Comment l’administration fiscale et l’ordre des experts-comptables ont réduit au silence les Organismes de Gestion Agréés

« Il était une fois un roi, un expert-comptable et une bande de paysans. Le Roi était angoissé, l’argent ne rentrait plus, peu importe le nombre de nouveaux impôts que son habile ministre des finances inventait. L’expert-comptable vivait bien, l’inventivité du ministre lui permettait d’être un passage obligé pour tous les sujets qui ne comprenaient souvent pas grand-chose aux piles de lois et de normes qui s’accumulaient. Cependant, l’expert-comptable avait une haine farouche pour une bande de paysans qui s’étaient débrouillés afin de ne pas passer par lui qui seul comprenait (un peu) les impôts. En effet dans sa grande mansuétude, le roi avait accordé à ces quelques petits paysans le droit de ne pas passer par l’expert-comptable. Tout allait bien dans le meilleur des mondes puis, un jour, le roi fut très déprimé : peu importe le nombre d’impôts que son ministre inventait, les caisses restaient désespérément vides. Il comprit alors que peu importe le nombre de lois que son ministre pouvait écrire, l’expert-comptable trouvait toujours le moyen de les défaire car il était rusé. Malheureusement les sujets étaient devenus si nombreux que le roi avait lui aussi besoin de l’expert-comptable pour l’aider à calculer l’impôt de ses sujets. Mais le roi entendit que l’expert-comptable n’était pas très confiant ces derniers temps : non seulement, l’empire auquel appartenait le royaume ne l’aimait pas trop, mais en plus un nouveau procédé magique de calcul menaçait son activité. Le roi se dit qu’il userait de cela pour que l’expert-comptable travaille pour lui et plus pour ses sujets les plus fortunés… »

Cette histoire n’est pas qu’un conte pour enfants, c’est une histoire vraie. Mais qui sont « le roi et son ministre, l’expert-comptable, et la bande de paysans » ?

Comment l’équilibre des rapports de forces entre ces trois parties prenantes s’est-il rompu soudainement en 2020 ?

« Le roi et son ministre », c’est évidemment le gouvernement et l’administration fiscale. Depuis la loi PACTE qui instaure une « société de la confiance », l’objectif affiché est de réconcilier les Français avec l’administration. Cependant, la « société de la confiance » cache une réalité moins « bankable » que la volonté de reconstruire le pacte social. Manque de contrôleurs, lourdeur des procédures fiscales, inventivité des fraudeurs, mauvaise presse, lanceurs d’alertes qui humilient l’administration, dette qui augmente et caisses qui ne se remplissent pas… L’administration pédale dans le vent depuis de nombreuses années et le constat d’échec a forcé Bercy à revoir sa copie : on compte désormais sur le civisme des citoyens mais surtout celui des professionnels du chiffre.

L’expert-comptable de notre petite histoire est le tout-puissant ordre des experts-comptables. La profession est réglementée: son exercice est conditionné à certaines conditions et est chapeauté par l’ordre des experts-comptables sous la tutelle de l’administration, c’est donc un lobby institutionnalisé. 75% du chiffre d’affaire est assuré par quelques gros cabinets ayant du mal à recruter et qui ont vu le marché se tendre du fait de l’automatisation des tâches comptables par l’intelligence artificielle (le procédé magique de calcul) et des directives de l’union européenne (l’empire) qui promeuvent une libéralisation du marché de tous les services.

La « bande de paysans » est l’ensemble des organismes de gestion agréés (OGA). En effet, parallèlement à l’exercice de la profession d’expert-comptable, il existait une tolérance de l’administration quant à l’exercice de l’activité d’expertise-comptable par certaines associations conventionnées dont les premières furent fondées par des fédérations agricoles. Institués par la loi de finances rectificative 1974 et par la loi de finances 1977, les OGA avaient pour vocation de faire de la prévention fiscale à destination de certains professionnels.

Actuellement, les non-salariés qui sont imposables dans la catégorie des BIC ou des BNC sont imposables sur 125 % et non 100% du bénéfice réalisé par leur société (ou sur la part qui leur revient sur ces bénéfice), lorsque celle-ci n’a pas adhéré à un organisme de gestion agréé (OGA). La suppression définitive de la majoration 0,25 est programmée et figure dans le projet de loi de finances pour 2021. La fin de cette incitation va entraîner la mort des OGA d’ici 2023.

Comment l’équilibre des rapports de force qui a perduré depuis les années 70 a-t-il pu se rompre aussi soudainement ?

Du point de vue des experts-comptables, les OGA sont une anomalie, pour le tout-puissant ordre des experts-comptables, c’est donc une épine dans le pied qui fait tâche dans son storytelling: face aux tensions dans le marché des services, sa réponse est de vendre la qualité de la profession afin que l’expert-comptable reste un partenaire privilégie non seulement de l’État (qu’il aide à calculer l’assiette de l’impôt) mais aussi de l’entreprise (qu’il protège en théorie contre les contrôles fiscaux). Son objectif est de sauvegarder le marché de niche que constitue la profession et étendre ainsi le droit des cabinets à faire du conseil.

La loi PACTE a été un véritable choc tellurique dont les secousses ont changé la manière dont l’administration fiscale fonctionne. La nouvelle stratégie se lie en filigrane dans les différentes incitations qui sont faites aux redevables : droit à l’erreur, tiers de confiance… Mais pour cela il convient d’avoir des alliés dans cette bataille : les experts-comptables, seul professionnels en nombre suffisant à avoir véritablement le nez dans les comptes des entreprises. Cependant, la profession est pétrie d’idéologie libérale et rebute à s’allier officiellement à l’administration. Soyons clair, il n’existe aucune raison évidente de supprimer la majoration des 0,25. L’administration met en avant l’examen de conformité fiscale (ECF) comme nouvel outil de simplification qui nécessite de se débarrasser de cette exception. Cependant l’ECF n’existe toujours pas dans le droit positif et la communication de l’administration fiscale dessus est lapidaire, à se demander s’il va un jour exister. L’ordre lui-même est dubitatif et doute de sa pertinence commerciale.

En prenant l’angle de la volonté de l’administration de remplir les caisses du trésor par des incitations et la coopération des professionnels du chiffre, on en déduit qu’elle a décidé de sacrifier les OGA. Ainsi, de façon à ce que le choc du licenciement effectif de 1500 personnes soit atténué, l’administration a décidé de la fin de sa tolérance et la disparition progressive de la majoration. Grâce à la sortie en trois ans, le feu sera donc étouffé petit-à-petit. D’ailleurs, aucun journal n’en parle aujourd’hui alors que la moindre fermeture d’entreprise provoque un communiqué ministériel.

En choisissant comme stratégie la recherche de la qualité du service et l’extension de son droit au conseil à l’entreprise, l’ordre des experts-comptables a besoin de l’administration. Comme véhicule législatif tout d’abord mais surtout comme pare-feu un jour vis-à-vis de l’Europe dont l’idéologie est à l’opposé du corporatisme des ordres professionnels et des prérogatives d’exercices dans le marché des services. Lorsque de telles perspectives sont couplées à un mépris tenace pour les OGA, la stratégie idéale consiste à laisser-faire, accepter le cadeau (du personnel qualifié) malgré le fait que le marché des OGA n’intéresse pas la profession.

Les OGA n’ont pas su mobiliser l’opinion. D’abord parce que bon nombre de ses dirigeants sont eux-mêmes des experts-comptables qui sont certainement plus préoccupés par leur avenir immédiat que par celui de leurs structures et que beaucoup d’employés se recycleront dans les cabinets d’expertise comptable. Ensuite et surtout parce que les OGA sont un ensemble hétérogène de structures issues de différents mondes professionnels ne parlant pas le même langage et ne partageant pas les même cultures ce qui en faisait de facto un sacrifié idéal pour l’administration.

Mais qui, après 2023, fera de la prévention fiscale voir du contrôle auprès de la masse des PME dont les chiffres d’affaires n’intéressent pas les cabinets d’experts-comptables ?

 

Pierre-Guive Yazdani