COVID-19 : la construction laborieuse du "storytelling" chinois

 

 


 

La crise du coronavirus partie de la province centrale du Hubei, depuis la métropole de Wuhan, a rapidement gagné l’ensemble de la Chine, puis l’Asie et le monde. Alors que la pandémie est en train de tuer et de s’étendre sur toute la planète, les autorités centrales chinoises se sont lancées, par l’intermédiaire de leur diplomatie, dans une révision de l’histoire de l’apparition et de la dissémination du virus. Cet article propose une synthèse de l’action politique de Pékin à l’international depuis le début de la crise. Une action qui vise à donner du crédit à son système tout en décriant les démocraties libérales.

 

Crédibiliser le modèle de Wuhan, première étape du contre-encerclement cognitif 

Depuis la fin du mois de janvier, les diplomates chinois, appliquant strictement les consignes de Pékin, travaillent à légitimer les mesures prises par le régime. Le rôle des diplomates va prendre de l’ampleur à mesure de la propagation de la pandémie. D’un côté, des éléments de langage parfois outranciers sont largement employés pour chanter les louanges du régime, quitte à aller à l’encontre des faits ; de l’autre, les diplomates tentent de rassurer les autres pays en publiant des éléments attestant de la relance de l’économie de la Chine et de sa machine industrielle.

Cependant, depuis quelques semaines l’épicentre s’est déplacé vers l’Europe, notamment l’Italie, l’Espagne et la France elle-même. Les Etats-Unis eux aussi sont en train d’être touchés très fortement, et certains analystes estiment que ce pays pourrait devenir rapidement le nouvel épicentre de la pandémie. A cette situation dramatique et catastrophique, il faut ajouter l’irresponsabilité des dirigeants occidentaux. Certains ont opté pour le confinement massif et autoritaire de la population, mais pratiquement sans prendre aucune autre mesure pour contenir l’épidémie comme les tests massifs ; et cela sans parler du manque incroyable de masques, de blouses, de gel, et de respirateurs.

Interdit en Chine, Twitter est de plus en plus utilisé par les diplomates et les chancelleries chinoises à l’étranger. Plusieurs ambassadeurs en poste ont alimenté des théories du complot affirmant notamment que le virus aurait été implanté en Chine par des militaires américains pendant les Jeux olympiques militaires tenus à Wuhan en octobre 2019.

Sur un autre volet, la rivalité stratégique entre les deux grands pôles de puissance se matérialise par les largesses de Jack Ma, le fondateur du groupe Alibaba. Ce dernier fait preuve d’un dévouement calculé en « tweetant » sur la livraison de masques et de kits de test depuis Shanghai vers les États-Unis par voie aérienne.

Les autorités chinoises aspirent à diffuser une réalité toilettée de leur responsabilité, et cherchent une victoire politique tant en interne qu’à l’international. Le politique et l’ingérence prennent le pas sur la coopération et la science.

 

L’aide internationale chinoise, une arme géopolitique

Le manque de solidarité entre les pays occidentaux est un fait fragilisant dans cette lutte contre le virus. Du coup, l’appel d’aide urgente lancé par l’Italie n’a trouvé aucun écho parmi ses voisins et « partenaires » les plus proches, la France et l’Allemagne. Et ce n’est pas du côté des Etats-Unis que cette aide va arriver de sitôt.

Dans ce contexte, et favorisé par le fait que l’épidémie semble plus contrôlée en Chine, le gouvernement chinois a décidé de déployer son « soft power » en venant en aide à l’Italie ainsi qu’à plusieurs autres pays européens mais également à l’ensemble des pays d’Afrique.

Ainsi, au moment où l’Italie était en train de devenir le pays le plus affecté par le Coronavirus, et face à l’égoïsme des puissances européennes, la Chine y a envoyé des milliers de masques, des respirateurs et surtout une équipe de 300 médecins spécialistes en soins intensifs et ayant lutté contre le Covid-19 dans leur pays.

Mais l’aide chinoise ne s’est pas limitée à la seule Italie. Le gouvernement chinois ainsi que le milliardaire Jack Ma, ancien PDG d’Alibaba, ont décidé de venir en aide à l’ensemble du continent africain, très exposé et vulnérable face à la pandémie. Ils ont annoncé que chacun des 54 pays du continent recevraient 20 000 kits de tests, 100 000 masques et 1 000 combinaisons de protection pour le personnel soignant.

Il est clair que le régime chinois est en train de mettre cette solidarité à profit de ses objectifs géopolitiques. Et ce n’est pas le seul. Quoi qu’il en soit, c’est l’affaiblissement de l’hégémonie nord-américaine qui laisse libre ce terrain à la Chine.

 

Approfondissement de la crise d’hégémonie nord-américaine

La pandémie de Covid-19 est en train d’exposer les contradictions du capitalisme devant les yeux de millions de personnes et sur le terrain international elle accélère les antagonismes entre les Etats et les tendances en œuvre depuis plusieurs années. L’une de ces tendances, qui deviennent de plus en plus évidentes, est la perte de vitesse de l’hégémonie nord-américaine dans le monde. Et même si cela est le résultat de dynamiques profondes antérieures, la politique ignorante et erratique de l’actuel gouvernement joue un rôle important dans cette crise.

D’un point de vue géopolitique, économique et militaire, la Chine est loin encore de pouvoir se substituer aux États-Unis en tant que puissance mondiale. Cependant, cette gestion catastrophique de la pandémie de Coronavirus de la part des nord-américains lui permet d’améliorer son rapport de force sur l’arène internationale. Et cela pourra être un levier important à l’heure de négocier face à Washington.

Le gouvernement des États-Unis est conscient de cela et sait qu’il doit commencer à répondre. En termes d’aide matérielle, la Chine a pris un avantage considérable. Non seulement elle est en train de passer le pire de cette phase de l’épidémie, mais elle possède en outre les capacités industrielles de produire les biens nécessaires pour faire face à la crise sanitaire, ce qui n’est pas forcément le cas des Etats-Unis. Cependant, là où Washington espère tirer un avantage déterminant, c’est dans le développement d’un vaccin efficace contre le Covid-19. Si les chercheurs nord-américains arrivent à trouver un vaccin rapidement, les Etats-Unis pourraient le partager avec l’ensemble de la planète et se repositionner dans l’arène internationale comme le leader mondial indiscuté. En ce sens, la concurrence entre l’Allemagne et les Etats-Unis pour trouver le vaccin n’a pas seulement des visées financières mais surtout géopolitiques.

La Chine a compris le désarroi qui s’empare du reste du monde et est très consciente de l’espoir placé en elle et à son expérience de pays ayant pratiqué puis, visiblement dominé le virus. Elle essaie par plusieurs moyens de guerre d’influence informationnelle de se positionner en leader dans cette bataille face au Covid-19. Cette approche chinoise n’échappe pas au regard américain.

 

Les premiers faux pas chinois

Le régime communiste chinois commence à être ulcéré par les critiques récentes qui commencent à être émises dans le monde anglo-saxon, à propos de l'exploitation possible des conséquences économiques de la pandémie par  la Chine. La diplomatie chinoise, déployée à l'étranger et plus particulièrement en France, a entamé une démarche très agressive sur le plan de l'argumentation officielle comme le démontre ce passage extrait d'un communiqué de l'ambassade de Chine à Paris :

" Les médias occidentaux antichinois nous attaquent toujours avec les deux mêmes procédés : d'abord en inventant des mensonges, puis en les martelant sans relâche. Craignent-ils d'être démentis ? Aucunement, car le mensonge « court, à peine lâché ». Même s'il finit par être découvert, la rumeur, telle un virus, a déjà fait le tour du monde. Et pour lui donner corps, ils les répètent en boucle, comme un disque rayé. « Un mensonge répété 1000 fois devient une vérité. » Tel est leur credo et leur modus operandi. Dans leurs mensonges ressassés, la Chine, qui a réussi à vaincre l'épidémie en sauvegardant les intérêts premiers de son peuple, passe pour la « pécheresse ». Quant aux politiciens, aux journalistes en poste en Chine, aux piètres « sinologues » de certains pays occidentaux qui se sont livrés à des forfaitures répétées, qui ont fait si peu de cas de la vie de leurs compatriotes, et qui sont si prompts à accuser les autres, ils s'érigent maintenant en « juges », posture ô combien nuisible pour eux comme pour les autres".

Une telle rhétorique rappelle les heures sombres du communisme chinois lorsque toute critique contre le régime était un crime de lèse majesté. Certains communiqués de la République Populaire de Chine n'hésitent pas à dénoncer l'action des fascistes étrangers dans cette lecture des faits. De telles invectives n'effacent pas l'évidence : la Chine est à l'origine de l'épidémie et cela n'est pas l'effet du hasard.

Dosso Korobla