Les enjeux pétroliers autour des îles Eparses


 

Quelques semaines avant l’accès de Madagascar à l’indépendance, la France décrète le rattachement des îles Eparses au ministère chargé des départements et des territoires d’outre-mer. Cette disposition les exclut de fait de l’accord préalable à l’indépendance acquise le 26 juin 1960, ce qui donne naissance à un rapport de forces qui dure depuis 60 ans. En 1973, le nouveau président malgache demande à la France la restitution des îles Eparses. Par la résolution 34/91 du 12 décembre 1979, les Nations Unies invitent la France à entamer des pourparlers. Quarante ans plus tard, les présidents français et malgache projettent de parvenir à une solution commune avant le 26 juin 2020.

 

Un chapelet d’actes administratifs sur fond de questions environnementales

Les îles Eparses disposent d’une Zone économique exclusive (ZEE) de 636 000 km² répartie sur plus de la moitié du canal du Mozambique qui sépare Madagascar du continent africain. Selon plusieurs études, la zone renfermerait des réserves inexplorées de gaz et d’hydrocarbures. La US Geological Survey (2012) les évalue à 12 milliards de barils pour le pétrole et 5 milliards de mètres cubes pour le gaz. Les présomptions sur la présence de réserves fossiles dans la région datent du début du siècle dernier, mais les difficultés d’accès ont refréné pendant longtemps les velléités d’exploration. Devenue possible aujourd’hui grâce aux évolutions technologiques, elle se heurte aux préoccupations environnementales qui elles-mêmes ont évolué. Dès 1971, la France met en exergue la préservation de l’écosystème des îles Eparses, lorsque le préfet de la Réunion – l’autorité administrative de ces îles -  les classe (sauf Juan de Nova) réserve naturelle. Quatre ans plus tard, le séjour sur les îles Eparses est subordonné à une autorisation écrite préalable. Seuls des militaires s’y relaient tous les 45 jours, depuis 1973 jusqu’à aujourd’hui.

Cette décision permet aussi à la Réunion de protéger les ressources des îles du braconnage par les Malgaches. En effet, à cette époque, à la Réunion comme à Madagascar, les écailles de tortues étaient utilisées pour la fabrication d’objets artisanaux. Lorsque Jean Fontaine député de la Réunion demande le renforcement de la surveillance et de la protection du domaine maritime français, il s’explique : « L’élevage de la tortue à la Réunion dépend de la libre disposition des îles Eparses » (séance du 7 juin 1977).

Sous la pression de la société civile, l’arrêté préfectoral du 15 février 1994 interdit finalement toute pêche à l’intérieur des eaux territoriales (limite de 12 miles marins des côtes). Et depuis le 21 février 2007, la desserte des îles Eparses est soumise à l’agrément des autorités administratives, attribué principalement aux scientifiques. Une étude de TGS-Nopec de 2003 compare le canal du Mozambique à la mer du Nord 40 ans plus tôt (potentialité d’hydrocarbure). Un arrêté de 2005 autorise TGS-Nopec à procéder à une prospection au large de Juan de Nova. En 2008, un permis exclusif d’exploration pétrolière pour 5 ans est attribué à Marex Petroleum (EUA) et à Sapetro (Nigeria) sur la zone de Juan de Nova.

N’ayant pas répondu aux demande d’extension des permis, en 2015 un jugement contraint la ministre de l’Environnement d’attribuer des permis de 5 ans supplémentaires à Marex Petroleum et Sapetro. Dans le cadre de sa politique environnementale, en 2017 la France vote une loi mettant fin à la recherche et à l’exploitation des hydrocarbures d’ici 2040. En 2019, elle conforte sa démarche en planifiant de classer l’archipel des Glorieuses réserve naturelle nationale dès 2020. Côté français, la page des hydrocarbures semble définitivement tournée.

 

Des ressources énergétiques qui manquent à Madagascar

Madagascar classé 5ème pays le plus pauvre de la planète importe l’intégralité de sa consommation pétrolière. Quatre compagnies se partagent la distribution de produits pétroliers à Madagascar : Total, Jovenna, Galenna (Rubis) et Vivo (Shell). Ces sociétés sont regroupées au sein du GPM (Groupement pétrolier de Madagascar). Tous les six mois, l’exécutif rencontre ces compagnies en vue de fixer les prix à la pompe, afin de ne pas répercuter les hausses du cours du pétrole sur les consommateurs. Mais cette réglementation des prix engendre de la dette auprès des sociétés pétrolières. La JIRAMA (société nationale d’eau et d’électricité) s’est elle-même endettée auprès des compagnies pétrolières et ne parvient pas à s’approvisionner pour assurer suffisamment la production électrique principalement thermique dans les villes.

Face au mécontentement de la population soumise à des délestages réguliers et aux pénuries d’essence, l’exécutif malgache tente de s’affranchir de sa dépendance énergétique, comme le préconise la Banque Mondiale dans son rapport de printemps 2019. Lors de l’Africa Oil Week en 2018, l’office des mines (OMNIS) a lancé un appel d’offres pour 44 blocs offshores. Mais ces derniers menaçaient les ressources halieutiques dont dépendent une grande partie de la population. Ce projet a été annulé in extremis par le gouvernement malgache.  Pendant la campagne présidentielle malgache de 2018, une dizaine de candidats (sur 36) ont rapporté avoir été approchés par des personnes russophones. Elles auraient proposé une participation au financement de leur campagne en échange du soutien au candidat favori qui arriverait au second tour. Certains rappellent l’intérêt des russes pour les îles Eparses. La China Geological Survey a financé sa première étude portant sur le potentiel onshore et offshore à Madagascar (2018).

 

Mareva Razafintsalama