % des messages de communication de la profession agricole s’adressent au citoyen lambda. L’arrivée de jeunes agriculteurs pour certains très présents sur les réseaux sociaux1, est une vraie opportunité de prendre la parole, de devenir visible ou audible pour contrebalancer un agribashing récurrent. C’est le cas des  communautés virtuelles comme « #ceuxquifontdulait » ou « #Fragritwittos »  qui communiquent auprès de  leurs abonnés sur le quotidien des agriculteurs et les aspects techniques de leurs activités.

Outre la promotion sur les réseaux sociaux, les agriculteurs cherchent également à multiplier les contacts avec les citoyens-consommateurs faisant ainsi évoluer l’image d’Épinal attachée à  l’agriculture (ouverture des exploitations). Dans la guerre de l’information, les mouvements animalistes ou de défense de l’environnement  ont réussi leur pari à s’imposer dans le débat public conduisant à interdire totalement l’usage du glyphosate, à transformer la question animale en controverses dans un contexte où la sensibilité des Français vis-à-vis du bien-être animal est de plus en plus marquée contribuant à influer sur les habitudes alimentaires avec une  baisse de 12  % (au cours des 10 dernières années) de consommation de viande.

Que l’on adhère ou pas à l’agribashing, l’évolution  du marché de l’information demeure un facteur déterminant dans l’émergence de ce phénomène de société. Parce que l’opinion publique est de plus exigeante quant à l’accès et la qualité de l’information,  il est essentiel de développer un processus de vérification des faits par des tiers de confiance. C’est le choix qu’a fait le Royaume-Unis depuis 2002 avec le Science Média Center (SMC) pour les questions alimentaires.

 Jean-François Welmant


 

 

Notes

1 source Eddy FAUGIER, Fondapol,  Janvier 2018 : Entre 1 et 5 % y sont très actifs, soit environ entre 5 et 20 000 agronautes présents sur les réseaux sociaux.

2 Zone de Non -Traitement (ZNT) applicable à partir du 1/1/2020, fixée à  5 m pour les cultures basses, dont les céréales et plus généralement les grandes cultures, y compris le maïs ; 10 m pour les cultures arboricoles, les vignes, les arbres et arbustes, la forêt, les petits fruits et cultures ornementales de plus de 50 cm de hauteur, les bananiers et le houblon; 20 m incompressibles pour les pour les substances les plus préoccupantes

 

Sources principales :

  • Eddy FOUGIER, Travaux  de la Fondation pour l’innovation politique,  La contestation animaliste radicale, Janvier 2018.

  • Eddy FOUGIER, rapport sur le monde agricole face au défi de l’agribashing.

  • Remi MER, Revue Sésame de l’INRA, Agribashing, vraiment (II) ? Du buzz et des réseaux sociaux, 2 juillet 2018.