L’industrie agroalimentaire : un enjeu politique de résilience et de souveraineté nationale

L’alimentation est un besoin vital de l’être humain. L’accès à l’alimentation est ainsi au cœur des décisions stratégiques de l’ensemble des pays du monde.  Les manières de se nourrir ont constamment évoluées à travers le temps en adéquation avec les modes de vies de l’Homme. Il s’établissait selon l’abondance de la nourriture à laquelle il pouvait avoir accès et se déplaçait une fois les ressources exploitées.

Les Hommes se sont ensuite peu à peu sédentarisés grâce à la découverte de l’exploitation des sols. Les premières grandes civilisations étaient d’ailleurs basées sur le fonctionnement de leur agriculture et donc sur leur capacité à subvenir à leurs besoins alimentaires. En France, ce système d’accès à la nourriture a perduré dans le temps. Jusqu’à l’aube des révolutions industrielles, la France était majoritairement rurale. Les populations vivaient donc en autarcie alimentaire.

L’industrialisation de la nourriture a en effet été créée bien plus tard, conséquence d’années de politiques industrielles et agricoles, promouvant finalement l’industrialisation de l’alimentation. La seconde Guerre mondiale se présente comme un moment charnière au développement de ces politiques industrielles, développées dans le but de répondre à un enjeu de taille : nourrir les Français meurtris et affaiblis par la guerre.

Les autorités françaises ont ainsi choisi la solution de l’industrialisation de l’alimentation. Ayant pleinement conscience de la capacité agricole du pays et de sa capacité à créer une industrie de transformation alimentaire de masse, les différentes politiques agricoles et industrielles mises en place avaient alors pour objectif d’assurer la sécurité alimentaire du pays en assurant une offre alimentaire à moindre coût. Cette industrie, prometteuse et stratégique, représentait alors un espoir de relance de l’économie française, en faisant un enjeu pour les politiques industrielles : investissements, financements de la recherche technologique, politiques commerciales, les différents gouvernements ont apporté leurs mesures à cette industrie, jusqu’à en faire un fleuron industriel Français.

La vision gaullienne

La stratégie imaginée et souhaitée par De Gaulle, la création de la Communauté Economique Européenne a davantage poussé la France à se tourner vers la production alimentaire et à jouir de sa capacité agricole. La mise en place de la Politique Agricole Commune (PAC) a dès lors placé la France comme une puissance alimentaire, au niveau européen et mondial.

C’est ainsi que s’est mise en place la chaîne de production alimentaire qui n’a cessé de se développer. Afin de faciliter l’approvisionnement alimentaire, un système interdépendant s’est instauré entre les différents maillons de cette chaîne, en faisant sa faiblesse.

En effet, les uns ne fonctionnent pas sans les autres. Le bon déroulement de leur activité repose également sur les acteurs de la supply chain (transport et logistique) sans qui la chaîne de production ne tournerait pas. Ces acteurs se sont peu à peu organisés en coopératives afin d’assurer le bon déroulement de leur fonctionnement. Des grands groupes sont ainsi nés, tirant les rendements de la production alimentaire française vers le haut. En contrepartie, c’est le système agricole et industriel qui est devenu bancal : la recherche de profit des industriels et l’apparition des grandes surfaces ont contribué à la concentration vers l’aval de la valeur ajoutée. La conséquence est grande : déprise agricole, délocalisations industrielles : c’est ainsi qu’une forme de désindustrialisation s’est mise en place, mettant à mal à la souveraineté alimentaire française.

Comme le démontrent des volumes d’exportations impressionnants, les produits alimentaires français sont reconnus dans le monde entiers. Un des facteurs explicatifs est le soft power exercé par la France autour de sa gastronomie, qui accorde le monde entier sur la qualité des produits alimentaires français.

En ce que concerne l’Europe, l’ensemble des pays membres tirent profit de cette organisation régionale, car les échanges commerciaux alimentaires de ces pays se font majoritairement en son sein. Cette dernière représente un bloc régional puissant en la matière puisqu’elle se dresse parmi les foyers de production alimentaires les plus importants du monde. Cependant, pensée en premier lieu pour les intérêts français, celle-ci devient peu à peu une concurrence, parfois déloyale, à ses dépens.

A l’heure de la mondialisation, de l’accélération des échanges et de l’émergence de nouveaux rapports de force, l’industrie agroalimentaire française fait face à une concurrence internationale exacerbée. La mondialisation fait également évoluer les habitudes alimentaires qui tendent vers le modèle américain (fast-food, produits ultra-transformés…).

La régression à contrer

L’excédent agricole français tend à disparaître, divisé par 2 entre 2011 et 2017 compte tenu de la disparition de l’excédent avec les pays européens. La France devrait ainsi constater son premier déficit agricole en 2023. En 2018, seuls les échanges avec les pays tiers contribuent à l’excédent commercial, grâce à la vitalité des produits de terroir et des produits de seconde transformation. L’agriculture et l’industrie agro-alimentaire sont également confrontées à un dumping social très important organisé par leurs principaux concurrents européens dans le but de rogner leurs parts de marché. Ajouter à cela la tendance à la « sur-réglementation », avec des sur-transpositions, la compétitivité française est d’autant plus fragilisée. Aussi, les fragilités structurelles de l’industrie agro-alimentaire, sont flagrantes : avec un recul du taux de marge sur longue période, une baisse tendancielle du taux d’autofinancement depuis 2009, une faible structuration de certaines filières et une très forte atomisation des acteurs agricoles, l’investissement et la constitution d’une stratégie efficace de conquête des marchés internationaux est rendu compliquée, voire impossible, et freine la compétitivité hors-prix des produits français.

Des failles ont ainsi émergé dans le système de production alimentaire français. Alors que la France figure encore parmi les leaders en la matière, un certain nombre de facteurs fragilisent son fonctionnement, et en montre les limites, et sont d’autant plus exacerbés par les crises conjoncturelles.

Par ailleurs, la consommation alimentaire française est divisée entre ménages aisés, pouvant consommer des produits alimentaires sains à moindre empreinte écologique, et ménages à faible revenu dont la consommation est exclusivement basée sur des produits alimentaires bon marché. Il en est de la souveraineté alimentaire française de mettre en place une véritable politique industrielle pouvant répondre à ses changements structurels, offrant à la France un nouvel âge d’or de cette industrie vectrice d’influence mondiale.

Une telle politique de réindustrialisation doit se faire sur trois axes principaux :

  • Modifier en profondeur la structure actuelle afin de redessiner le schéma industriel et agricole français.
  • Moderniser l’appareil productif français et valoriser la recherche par une véritable politique technologique.
  • Faire de la recherche de souveraineté alimentaire et de durabilité, le fer de lance de cette réindustrialisation, en menant une véritable politique d’influence sur tous les acteurs de l’industrie agroalimentaire.

L’Union Européenne a un rôle important à jouer pour faire de l’Europe un bloc régional harmonisé et compétitif en termes de production alimentaire, s’inscrivant ainsi dans l’intérêt français. Pour ce faire, ces mesures doivent être en accord avec l’ensemble des convictions -environnementales et humaines-, l’ensemble des consommateurs et permettre à l’industrie agroalimentaire française de retrouver son influence et son rayonnement, afin de conserver durablement une place de leader, conférant sa puissance à la France.

L’industrie agroalimentaire a aujourd’hui besoin d’une stratégie de puissance de la part de l’Etat, permettant aux services publics et aux acteurs de cet écosystème d’avoir un réel objectif stratégique commun.

Maxime Duhommet, Alizée Guiet, Louison Kimpala, Paloma Lopez, Jonathan Perreira

 

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