Les points forts de la méthode allemande de l’accroissement de puissance par l’économie

Contrairement aux apparences, l’observation attentive du modèle allemand n’est pas un des points forts de la France. Il existe un certain nombre de structures académiques et professionnelles, positionnées notamment en Alsace, mais aucun n’avait comme centre d’intérêt principal l’étude des tentatives pour retrouver une marge de manœuvre en matière de recherche de puissance.

L’économie comme levier de reconstruction de la puissance

Cerner la manière dont la République Fédérale allemande est partie du terrain économique pour tenter de reconstruire sa puissance n’est pas une démarche facile. Il faut reconstituer un puzzle dont les pièces sont éparpillées sur plusieurs champs :

  • Sécuritaire :  la création de la police industrielle aux lendemains de la seconde guerre mondiale (1), une des premières mesures prises par les alliés pour empêcher la renaissance des syndicats communistes dans la nouvelle Allemagne occupée par les alliés occidentaux. Cette « police industrielle », forte de plusieurs dizaines de milliers de correspondants constitua une base culturelle pour encadrer les populations ouvrières selon la propagande de la RDA.
  • Sociologique : la reconversion de nombreux officiers de la Wehrmacht dans la création de petites entreprises allemandes dont rend compte un des épisodes de la célèbre série Heimat.
  • Educatif : les influences nazies dans la culture allemande du management dans la mesure où un ancien officier supérieur de la Waffen SS a formé des centaines de milliers de cadres à partir du milieu des années 50 en RFA.
  • Cognitif : la manière dont les entreprises ouest-allemandes ont anticipé la chute du Mur de Berlin pour se prépositionner dans la conquête commerciale dans les pays de l’Est.
  • Politique : le consensus politique entre les partis constitutionnels a permis à l’Allemagne de gagner des marchés dans des pays où elle n’entretenait plus de relations officielles depuis la fin de la seconde guerre mondiale.
  • Européen : les circuits de lobbying allemands se sont progressivement très bien implantés au sein des directions les plus stratégiques de la Commission  ainsi qu’au Parlement européen.
  • Stratégique : le cœur stratégique de l’économie allemande (industrie, banques, assurances, institutions financières) est le centre « fermé » de cette recomposition. Il est pratiquement impossible de nouer un dialogue avec ce réseau même dans le cas d’un dialogue pour faire face à un problème comme la Chine.

Un protectionnisme invisible bien pensé

L’Allemagne a su se doter d’un système protectionniste très efficace qui est « dissimulé » au sein des Länder. Cet anachronisme aux yeux de la Commission a incité  celle-ci à commander une étude sur « le faible taux de publication des ouvertures de marchés publics en Allemagne ». En lisant les notes publiées par Bruxelles, on apprend que :

  • « l’étude n’a pas permis de détecter de mécanisme spécifique destiné à maintenir un faible niveau de publications dans le Tenders Electronic Daily (TED). Bien que la rareté des données disponibles n’ait pas permis une évaluation concluante, la principale raison relevée pour le faible taux de publication est la nature hautement décentralisée de l’administration publique en Allemagne, qui se traduit par un nombre élevé de marchés de valeur relativement faible.
  • Chaque fois que cette valeur est inférieure au seuil des directives européennes sur les marchés publics, les acheteurs publics ne sont pas tenus de publier un appel d’offres dans le TED. Par conséquent, les différences administratives des systèmes nationaux respectifs des pays concernés peuvent contribuer à expliquer le volume différent des procédures de passation de marchés publics de montant supérieur aux seuils qui exigent des publications à l’échelon de l’UE.
  • En outre, l’étude a permis de confirmer qu’en Allemagne, l’administration fournit un nombre relativement élevé de services en interne ».

Une habileté dans la manière d’exploiter les contradictions des pays partenaires tels que la France

Nicolas Ravailhe qui est un observateur attentif des affaires européennes,  rappelait à ce propos il y a trois ans que la France pouvait bénéficier de 27 milliards de fonds (FEDER FSE FEADER, FEAMP), sur une programmation de sept ans. Si on projette ce qui a été programmé jusqu’alors (source Association des régions de France), la France allait perdre, tous fonds structurels confondus, 15 milliards d’euros. L’Allemagne, qui était excédentaire au titre du commerce extérieur sur la France de plus de 15 milliards d’euros en 2017 (source Douane française), était aussi  le premier investisseur en France. Et Nicolas Ravailhe d’en conclure que les Allemands nous rachètent avec les moyens que nous leur donnons.

 

Christian Harbulot

Notes

1- Karl Heinz Rorh, L’autre mouvement ouvrier allemand 1945 1978, Paris, éd. Christian Bourgois, 1979.