Guerre de l'information sur les conséquences économiques du resserrement du crédit immobilier

 

 


 

Le 20 décembre 2019, le Haut conseil de stabilité financière (HCSF) émet une recommandation aux sociétés de financement en leur demandant qu'ils fassent preuve de prudence dans la délivrance des crédits immobiliers. Dans une logique macro-économique, le HCSF s’inquiète de la  dynamique excessive de l’endettement des ménages et veut mettre fin à un emballement du crédit immobilier, susceptible d'engendrer une crise bancaire en cas de retournement du marché immobilier. Cette recommandation fait l'objet d'une importante guerre informationnelle de la part de plusieurs acteurs économiques, au premier rang desquels les courtiers et les sociétés d'investissement locatif, dont l'activité est fortement liée au maintien de la délivrance des prêts bancaires pour l'achat d'un logement. La nature des arguments utilisés et leur forte résonance médiatique témoigne de la pertinence de la guerre informationnelle pour contrecarrer des décisions économiques contraires à des intérêts catégoriels.

 

La recommandation du HCSF pour mettre un  coup d'arrêt à l'emballement du crédit immobilier

Le 20 décembre 2019, dans sa recommandation relative aux évolutions du marché immobilier résidentiel en France en matière d’octroi de crédit, le HCSF demande que soient respectés deux critères dans l’octroi des crédits immobiliers résidentiels en France : que le taux d’effort à l’octroi des emprunteurs de crédit immobilier n’excède pas 33 %, et que la durée de ces crédits soit inférieure à 25 ans.Cette recommandation s'inscrit pleinement dans le mandat de cette autorité française, qui est  chargée d’« exercer la surveillance du système financier dans son ensemble, dans le but d’en préserver la stabilité et la capacité à assurer une contribution soutenable à la croissance économique » (article L.631-2-1 du Code monétaire et financier). Pour ce faire, le HCSF dispose d’instruments d’influence, tels la publication d'avis qui permettent de signaler un risque, peut également émettre des recommandations, mais peut également utiliser des prérogatives juridiquement contraignantes.

Cette recommandation fait suite à la publication, par cette même autorité, le 17 octobre 2019, d'un  diagnostic des risques liés à l'immobilier, qui s'alarme des pratiques bancaires visant à assouplir de façon continue les conditions d’octroi des  crédit immobiliers (allongement des durées de crédits, taux d’effort des emprunteurs supérieurs à 35 %, baisse continue de leurs apports). Ces dynamiques ont pour conséquences d'augmenter les risques pour les ménages, toujours plus endettés, ainsi que pour les banques, contraintes à réduire encore davantage leurs marges sur les crédits à l'habitat.

 

La guerre informationnelle menée par  les courtiers 

Très rapidement, la profession la plus touchée par la recommandation du HCSF, à savoir celle des courtiers, se livre à une guerre informationnelle pour dénoncer les conséquences économiques de ces préconisations. Les courtiers sont directement touchés par une limitation de l'encourt des crédits immobiliers, dont ils portent près de 50 % des dossiers. Or, très rapidement après la recommandation prise par le HCSF, les courtiers s'alarment des difficultés à faire passer les dossiers. Ainsi, un porte-parole de l'agence de courtier MeilleursTaux fait le constat que de plus en plus de dossiers sont rejetés par les banques, qui appliquent de façon stricte les nouvelles prescriptions du Haut Conseil de stabilité financière. Très actif dans les médias, le réseau de courtiers indépendants J’aimemoncourtier s'oppose à ces mesures, qualifiées de « coup de rabot supplémentaire sur la part de marché des courtiers en crédit ». Dans un contexte de taux bas et de nécessité pour les banques de rehausser leurs marges, ce réseau estime que l'activité des courtiers sera particulièrement affectée par la baisse de volume de crédit, en raison des commissions versées.  Un autre tir de barrage est effectué par la Chambre Nationale des Conseils Experts Financiers (CNCEF), qui s'inquiète pour l'avenir des courtiers, dont « l'existence » même serait « remise en cause par les recommandations du HCSF ».

Pour frapper l'opinion publique et influencer les autorités politiques, la guerre informationnelle menée par les courtiers s'écarte en partie des considérations liées à leur profession, pour cibler des arguments susceptibles de rallier à eux l'opinion publique.

Deux arguments de cette guerre informationnelle sont plus particulièrement mis en avant :

Le premier tient à la crainte d'une nouvelle chute de la construction de logements. Pour l'un des réseaux de courtiers indépendants, les règles plus strictes d’obtention de crédit immobilier pourraient contraindre des ménages à ne plus faire d’investissement locatif. Cet excès de prudence risquerait alors de « pénaliser gravement les Français », en raison d'un supposé fort ralentissement de la promotion immobilière. Dans cette guerre informationnelle, les courtiers ont reçu le soutien de la Fédération des Promoteurs Immobilier (FPI), qui estime que cette recommandation risque de fragiliser le financement des programmes de construction. Les promoteurs immobiliers rapportent dans divers médias l'importance des investissements locatifs dans les ventes immobilières, notamment dans le cadre de la loi Pinel.

Le second argument mis en avant par les courtiers est la protection des Français les plus exposés aux risques, qui ne pourraient plus se loger, faute d'obtenir un crédit immobilier. Le réseau J’aimemoncourtier estime ainsi, dans ce qui semble être un chiffre difficilement vérifiable, qu’entre 35 et 40 % des acquéreurs n’auraient plus accès au crédit immobilier. Et parmi les personnes impactées, ce serait, estime le courtier, plus d’un quart des jeunes de moins de 35 ans qui ne pourraient plus accéder au crédit immobilier.  D'où sa demande pour que l’investissement locatif sorte du dispositif pour ne pas gripper la construction de logements neufs.  Un autre courtier,  Vousfinancer.com, expose dans les médias le même type d'argument, en insistant sur les conséquences d'une restriction du crédit immobilier pour les ménages qui disposent des plus faibles revenus. Et de s’interroger sur la façon dont ces français à revenus modestes vont vivre avec une retraite tout aussi modeste en continuant à devoir payer un loyer . Argument qui paraît suffisamment porteur et percutant, puisqu'il a été repris par le président de la région des Hauts-de-France, qui en a fait un (« 100.000 ménages (...), à qui on dit Non, mais pour vous c'est terminé, vous resterez locataires, vous ne pouvez pas devenir propriétaires, c'est terrible »).

Les deux arguments ont un même but : mettre la pression sur les banques, afin de les empêcher qu'elles ne fassent respecter trop strictement les recommandations du HCSF, ce qui aurait pour conséquence une limitation de l'offre du crédit immobilier. Cet objectif s'est traduit par une guerre informationnelle, qui a eu le mérite de porter le sujet dans la plupart des médias. L'opération peut être qualifiée de réussie, tant les arguments présentés ont fortement impacté l'opinion publique.

 

Julien Dauvergny