L’OMS, nouvel outil chinois pour asseoir sa domination sur Taïwan

La situation entre les deux Républiques de Chine est connue de tous, d’un côté la République de Chine située sur l’ile de Taïwan, de l’autre la République Populaire de Chine (RPC), qui revendique la souveraineté de la première. Depuis les deux dernières décennies, en parallèle de la montée en puissance de la Chine continentale, on observe une diversification des moyens de pression de cette dernière sur sa petite sœur située sur l’ile de Taïwan. Le cas de l’utilisation des filiales onusienne en est un exemple de plus.

À la suite de la fuite du gouvernement chinois en 1949 et de son installation sur l’île, Pékin n’a jamais caché sa volonté de récupérer ce territoire de 36 000m², peuplé à ce jour de 23 millions d’habitants. C’est en 1971 que se joue un tournant pour l’État insulaire qui perd le siège de la Chine à l’ONU au profit de la République Populaire de Chine. Depuis, Taipei perd un à un ses soutiens officiels dans le monde et se retrouve isolé sur la scène internationale et sous les menaces de reconquête de Pékin. Que cela soit par des menaces orales ou par des provocations militaires, comme avec le survol de son espace aérien par des bombardiers chinois[i], Beijing se montre de plus en plus agressif.

C’est le 17 novembre 2019 que le premier patient officiel de la COVID-19 est déclaré en Chine. Ce nouveau coronavirus va alors trouver son épicentre dans la ville Wuhan pour s’étendre à toute la Chine continentale et finir par trouver des foyers d’infection dans le monde entier quelques mois plus tard. L’Organisation Mondiale de la Santé sera prévenue de la situation chinoise seulement le 31 décembre 2019. L’OMS lancera sa première alerte internationale le 9 janvier 2020 et ne reconnaitra que le 23 janvier le caractère transmissible interhumain du virus, fait rapporté le 16 janvier par des experts taïwanais. Aujourd’hui, les rapports officiels sont de 4746 morts en Chine continentale et 7 morts pour Taïwan, alors que le bilan mondial est de 1 093 548 décès.

Le bilan taïwanais

Taipei cherche à mettre en avant sa gestion de crise exemplaire et partager à la fois son savoir-faire en la matière, mais aussi des biens nécessaires, comme du matériel médical ou les indispensables masques. Avec très peu de soutiens internationaux, l’État insulaire cherche à travers ses aides matérielles à s’attirer un capital sympathie aux yeux de ses bénéficiaires. Ils sont, d’une part, des États non influents sur la scène internationale[ii], et d’autre part, des pays de l’Union européenne[iii].

Malgré sa communication discrète[iv], sa stratégie paie. Cela se retrouve avec un engouement numérique autour des #Taiwancanhelp et #Taiwanishelping. Par ailleurs, l’engagement pour que Taïwan soit invité en tant qu’observateur à l’OMS[v] pour participer aux discussions, est porté par plusieurs États, comme le Canada, la France, la Nouvelle-Zélande et bien d’autres. Avec l’épidémie de SRAS précédente, Taïwan a eu le recul nécessaire pour mettre en place des mesures sans pour autant verrouiller le pays comme ce fut le cas en Europe. Ainsi, pour la COVID, le gouvernement mise sur une surveillance de la population par les données mobiles, mais aussi par une implication citoyenne exemplaire, tel que le suivi des consignes ou l’engagement dans le développement d’outils numériques en partenariat avec l’État[vi]. Avec l’ensemble de ces mesures et un rationnement des masques, le pays n’a pas eu à instaurer un confinement strict ni à fermer ses entreprises, permettant à son économie de ne pas subir de crise économique en surplus de la crise sanitaire. Ce modèle ayant servi de base à de nombreux États, certains s’offusquent que Taïwan soit encore exclue des discussions concernant la Covid au sein de l’OMS[vii].

L’OMS chinoise

Avec sa course à la première place de puissance mondiale économique, pour certain obtenue dès 2014[viii], la Chine cherche à imposer son hégémonie de différents moyens comme avec le développement des nouvelles routes de la soie ou encore la prise de contrôle de diverses institutions internationales. C’est avec cette volonté que Margaret Chan arrive à la tête de l’Organisation Mondiale de la Santé en 2007, qu’elle présidera jusqu’en 2017. Les deux mandats de M. Chan ne comportèrent pas de faits notables, si ce n’est des compliments à l’égard du système de santé nord-coréen et des critiques envers Taïwan et sa politique d’indépendance. On peut aisément imaginer que placer Margaret Chan à la tête de l’OMS avait pour but d’éviter des situations comme celle vécue durant la crise du SRAS en 2003 où l’OMS dénonça vivement l’attitude du gouvernement chinois en termes de gestion de crise. Ces critiques ciblaient la rétention d’information et la communication tardive d’éléments importants à l’OMS. En plaçant à la tête d’un organisme comme l’OMS un élément amical, la RPC s’assure un filtre et un porte-voix sur la scène internationale.

En 2017 est nommé à la tête de l’OMS Tedros Adhanom Ghebreyesus, homme politique éthiopien. Avec sa candidature soutenue par l’Union africaine, T.A. Ghebreyesus est élu avec un large plébiscite et offre pour la première fois la présidence de cette organisation à un homme africain. Il est alors facile de voir le rôle de l’ombre mené par la Chine derrière cette nomination. En effet, l’implication de la Chine sur le territoire éthiopien, sa connivence avec l’Union africaine[ix] ne sont plus à prouver et laisse apparaitre l’intérêt pour la Chine d’avoir un homme comme Tedros Adhanom Ghebreyesus à la tête de l’OMS. Un directeur d’origine africaine permet d’afficher une transition du pouvoir vers un nouveau continent, qui plus est en développement. Et, par la même occasion, de ne pas impliquer directement la Chine dans la gestion de l’institution tout en ayant un pouvoir camouflé sur la direction de cette dernière. Cela s’est vérifié avec l’apparition de la COVID-19.

Le même schéma qu’en 2003 s’est reproduit en Chine : des médecins qui s’inquiètent d’une nouvelle forme de maladie, des rapports aux autorités médicales régionales classés confidentiels, une censure des médecins lanceurs d’alertes, une non-communication de l’épidémie à l’OMS, etc. Puis quand il fut impossible de cacher l’importance de la situation au reste du monde, la Chine communiqua certains éléments avec l’OMS tout en bridant son pouvoir sur place et muselant les propos de l’agence à travers ses communiqués. Seule ombre au tableau : le franc parlé de Donald Trump. Engagé dans une guerre de communication sous fond de domination économique, le président des États-Unis a accusé l’OMS d’être à la solde de la RPC. En joignant le geste à la parole, il a cessé les financements publics américains à l’OMS. Premier donateur de l’agence, les USA laissent un trou de 400 millions de dollars dans le budget de l’OMS[x] (15% du budget global de l’agence), ce qui déclencha aussitôt une réponse de Pékin qui promit d’augmenter ses modestes dons de 30 millions de dollars[xi].

Les principales critiques qui peuvent être attribuées à l’OMS sont d’avoir calqué sa communication sur les communiqués du gouvernement chinois. Ainsi, de nombreux pays ont alors aligné leurs actions sanitaires sur les directives et comptes rendus de l’OMS, comme avec le gouvernement français, qui encore le 20 janvier assurait que le virus n’avait pas de transmission interhumaine[xii]. On peut ainsi remettre en question les volontés des États de prendre le contrôle d’organisation comme l’OMS qui doit remplir un rôle de protection de l’humanité. Les filiales onusiennes comme l’OMS ou la FAO[xiii] (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) devraient rester apolitiques et ne pas être des pions sur l’échiquier politique où les puissances économiques comme la Chine et les États-Unis s’affrontent pour asseoir toujours plus leurs dominations mondiales.

L’hégémonie chinoise et la complaisance internationale

Comme introduit dans la partie précédente, les filiales de l’ONU sont le nouveau terrain de chasse des puissances mondiales. En premier lieu, de la Chine, qui dans sa stratégie de domination à long terme, dispose ses pions sur le plateau de go. Elle établit doucement, mais sûrement, son omniprésence et fait du pays un acteur incontournable, quel que soit le domaine concerné[xiv]. Ainsi, on retrouve des citoyens chinois à la tête de l’Organisation de l’aviation civile internationale (ICAO), l’Organisation des Nations unies pour le développement industriel (UNIDO) et la non moins critique Union internationale des télécommunications (ITU) permettant à la Chine de rependre les normes des réseaux de télécommunications de demain avec ses technologies. Pékin place ses pions de manières stratégiques, de manières visibles, comme avec les agences citées précédemment, ou dérobées comme avec l’OMS.

De plus, la RPC s’implique dans d’autres instances comme le Conseil des Droits de l’Homme. Cela lui permet de nuancer les critiques à son égard sur ses agissements, comme les camps de « rééducation » où est internée de force la minorité ouïgoure, ou encore la répression violente des soulèvements à Hong Kong. De ce fait, on se retrouve avec un acteur qui contrôle des institutions internationales, et qui renforce sa position de leader régional. On lui doit la création de nombreuses agences en Asie comme la Banque Asiatique d’Investissement pour les Infrastructures (AIIB) ou la création de traités de coopération économique concurrents à ceux déjà en place dans le Pacifique. On peut citer le Partenariat Économique Intégral Régional (RCEP) ou la Zone de Libre-Échange Asie-Pacifique (FTAAP) qui sont promus par la Chine. Ils concurrencent directement le Partenariat Trans Pacifique (TPP) mis en place par les États-Unis et qui excluait la RPC. On peut encore citer les nouvelles routes de la soie qui sont des symboles de la réussite commerciale chinoise.

L’hégémonie chinoise dans le Pacifique accroit l’isolement de Taïwan sur la scène internationale comme régionale. Depuis 12 ans, Taïwan ne cesse de voir ses relations diplomatiques internationales se réduire. Elle se retrouve aujourd’hui avec seulement 15 États qui gardent des canaux diplomatiques officiels ouverts. Taipei est isolé tout en étant dans le viseur de Pékin qui se montre de plus en plus pressant pour récupérer cette province dissidente. Le gouvernement de Xi Jinping est cohérent avec sa stratégie vis-à-vis de Taïwan et utilise son influence sur les organisations comme l’OMS pour isoler l’État insulaire de la scène internationale et ainsi préparer son assimilation à la nation chinoise. Il reste encore des soutiens non officiels à Taipei : les États-Unis qui tendent à se rapprocher de l’ennemi de la Chine, ou encore la France qui vient de signer un « nouveau » contrat d’armement pour les frégates françaises vendues à Taïwan en 1991, et annonce l’ouverture d’un second bureau de représentation taïwanais à Aix-en-Provence[xv].

 

Anthony Martinez Rouquette

 

[i] Pour un esprit de synthèse, l’adjectif chinois fera référence à la République Populaire de Chine. Sinon, sera employé l’adjectif taïwanais

[ii] Dons de matériel, nourriture et don financier à la République des Palaos, Haïti et divers États du Pacifique

[iii] Communiqué de la commission européenne annonçant des dons de masques de la part de Taïwan à l’Espagne et l’Italie

[iv] Communication discrète du gouvernement taïwanais sur les aides apportées

https://apnews.com/article/beijing-virus-outbreak-alex-azar-international-news-health-5af2dab4fd701e38918b7ff85889b058

[v] Mobilisations officielles pour l’intégration de Taïwan à l’OMS en tant qu’observateur 

 

[vi] La stratégie taïwanaise pour lutter contre le coronas virus

[vii] Pétition demandant l’intégration de Taïwan à l’OMS

[viii] Passage de la Chine comme première puissance mondiale en 2014

[ix] Note n°21/20, Valérie Niquet 1 Maître de recherche Fondation pour la recherche stratégique. Un défi pour le multilatéralisme : l’instrumentalisation de l’Afrique par la Chine et ses conséquences sur les décisions de l’OMS

[x] POTUS stop le financement américain à l’OMS.

[xi] La Chine profite du retrait des EUA pour augmenter leur financement de l’OMS

[xii] L’influence chinoise sur l’OMS 

[xiii] Qu Dongyu élu à la tête de la FAO.

[xiv] L’hégémonie chinoise sur les organisations internationales

[xv] Ouverture d’un second bureau de représentation taïwanais en France