L’armée française a-t-elle les moyens de mener une guerre de l’information ?

Dans un article du Figaro daté du 8 octobre 2020, il est précisé que l’armée de terre s’entraîne à la guerre informationnelle et que l’état-major veut réinvestir la lutte contre la manipulation de l’information, notamment sur les réseaux sociaux. La présentation qui a été organisée sur le camp de Satory près de Versailles, a déroulé un scénario où la France intervient militairement pour aider un petit Etat voisin en crise à restaurer sa souveraineté.

Le constat est fort et clair  mais…

Le chef d’état-major de l’armée de terre, le général Burkhard  fait le constat de l’affaiblissement du multilatéralisme. Et de préciser à ce propos qu’il faut se préparer à un emploi plus insidieux de la force sous le seuil de la conflictualité : «La vraie rupture se trouve dans le champ informationnel.» Comme de coutume, l’armée française concentre son attention sur le temps réel du déroulement de l’opération. Et c’est logique.

A un détail près : les puissances intrusives qui ont intégré la guerre d l’information à leur mode opératoire politico-militaire travaillent sur des échelles temporelles différentes et de manière offensive. Autrement dit, la réflexion ne doit pas se limiter au théâtre strict d’un engagement militaire limité. L’armée n’est pas seulement un acteur de cette guerre de l’information comme le souligne le général Burkhard, elle devrait en devenir l’acteur central. Et c’est bien là que se situe le débat. Il ne suffit pas de suivre en temps réel les coups informationnels que l’ennemi nous porte pour se mettre en situation de réagir. Les manipulations de l’information sont d’autant plus efficaces lorsqu’elles visent un adversaire qui n’a pas anticipé la problématique globale et qui ne la perçoit que comme une mesure d’accompagnement.

Les leçons oubliées ?

Le problème n’est pas seulement l’image ou le tweet qui peut dénaturer le sens donné à la mission, comme ce fut le cas lors de la guerre du Liban (1). Il est légitime de se poser, du côté français, la question de savoir si tous les enseignements ont été tirés de ce cas d’école. L’armée israélienne a compris qu’elle avait remporté une victoire militaire sur le terrain mais qu’elle avait aussi subi dans ce conflit une défaite informationnelle (2). Ce mauvais résultat n’eut pas que des répercussions d’image négative temporaire pour l’Etat hébreu. Le sens même de cette guerre donna lieu à une polémique intérieure durable au sein de la société israélienne. Pour  la première fois dans l’histoire de l’Etat hébreu, une partie de la classe politique israélienne s’interrogeait  sur la pertinence du conflit et les gains réels tirés de cette victoire militaire. Et les séquelles de cette fracture se retrouvent encore aujourd’hui dans la population juive.

Le Hezbollah savait qu’il ne pouvait pas vaincre les troupes israéliennes dans une confrontation sur le terrain. En revanche,  en préparant très en amont sa guerre informationnelle, cette structure subversive pro-iranienne pouvait piéger l’ennemi. C’est ce  que firent les « faux nez » du Hezbollah en faisant diffuser des images (vraies ou « travaillées » par ses soins). Certaines firent le tour du  monde, relayés par  certains représentants de médias sur place, qui ne furent pas capables de différencier le vrai du faux. L’objectif était de  faire passer Israël pour un agresseur. On peut dire qu’il a été atteint à ce moment-là.

Les moyens réels à mettre en œuvre pour être crédibles dans le guerre de l’information militaire

En 2000, s’est tenu un séminaire à Marne la Vallée sur le renseignement à l’horizon 2030. Une des conclusions retenues par les participants militaires et civils porta sur la capacité à optimiser la formation reçue et l’expérience acquise. Un problème est resté sans réponse : la rotation des postes tous les trois ans était un obstacle important à la capitalisation de la connaissance. Cette remarque prend une dimension encore plus forte dès qu’on aborde les problématiques de guerre de l’information par le contenu.

L’armée français actuelle, de par son mode de fonctionnement et en termes de gestion des ressources humaines, n’est pas en mesure de fournir des personnels à la hauteur des enjeux qui se profilent à l’horizon. Il est nécessaire de modifier impérativement son logiciel pour disposer de capacités de réponse défensive et offensive.  La guerre (extérieure et éventuellement intérieure) si on cherche à la gagner de manière globale implique une remise e.n question. Il ne s’agit pas de maîtriser temporairement une situation donnée dans une zone de projection donnée.

La guerre de l’information par le contenu menée par des militaires implique des forces aguerries, dont la compétence sera forgée par une formation permanente et beaucoup  d’expérience. Les rotations de poste telles qu’elles se pratiquent actuellement ne favorisent pas un processus de capitalisation de la connaissance et encore moins la mise au point d’une mémoire opérationnelle digne de ce nom.

Il apparaît un écart qualitatif inquiétant entre les personnes qui opèrent dans le secteur privé et les militaires dans le domaine de la guerre de l’information  par le contenu. Cet écart doit être comblé. Il faut trouver la même agilité que celle qui a été mise en pratique dans le domaine du renseignement technique, en recourant à des synergies publiques/privées. Cela passera par des innovations liées aux circuits courts de l’humain et non par des systèmes trop rigides et fonctionnant en silo.

 

Christian Harbulot

 

Notes

1- Propagande_du_Hezbollah

2- Guerredel’informationLiban2006