Comment les structures criminelles tentent d'accroître leur influence grâce au Covid-19



 

L’actuelle pandémie de Covid-19, partie de Chine en décembre 2019 et touchant dorénavant quasiment tous les pays du monde, a bouleversé en profondeur nos modes de vie. Les challenges à relever sont nombreux : confinement imposé à la moitié de l’humanité, activité économique en chute libre, choc pétrolier concomitant, infrastructures sanitaires sur-sollicitées… Pour y répondre, les gouvernements alternent mesures historiques de soutien à l’économie et déclarations contradictoires concernant la stratégie à adopter face à l’évolution de ce virus. Dans les faits, la confusion née de la rapidité de diffusion du virus a fortement impacté certaines franges de la population et de l’économie, notamment les plus fragiles.

Dans certaines zones du monde, les organisations criminelles profitent de cette situation d’abandon pour faire évoluer leur champ d’intervention et étendre leur zone d’influence. Mise en place de mesures sanitaires, distribution de paquets alimentaires, imposition de couvre-feux, financement des entreprises en difficulté… Elles ont choisi de remplacer l’Etat dans ses prérogatives afin d’asseoir leur puissance.

Le révélateur de la fragilité de nos infrastructures sanitaires

Même s’il n’était évidemment pas possible de prévoir l’apparition de cette pandémie, cette dernière a révélé l’incroyable vulnérabilité des pays dits développés à ce type de catastrophe sanitaire. La saturation très rapide des capacités hospitalières, le manque criant de dispositifs de protection (masques, gants, gels hydroalcooliques…), le confinement dans l’urgence de la population entraînant la mise à l’arrêt de l’économie… Tout cela a mis en lumière le manque d’anticipation dont ont fait preuve les gouvernements du monde entier ainsi qu’une tendance à sous-estimer cette menace dans les premières semaines de propagation du virus.

La mesure d’exception que constitue le confinement de la moitié de la population mondiale a entraîné une chute de l’activité économique telle que seule la crise de 1929 peut tenir la comparaison. L’intensité de cette mesure couplée à sa mise en place dans l’urgence a déstabilisé la quasi-totalité des secteurs économiques et par ricochet l’ensemble de la population.

En l’espace d’un mois, la situation économique de tous les pays du monde s’est dégradée de manière phénoménale :

 


  • L’Organisation Internationale du Travail estime que 195 millions d’équivalents temps plein « pourraient disparaître  au deuxième trimestre 2020 » et que « 1,25 milliard de travailleurs [sont] exposés à des licenciements, pertes d’activité et de revenus». Les secteurs du transport, de l’hôtellerie et de la restauration étant particulièrement exposés.

  • La France a enregistré 9 millions de salariés en chômage partiel, soit près d’un salarié du privé sur deux.

  • Plus de 20 millions de travailleurs ont perdu leur emploi aux Etats-Unis en l’espace de 4 semaines, soit un travailleur sur 8.

  • Au Brésil, où le Covid 19 a fait son apparition plus tardivement, les économistes anticipent un doublement du taux de chômage alors qu’il s’élevait déjà à 11,6% avant l’arrivée du virus.

  • L’économie italienne s’est effondrée de 5% au premier trimestre 2020 alors même que l’impact du confinement ne se fera réellement ressentir qu’au second trimestre.


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Des populations fragiles à l’abandon

A l’image des crises sanitaires récentes, les pays les plus pauvres sont malheureusement les premières victimes. Les pays en voie de développement et notamment les pays africains sont de ce fait particulièrement exposés. Les Nations-Unis ont d’ailleurs alerté la communauté internationale sur l’impact de cette pandémie sur la chaîne d’approvisionnement alimentaire générant un risque majeur de famine. Les pays du G20 ont d’ailleurs convenu de suspendre le remboursement de la dette des pays les plus pauvres.

La particularité de la crise sanitaire provoquée par le Covid-19 est que ces pays dit « fragiles » ne sont pas les seuls à être impactés. L’Italie, a vu son image de 8ème puissance économique mondiale sérieusement écornée : hôpitaux submergés par l’afflux de patients, pillages de magasins dans le sud du pays, carabiniers postés devant les supermarchés, files d’attente énormes devant les banques alimentaires… Face à ce risque de crise sociale imminente, le gouvernement a même dû se résoudre à procéder à la distribution de bons alimentaires, ce qui n’avait plus été réalisé depuis la seconde guerre mondiale.

Aux Etats-Unis, où les inégalités étaient déjà prégnantes, les besoins les plus basiques deviennent de plus en plus difficiles à assouvir. Dès 2019, la Réserve Fédérale américaine alertait sur le fait qu’un américain sur 4 ne pouvait faire face à une dépense imprévue de seulement 400 dollars. L’équilibre social était donc déjà extrêmement précaire, le Covid-19 l’a définitivement fait exploser. Le Washington Post titrait, dès le 20 mars : « If Coronavirus doesn’t get us, starvation will », témoignage d’une américaine devant la hausse des prix alimentaires et les rayons vides. Dans la même lignée, un mouvement parti de Californie appelle les locataires à ne plus payer leur loyer afin de préserver leurs ressources pour l’alimentation et les soins.

Des pays comme la Colombie, qui faisait déjà face à une crise migratoire sans précédent émanant de son voisin le Venezuela et à une guérilla en cours dans le nord du pays se retrouve par conséquent avec un troisième front, celui du Covid-19. La mise en place du confinement a accéléré la paupérisation de la population et en particulier les migrants, ce qui fait dire au Président de la Colonie des Vénézuéliens en Colombie que « les réfugiés craignent la faim plus que la maladie ».

Le Brésil, dont le président Jair Bolosonaro, se refuse à décréter un quelconque confinement afin de préserver l’économie du pays, doit faire face à des émeutes en prison et a un mouvement de contestation d’ampleur face à l’absence de mesures sanitaires.

Le Covid-19 est vue par la mafia comme une aubaine pour étendre son influence

Certaines organisations criminelles et notamment mafieuses ont rapidement compris que la crise du Covid-19 était de nature à rebattre les cartes au niveau économique mais également au niveau social et politique. Leur forte capacité d’adaptation et leurs moyens financiers très importants leur donnant la possibilité de préempter certains « marchés » afin de gagner en influence.

Dans les pays tel que le Brésil où le Président adopte une position à rebours de la communauté internationale en refusant la mise en place de mesures sanitaires drastiques, certains gangs ont décidé de décréter eux-mêmes des mesures de confinement sur les territoires qu’ils contrôlent. C’est notamment le cas de la favella « La Cité de Dieu » qui doit respecter un couvre-feu instauré par le gang du « Commandant Rouge », diffusant par haut-parleur des consignes : « toute personne trouvée participant à un rassemblement ou déambulant dehors sera punie ». Le gang affirme clairement qu’il vise, par ce biais, à pallier les insuffisances du Président Bolsonaro. Dans la favela « Santa Marta », des messages invitant à se laver les mains avant d’y entrer ont été affichés un peu partout par le gang local.

Ces organisations mafieuses se sont également fait remarquer en venant directement en aide aux victimes du Coronavirus, notamment en distribuant des colis alimentaires. C’est le cas au Mexique où le Cartel de Sinaloa a entrepris de distribuer des produits de première nécessité emballés dans des cartons à l’effigie de son ancien leader, Joaquin Guzman dit « El Chapo » (actuellement emprisonné aux Etats-Unis). L’opération de communication est soigneusement mise en scène : préparatifs, distribution et mise en ligne sur les réseaux sociaux. En Italie, la mafia ne s’est pas contenté de distribuer des colis alimentaires, elle a également fait pression sur des commerces de proximité afin qu’ils distribuent la nourriture gratuitement à la population et sur les prêteurs sur gages afin qu’ils annulent les intérêts de leurs dettes.

Au niveau économique, à l’instar des vastes plans de relance annoncés par différents gouvernements et banques centrales, ces organisations se sont également fixées comme objectif de contribuer à la relance. L’intérêt est double : valoriser l’image de l’organisation vis-à-vis des petits commerçants et surtout blanchir son argent dans des activités légales. Là où l’Etat doit passer par des projets de loi et compter sur une bonne coordination des différentes strates administratives que compte le pays, ces organisations criminelles n’ont besoin que de quelques heures pour libérer du cash, l’avantage est décisif. En Italie, la plupart des commerces fermés du fait du confinement ont un besoin vital de cash, la probabilité qu’ils se tournent vers ces organisations criminelles est donc très forte.

On pourrait penser que seuls les pays où la mafia bénéficie d’un enracinement fort et historique sont affectés, il n’en est rien. La criminologue Anna Sergi alerte sur le fait qu’au Canada des « entrepreneurs pris à la gorge se tournent vers cette solution rapide, même si de tels prêts en argent comptant doivent être remboursés à des taux d’intérêt élevés ».

Cette crise sanitaire et économique constitue une incroyable opportunité pour les organisations criminelles d’accélérer le développement de leurs activités dans l’économie légale, d’accroître leur présence sur de nouveaux marchés ainsi que d’asseoir leur influence en assurant certaines missions régaliennes de l’Etat. Ce mouvement, rendu possible par l’apparition d’une nouvelle pauvreté née de la pandémie de Covid-19, n’en est malheureusement qu’à ses prémices. Ces organisations criminelles continueront de consolider méthodiquement un réseau de sympathisants voire de membres actifs qu’il sera, à l’avenir, bien difficile à déconstruire.

 

 

 

 

Rachid Laaraj