Les limites de l'offensive de l’Arabie Saoudite dans le sport



L’Arabie Saoudite a pendant très longtemps été totalement absente de la sphère sportive internationale, organisant, au mieux, des évènements à la portée régionale. Le plan « Vision 2030 » en 2016 et la nomination de Mohammed Ben Salmane comme prince héritier en juillet 2017 marquent un virage à 180 degrés, le Royaume se fixe alors l’objectif très ambitieux de devenir une place forte du sport mondial.

Ce revirement stratégique était alors justifié par la nécessité d’améliorer l’image du pays à l’international, de parer l’influence grandissante de compétiteurs régionaux ainsi que de préparer l’ère de l’après-pétrole représentée par le plan Vision 2030. Des moyens très importants ont par conséquent été alloués afin d’organiser les plus grands manifestations sportives de la planète. Ces événements ont eu bien eu lieu mais le crédit que l’Arabie Saoudite en a tiré a été très largement entamé par un accueil international plus que mitigé.

Une stratégie guidée par des considérations économiques mais également géopolitiques

Ce revirement stratégique opérée par l’Arabie Saoudite était principalement justifié par la perspective de voir disparaître la rente pétrolière à un horizon plus ou moins proche et donc la nécessité de diversifier les sources de revenu du royaume. Cette démarche a été formalisée en 2016 par un plan appelé « Vision 2030 », dont le financement devait en partie être assuré par l’introduction en bourse à venir d’Aramco, la compagnie pétrolière nationale. Ce plan met en particulier l’accent sur la démocratisation de l’activité sportive dans le royaume ainsi que sur la promotion du tourisme (hors pèlerinage à la Mecque).

L’organisation événements sportifs internationaux permettait en effet aux sports les plus pratiqués dans le monde de percer dans un pays où les sports « traditionnels » tels que la chasse au faucon ou les courses de chameau sont encore dominants. L’intérêt était également d’amener des dizaines de milliers de fans de tous les pays à se déplacer en Arabie Saoudite à l’occasion de ces évènements et ainsi promouvoir une industrie touristique naissante.

Cette entrée de l’Arabie Saoudite dans l’univers du sport permettait également de contester la suprématie régionale en la matière au Qatar. Les deux pays entretenaient déjà des relations tendues depuis des années lorsqu’en juin 2017 une crise majeure éclata (« Crise du Golfe »), débouchant sur la rupture de leurs relations diplomatiques ainsi que la mise sous quarantaine de fait du Qatar par l’Arabie Saoudite et ses alliés. Les saoudiens ont pu constater à cette époque de l’influence importante dont jouissait le Qatar ainsi que de l’aura internationale que le pays à su se construire notamment via ses investissements dans le sport.

La volonté de développement de l’Arabie Saoudite dans le domaine du sport se heurtait néanmoins à un principal écueil : l’image dégradé du pays à l’international. Etonnamment, le conflit au Yémen où l’armée saoudienne est enlisée depuis 2015 n’émeut en rien la communauté internationale alors que l’on dénombre déjà des milliers de morts, une épidémie de choléra dramatique et des millions de déplacés. Les dirigeants saoudiens devaient en réalité beaucoup plus composer avec l’étiquette de « pays le plus conservateur au monde », régulièrement pointé du doigt par les médias internationaux au sujet des droits de l’Homme en général et de la femme en particulier ainsi que du traitement des opposants politiques. Le pays a donc entrepris de faire évoluer les droits des femmes sur des thématiques considérées comme symboliques par l’opinion publique internationale : participation à la vie politique (2013), pratique du sport en milieu scolaire pour les filles (2016), ouverture de certains secteurs au travail des femmes (2017), droit de conduire (2018). Ces initiatives ont d’ailleurs été massivement reprises par les médias internationaux, Le Monde allant jusqu’à s’interroger en 2018 : « La femme est-elle l’avenir du sport saoudien ? Longtemps exclues du domaine sportif, les Saoudiennes sont, en tout cas, en train d’y gagner du terrain. »

 Une entrée fracassante dans le monde des événements sportifs

 L’arrivée de l’Arabie Saoudite dans le grand échiquier des événements sportifs internationaux est loin d’être passé inaperçu. Les saoudiens ont eu en effet à cœur de rattraper des décennies d’inaction en la matière en y allouant des budgets extrêmement conséquents et totalement hors marché. En l’espace d’un plus peu plus d’un an, l’Arabie Saoudite a organisé une liste impressionnante événements sportifs majeurs dont le Dakar et les Supercoupes de football d’Italie et d’Espagne.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

DateSportEvènement
15 décembre 2018Formule EGrand Prix de Formule E
16 janvier 2019FootballSupercoupe d’Italie
31 janvier 2019GolfTournoi de golf « Saudi International » de l’European Tour
31 octobre 2019CatchTournoi « Crown Jewel » de catch féminin (WWE)
15 novembre 2019FootballMatch amical de football Argentine / Brésil
7 décembre 2019BoxeChampionnat du monde boxe (IBF, IBO, WBA et WBO)
12 décembre 2019TennisTournoi de tennis de pré-saison Diriyah Tennis Cup
5 janvier 2020Course autoDakar
8 janvier 2020FootballSupercoupe d’Espagne
4 février 2020CyclismeTour d’Arabie Saoudite


Le pays s’est par ailleurs associé à ASO, société qui possède notamment le Tour de France, le Dakar ainsi que le quotidien sportif L’équipe afin de créer le tour cycliste d’Arabe Saoudite (« Saudi Tour »). Ce tout avait le double avantage de promouvoir le sport ainsi que le tourisme. Sabah Al-Kraidees, président de la Saudi Cycling Federation, précisait dans un communiqué que « le Saudi Tour constitue une grande opportunité de faire connaître la variété des territoires, les sites historiques du pays et notre sens de l'hospitalité ».

L’affaire Khashoggi : le scandale de trop

Jamal Khashoggi, journaliste saoudien opposant au régime de Mohamed Ben Salmane, s’est rendu le 2 octobre 2018 au sein de l’ambassade d’Arabie Saoudite à Istanbul pour de simples formalités administratives. Plusieurs jours plus tard, suite à la médiatisation de sa disparition, notamment par le Washington Post où il officiait comme éditorialiste, et après de multiples déclarations contradictoires émanant du pouvoir saoudien, le meurtre par démembrement de Khashoggi est confirmé. Le statut de premier importateur mondial de matériel d’armement a bien sûr permis à l’Arabie Saoudite de limiter les représailles officielles de la part des pays occidentaux, ces derniers se limitant à des mesures symboliques ou des demandes d’enquête indépendante. Ce crime a néanmoins durablement entaché l’image du royaume du fait de la très forte mobilisation des médias internationaux, largement alimentée par le Washington Post.

Des médias internationaux ne voulant pas apparaître comme complices

L’Arabie Saoudite, après avoir communiqué massivement à l’international sur l’amélioration des droits des femmes dans le pays, s’attendait certainement à un accueil plus favorable de l’organisation de ces différents événements sportifs. Il n’en a rien été.

 La très grande majorité des médias couvrant ces événements sportifs ont en effet quasi-systématiquement mis en lumière la stratégie d’influence mise en place par l’Arabie Saoudite et pointant notamment la problématique des droits humains dans le pays ainsi que l’affaire Khashoggi. Le quotidien belge « Le Soir » soulignait l’étonnante reconversion de l’Arabie Saoudite en tant que pays fan de sport (« le cyclisme sur les routes controversées d’Arabie Saoudite »), Ouest France consacrait un article à la Supercoupe d’Italie en donnant la parole à la veuve de Khashoggi, la BBC titrait même « Droits de l’homme et sportswahing » en référence au combat de boxe Joshua / Ruiz.

Certains médias spécialisés, comme Cyclingnews, ont pris le parti de couvrir le Tour d’Arabie Saoudite via des résultats bruts, sans résumé ni commentaire afin de ne pas promouvoir le pays. Enfin d’autres médias ont pris la décision radicale de ne pas diffuser les évènements sportifs organisés dans le pays, comme la chaîne de télévision publique espagnole TVE qui a décidé de boycotter la Supercoupe d’Espagne car elle se déroule "dans un endroit où les droits humains ne sont pas respectés, et en particulier ceux des femmes".

Des ONG très actives

 L’Arabie Saoudite a dû aussi composer avec l’activisme de multiples ONG et associations, notamment de défense des droits humains(Human Rights Watch, Amnesty International, Ligue des Droits de l’Homme…) qui estiment pour leur part que ces événements sportifs sont «un écran de fumée, destiné à détourner l’attention de la communauté internationale sur les violations récurrentes des droits humains ».

Ces associations ont profité de chaque manifestation sportive pour communiquer sur la situation des droits de l’homme dans le pays, tout en faisant pression sur les organisateurs et les diffuseurs afin d’annuler ces événements. Des membres de l’ONG Amnesty International ont, par exemple, tiré plus de 500 balles de golf sur la pelouse de l’ambassade d’Arabie Saoudite à Bruxelles afin de dénoncer la tenue du premier tournoi de golf féminin « Saudi Ladies International ». La Ligue des droits de l'Homme et la Fédération internationale des ligues des droits de l'Homme ont quant à elles fait pression sur le groupe France Télévisions afin qu’il dénonce son partenariat avec les promoteurs du rallye Dakar.

 Il apparaît évident que l’objectif recherché par cette opération d’influence, à savoir séduire la communauté internationale par le sport, faire évoluer l’image de l’Arabie Saoudite et ainsi faire sortir le pays de sa dépendance au pétrole, n’a pas été atteint. Pire, ces manifestations sportives ont servi de caisse de résonance aux critiques adressées au pays depuis des années du fait de l’activisme de certaines ONG et du refus de médias internationaux de participer à cette vaste opération de blanchiment de l’information.

Le propre d’une opération d’influence est de ne pas apparaître comme trop évidente. Là où le Qatar organisait un tournoi de tennis international dès 1993 et a progressivement fait monter en puissance ses investissements dans le sport pour en devenir une place forte, l’Arabie Saoudite n’avait aucun track-record au niveau international avant 2018. La stratégie de « sport-washing » devenait alors trop évidente et était dès lors vouée à l’échec. Cela a été amplifié par l’assassinat très symbolique du dissident Jamal Khashoggi et son énorme retentissement international.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Sadathe Neize