Un monde en grand danger

L’actualité surabondante sur la covid-19 ne doit pas nous faire perdre de vue les sujets désormais relégués au second plan. Pour ne pas se faire surprendre, le retour à une certaine forme de lucidité s’impose. Est-il raisonnable de faire l’impasse sur les multiples fissures qui, en dehors du réchauffement climatique et des problématiques sociales et sociétales, apparaissent aujourd’hui dans ce qu’il convient d’appeler désormais le nouveau désordre mondial ?

Rappelons pour mémoire celles qui peuvent nous porter préjudice d’une manière ou d’une autre dans un calendrier où règne la plus grande incertitude :

  • L’affrontement de puissance entre la Chine et les Etats-Unis. Il déstabilise à lui seul les fondements du commerce mondial qui semblait en apparence stabilisé depuis la chute du Mur de Berlin.
  • Les crises économiques à venir résultant de la pandémie de la covid-19, qui faut-il le rappeler), est liée aux incohérences du système chinois.
  • L’expression des nouveaux impérialismes régionaux, symbolisée par la politique d’Erdogan dans les zones du pourtour méditerranéen, où la Turquie cherche à accroître son influence pour des raisons géoéconomiques (enjeux gaziers notamment).
  • Les confrontations géopolitiques entre les Etats-Unis et la Russie (dossier syrien, dossier libyen, dossier ukrainien, dossier africain).
  • La rivalité entre l’Iran et les Etats-Unis ainsi que ses retombées dans le Golfe Persique.
  • La poudrière persistante du Moyen Orient (désagrégation aggravée de l’Irak, enlisement de la Syrie dans son état de destruction partielle, effondrement du Liban).
  • Les déstabilisations liées aux menaces terroristes islamistes (en Irak, en Syrie, au Maghreb, dans une partie de l’Afrique subsaharienne, en Asie du Sud-est).
  • Les tensions politicomilitaires récurrentes entre l’Inde et le Pakistan.
  • La situation de guerre civile larvée en Afghanistan et ses répercussions internationales.
  • Les risques de déstabilisation de certains pays d’Afrique et leurs conséquences sur l’Europe.

Cette démultiplication des contextes de crise se différencie de la guerre froide par l’aggravation des contradictions dans le jeu des acteurs. Force est de constater que les États et les organisations à la manœuvre, quel que soient leur taille et leur potentiel de nuisance, privilégient de plus en plus leurs intérêts propres aux dépens des logiques d’alliance traditionnelle, héritées de l’affrontement Est/Ouest.

Le moment de vérité de novembre prochain

L’élection présidentielle qui doit se tenir en principe en novembre prochain aux Etats-Unis est un moment-clé pour évaluer les phénomènes éventuels de catalyse, mais aussi pour mieux cerner les  stratégies qui vont être mises en œuvre par les différents deux camps en présence. Le durcissement des confrontations internes au sein de la superpuissance nord-américaine est la troisième grande crise majeure de politique intérieure à laquelle doit faire face ce pays (après la guerre de Sécession et les divisions de la société américaine à propos de la guerre du Vietnam). Contrairement aux deux crises précédentes, la crise actuelle risque de miner de manière durable les fondements du système.

Le parti démocrate n’apparaît pas comme le sauveur dans la mesure où il est divisé entre plusieurs tendances très contradictoires. L’image vertueuse qu’il cherche à afficher en s’appuyant sur le couple Obama est aussi affectée  par les séquelles de soupçons qui pèsent sur les agissements du duo Obama/Biden, soupçonnés d’avoir miné le terrain de Trump lors de la précédente élection présidentielle. N’en déplaise au journal Le Monde, l’éventualité d’un « Obamagate » n’est pas totalement enterrée. Le candidat démocrate Biden a de son côté à gérer le passif des relations pour le moins très ambiguës de son fils en Ukraine. L’information ne tue pas toujours l’information. Ce marécage peu vertueux caractérise les deux camps à des titres divers. Le résultat des élections présidentielles américaines changera-t-il le contenu de la grille de lecture du désordre mondial actuel ?

Deux stratégies américaines sont désormais perceptibles

Pour tenter de répondre à cette question, il faut revenir aux fondamentaux c’est-à-dire (pour ce qui nous concerne) le résultat de la seconde guerre mondiale qui a imposé à l’Europe une relation de dépendance à l’égard des Etats-Unis. Au cours des décennies passées, cette relation a évolué en fonction des priorités politiques, économiques et militaires du monde nord-américain. La prise en compte de la Chine a été un très bon instrument d’évaluation de ce changement de cap à temporalité variable.

Le camp républicain défend une stratégie de moyen/long terme qui privilégie la survie du modèle de puissance américain. L’America first de Trump symbolise ce choix. Pour atteindre cet objectif, les Etats-Unis doivent empêcher la Chine de devenir la première puissance mondiale. Il s’agit de reconstruire les bases d’un empire matériel qui s’affranchisse peu à peu de l’importance du pétrole, tout en préservant les gains acquis lors de la création du monde immatériel. La priorité géostratégique polarisée sur la Chine modifie le cadre de dépendance entre l’Europe et les Etats-Unis. Avant la disparition de l’Union soviétique, Washington devait ménager les pays alliés européens. La puissance économique de l’Union Européenne a amené les Etats-Unis à renforcer leurs capacités de pression indirecte par le biais de pays traditionnellement proches (Grande-Bretagne, Pays-Bas, pays scandinaves) puis par l’intégration de nouveaux pays membres tels que la Pologne ou l’Estonie). Lors des 20 dernières années, les moyens directs de contrôle (convention OCDE, normes IFRS, droit extraterritorial) ont complété ce lobbying diplomatique, réduisant d’autant les marges de manœuvre européennes sur un certain nombre de dossiers. De facto, la notion de dépendance ressemble de plus en plus à un état de vassalité (soumission juridique d’un État dominé à un État dominant).

Le camp démocrate appuie une stratégie de retours financiers, symbolisée par le capitalisme développé au sein de la Silicon Valley. Cette vision centrée sur le court-terme des affaires veut dépasser les anciennes logiques de puissance en vantant les mérites d’une nouvelle forme de mondialisation culturelle. Une telle stratégie implique la remise en question des anciennes dynamiques de puissance encore très fortement ancrées dans le monde matériel. La démarche est beaucoup moins frontale en apparence que celle défendue par Donald Trump. Mais la domination marchande des GAFAM dans le monde immatériel relève plus du servage que de la vassalité. Les marges de manœuvre de l’Union Européenne en matière de fiscalité sont très réduites, voire insignifiantes comme le démontrent les récentes décisions prises à Bruxelles par la justice européenne. Sur un plan géopolitique, le Parti Démocrate affiche une volonté de dialogue à l’égard de l’Europe. Mais derrière cette politique de la main « retendue », se profile une volonté renforcée de miner les bases des Etats Nations susceptibles de contrecarrer leur volonté de suprématie marchande dans la partie du monde contrôlée par les Etats-Unis. L’offensive passera, comme ce fut déjà le cas sous les mandats Clinton et Obama, par des relais d’opinion choisis ou activés parmi des acteurs « neutres » de la société civile.

Autrement dit, les lendemains de l’élection américaine pourraient générer une guerre de l’information par le contenu « démarquée » de la bannière étoilée et d’autant plus efficace, qu’elle se présenterait comme une protestation légitime des peuples contre l’oppression « conservatrice ». Le modèle développé dans le cadre des révolutions colorées ainsi que par le biais du système Soros est désormais très imbriqué dans les grands canaux de diffusion du monde médiatique européen. Les pointes avancées de l’offensive peuvent emprunter des chemins très incohérents. Le Washington Square News, le journal des étudiants de premier cycle de l’Université de New York (NYU), a récemment rapporté que l’université était prête à « aider à mettre en place d’ici l’automne 2021, des communautés résidentielles ouvertes uniquement aux ‘étudiants identifiés comme Noirs, avec du personnel d’assistance noir ». Comme le rappelle  Philippe Grasset sur son site dedefensa , une telle initiative est contraire à la ligne de conduite suivie par les défenseurs des droits civiques durant les années 1955-1965. En décidant d’adopter une signalétique différenciée entre White et Coloured pour certains de ses dortoirs et de ses salles de travail, l’université de New York sombre dans une démagogie d’autant plus malsaine qu’elle ouvre la voie à une nouvelle forme de ségrégation.

Les risques de dérives informationnelles intra-muros

Une partie des médias français s’inscrit désormais dans le schéma non plus du journalisme mais d’un système de propagande qui ne cherche même plus à dissimuler ses choix. Des journalistes des chaines de radio du service public telles que France Info, France Culture et France Inter prennent régulièrement position dans le sens du virage pris par les médias américains qui soutiennent ouvertement la candidature du démocrate Biden. Les faits de société sont traités avec le même parti pris idéologique. Le problème est qu’il s’agit de chaines de radio financées par l’argent du contribuable français. Elles devraient donc afficher non pas une « neutralité » (impossible à atteindre mais présenter des voix et des analyses discordantes, à l’image des différentes opinions qui segmentent la société française. Le CSA est quasiment inexistant dans ce non-débat. Les conséquences de ce glissement progressif vers une information orientée, est un risque majeur de consolidation des réactions intempestives, pointant du doigt une remise en cause de la démocratie qui ne remplit plus son rôle. C’est la première marche de relégitimation d’un recours « salutaire » à une contre-révolution totalitaire.

 

Christian Harbulot