Guerre informationnelle autour de l’échouage des dauphins sur les côtes françaises

 


 

 

Depuis le début des années 90, des milliers de cétacés s’échouent sur nos plages (façade Atlantique, Manche et mer du Nord) et force est de constater que le phénomène s’accentue depuis 2016. L’hiver 2020 s’annonce tout aussi dramatique avec déjà 600 carcasses enregistrées et pourrait rejoindre le triste record de 2019 avec 1 200 échouages de cétacés. En cause selon France Nature Environnement (FNE), « les techniques de pêche aux filets maillants, les chalutiers à grande ouverture verticale ainsi que les chalutiers pélagiques ». Si les ONG plaident pour des mesures radicales comme l’interdiction pure et simple de la pêche au chalut en bœuf (filet remorqué par deux chalutiers entre la surface et le fond sans jamais être en contact avec lui) et au chalut pélagique au moment de la reproduction du bar, les mesures gouvernementales sont plus modérées et les résultats ne sont pas immédiats. Au-delà d’un problème français c’est l’Europe toute entière qui est concernée par la situation.

 Les ONG dénoncent les massacres de dauphins et fustigent les pêcheurs

Les alertes sont multiples et viennent de scientifiques ou d’ONG à l’instar de France Environnement Nature (FNE) en avril 2017, en mars et novembre 2018, en février, mars, juillet, septembre 2019 et en février 2020 ou de Sea Shepherd  qui par le biais de tweeter publie des vidéos choquantes comme celle d’un dauphin se faisant dépecer ou encore cette photo montrant un énième dauphin échoué pris dans un filet de pêche. La Présidente de Sea Shepherd, Lamya Essemlali a été reçue au micro de Jean-Jacques Bourdin pour « aborder le massacre des dauphins en France et alerter sur les fausses solutions, comme les pingers ». Quelles ont-été les réactions et surtout les actions mises en œuvre par l’État pour endiguer la recrudescence des échouages sur nos côtes maritimes ?

Polémique entre l’Etat et les ONG

C’est en avril 2017 que les pouvoirs publics organisent un groupe de travail en s’associant avec des scientifiques, les professionnels français de la pêche et des ONG. Les réflexions s’articulent autour d’une meilleure compréhension des interactions entre les flottes de pêche et les populations de petits cétacés dans le golfe de Gascogne, un suivi des captures accidentelles par les professionnels mais également, de mesures de prévention sur ces captures par la mise en place de répulsifs acoustiques appelés « pingers ». Début 2019, les professionnels de la pêche sont sommés de déclarer les captures accidentelles de mammifères marins.

Même si l’Etat propose différents moyens de pallier à ce carnage (Action 43 du Plan Biodiversité, Mesure 54 du Comité́ interministériel de la mer, programme OBSMER, programme LICADO), le nombre de cétacés échoués ne cesse de croitre provoquant toutes sortes d’offensives de la part de Sea Shepherd :

 


La bonne foi de Sea Shepherd reste néanmoins discutable surtout quand on sait que ladite ONG a été accusée, par le passé, de mensonges et de désinformations. Paul Watson et son équipage traquent les braconniers, n’hésitant pas à mettre délibérément la vie d’autrui en danger et c’est ce qui la différencie des autres ONG. Leur com’ se fait par le biais de leurs vidéos, comme celle les filmant en train de foncer sur un baleinier au large du Japon, ils sont prêts à tout pour passer pour des héros. Même si les causes qu’ils défendent peuvent être qualifiées de nobles (et celle de la capture des dauphins dans les filets dans le golfe de Gascogne en fait partie), le fait qu’ils aient systématiquement recours à des méthodes d’actions agressives et violentes (abordage, sabordage, utilisation de lance-pierres, recours aux bombes fumigènes et chimiques etc…) incite à une certaine prudence. Compte tenu des méthodes douteuses employées par cette ONG, on peut douter de la véracité des informations diffusées par elle sur l’affaire dont il est question dans cet article. D’autant plus que son fondateur, qualifié de gourou par certains, entretenant le culte de la personnalité auprès de ses adhérents, a eu de multiples démêlés avec la justice.

De son côté, l’Etat répond à toutes ces attaques en publiant sur le site du Ministère de l’Agriculture, un témoignage laissant entendre l’attitude volontariste et la bonne foi de la part des pêcheurs français et rajoute même que : « malgré la présence de dauphins autour du navire, je n’ai observé aucune capture de cétacé dans les chaluts ». En janvier dernier, c’est au travers d’un communiqué que l’on apprend que « les données recueillies indiquent que cette méthode de pêche (chalut en bœuf) n’est toutefois à l’origine que d’une très faible partie des captures ».

Résultats des mesures gouvernementales

Dans ce dossier environnemental, les pouvoirs publics ont tardé à juger de la gravité de la situation laissant ce carnage perdurer durant des années et ce, en dépit des alertes des scientifiques et ONG. Le caractère urgent de la situation est réel depuis plusieurs décennies. Or, les pouvoirs publics ont proposé des mesures pour endiguer la recrudescence des échouages, par la création d’un groupe de travail, seulement en avril 2017 alors que l’observatoire PELAGIS recense les échouages des différentes espèces marines sur les côtes françaises depuis le début des années 90. A l’initiative de FNE, la pêche au chalut pélagique dans la zone du Plateau de Rochebonne, dans le golfe de Gascogne a récemment été interdite et montre que les pouvoirs publics cèdent (en partie) sous la pression des activistes. Bien que le Comité National des Pêches se félicite d’«une baisse significative de ces captures accidentelles, de l’ordre de 65 %», l’augmentation continuelle de carcasses naufragées depuis la mise en place de ce dispositif, doit inciter le groupe de travail à renforcer les mesures de précaution.

 Contradictions entre l’économie et la biodiversité

 Interdire la pêche industrielle, Sea Shepherd en a fait son fer de lance. Cette dernière souhaiterait une « interdiction totale de toutes les méthodes de pêche aveugles, comme le chalutage » et appellent au boycott des consommateurs. Compte tenu de son importance économique, le secteur pêche et aquaculture, fort de ses 1,7 milliard d’euros qu’il génère, représentait le 4ème producteur de l’UE en 2016 (3ème si on exclut le Royaume-Uni des chiffres). Il va de soi que la simple restriction des zones de pêche sur les côtes maritimes serait très impactant pour l’économie de la France. D’autant plus qu’une autre problématique vient s’ajouter, celle de l’interdiction de pêcher près de l'île de Guernesey dans la Manche consécutivement au Brexit, et dont il est difficile à l’heure actuelle de déterminer l’impact que cela aura sur l’activité de la pêche française.

L’Etat a longtemps privilégié le volet économique que représente l’exploitation des ressources halieutiques au détriment du volet écologique comme si l’idée de faire évoluer ces deux problématiques vers un objectif commun, ne soit pas possible. Pourtant, les ressources marines sont totalement tributaires de la qualité des écosystèmes dont elles font partie. Le rôle de la pêche côtière est prépondérant dans les régions littorales, en constituant une activité durable reposant sur une ressource renouvelable et en contribuant à l’économie locale et ce, sans avoir d’incidence néfaste notable sur l’environnement. Ceci est la preuve qu’il existe un intérêt commun entre la protection de l’environnement marin et la pratique de la pêche. Toute action de protection de l’environnement marin contribue directement ou indirectement à la protection des ressources et à leur renouvellement. Même s’il faut garder en tête que la surpêche provoque un déséquilibre important entre prédateurs, concurrents ou proies.

Une situation figée

Le déni et l’omerta des médias, des pouvoirs publics et des professionnels de la pêche qui parlent de captures « accidentelles » ou de décès « accidentels » à outrance ; là encore, ces termes sont difficilement recevables par l’opinion publique pour une situation qui concerne des captures prévisibles et évitables qui perdure depuis trente ans. Nous sommes face à un double discours avec une France qui d’un côté se place dans le camp des « anti-chasses » à la baleine de la Commission Baleinière Internationale (CBI) qui rappelons, « demeure le seul organisme qui permette la prise en compte de l’ensemble des dimensions sociales et environnementales autour des cétacés » mais qui d’un autre côté, est restée spectatrice pendant des années face à la recrudescence des mammifères marins emprisonnés dans les filets des chalutiers. Cette hécatombe, sans que de réelles mesures concrètes et pérennes aient été pensées, vérifiées et mises en place par les pouvoirs publics, devient un problème planétaire parce qu’il en va de la survie d’espèces protégées. On est face à un gouvernement qui philosophe en publiant des communiqués de presse afin de garantir une prise de conscience du problème mais qui, de par la lenteur dans leurs actions, a largement contribué à la situation. L’objectif zéro capture est utopique. Les ONG prônent l’interdiction de la pêche mais que proposent-elles pour compenser cette absence de mesures de régulation de la faune marine ? C’est une filière dans son ensemble qui serait menacée si l’on interdisait la pêche. En revanche, maintenir les captures de mammifères marins à un niveau qui permet au moins le maintien des populations de dauphins, devient plus qu’une nécessité à l’heure actuelle.

 

 

 

 

Aurélie Jarlegant