Affrontement informationnel entre l'OCDE et l'ONU : qui dirige la réforme de la fiscalité internationale ?
Aujourd’hui, en matière de fiscalité internationale, deux sphères d’influence se font face et tentent de s’arroger le leadership de la réforme du système fiscal : l’OCDE et le secrétariat général de l’ONU. Cette confrontation repose essentiellement sur un affrontement informationnel car les deux dispositifs de réforme sont peu ou prou les mêmes. L’ONU peut s’appuyer sur un maillage d’ONG bien organisé prompt à décrédibiliser les initiatives des pays développés face aux Sud Global. Loin d’être une simple querelle de chapelles, l’affrontement informationnelle autour de la fiscalité internationale est très révélateur des soubresauts liés à la remise en question de l’ordre mondial et ses grands principes monétaires et financiers.
Les bouleversements de l’après COVID
Au lendemain du pic de crise covid, le grand narratif de sortie crise repose sur la « préparation du jour d’après », censé prendre à bras le corps tous les pans faillis du système internationale fortement mis sous tension par la pandémie et les pratiques protectionnistes et l’absence de solidarité entre États. D’autre part, il faut relancer les économies. Acculés, les pays développés cherchent des moyens de financer proprement et de manière juste leurs relances.
En 2021, le scandale des Panama Papers affecte ce narratif de solidarité – les opinions comprenant se rappelant une nouvelle fois que le régime de solidarité et de consentement à l’impôt est biaisé, avec les pays développés en figure de proue de cette dérive. Ce qui est vu comme une hypocrisie occidentale est également instrumentalisé par les pays du Sud afin de parvenir, non seulement à réformer le système financier mondial, mais également de trouver de nouveaux leviers de financement de leur développement - dans un contexte inflationniste et d’austérité climatique.
Le premier coup porté à l’architecture fiscale mondiale a lieu au Etats-Unis lorsque Joseph Biden, nouvellement élu à la tête du pays, souhaite opérer un coup auprès de l’opinion publique et taxer plus fortement les grands bénéfices du pays. Le dispositif ad hoc se nomme ainsi le « Made In America Tax Plan »[i]. Afin de ne pas désavantager l’économie américaine, l’administration Biden pousse pour une réforme fiscale via l’OCDE afin d’aligner les pays du nord avec la dynamique d’outre-Atlantique.
Au même moment, le président Joe Biden, fait la promotion de ce qui deviendra l’Inflation Reduction Act, censé être le plus grand programme d’investissement depuis la grande dépression. En premier lieu dénommé « Build Back Better Plan », ce programme se verra renforcer si l’opinion a le sentiment que cette initiative ne se fait pas à leur détriment et contribue à entretenir la justice fiscale et la fin des doubles standards dont jouissent le « Big Business » dont les GAFAM sont le symbole aux Etats-Unis.
L’élite mondiale face au Sud global
L’OCDE, dominée par les économies du G20, contrôle largement le discours sur la réforme fiscale internationale, en la présentant comme une avancée historique et nécessaire. L’utilisation de termes comme « juste part d’impôts », « historique », ou « universelle » permet de créer un consensus international qui justifie l’accord, même si celui-ci est conçu pour répondre principalement aux besoins des économies avancées.
Une réforme dite « élitaire » qui se veut universelle
"Après des années de travaux et de négociations intenses, ce paquet de mesures historiques garantira que les grandes entreprises multinationales paient leur juste part d'impôts partout dans le monde (…) Ce plan à deux piliers sera d'une aide précieuse aux États qui doivent mobiliser les recettes fiscales nécessaires pour rétablir leurs budgets et leurs finances publiques tout en investissant dans les services publics essentiels, les infrastructures et les mesures requises pour que la reprise post-Covid soit forte et durable"[ii]
Le difficile satisfecit de l’OCDE
Le directeur de l’Organisation de coopération et de développement (OCDE), Mathias Corman, deux ans après la nouvelle réforme de taxation déclarait :
« La communauté internationale a réalisé de solides progrès dans la mise en œuvre de ces réformes, qui sont conçues pour rendre nos régimes fiscaux internationaux plus équitables et leur permettre de mieux fonctionner dans le contexte d’une économie numérique et mondialisée (…) La nouvelle analyse d’impact économique souligne une nouvelle fois l’importance d’une mise en œuvre rapide, efficace et généralisée de ces réformes afin que ces gains de recettes considérables puissent se concrétiser. Une mise en œuvre à grande échelle contribuera également à stabiliser le système fiscal international, à améliorer la sécurité juridique en matière fiscale et à éviter la multiplication des taxes unilatérales sur les services numériques et des différends commerciaux et fiscaux afférents, qui auraient des conséquences préjudiciables sur l’économie mondiale et sur les économies du monde entier. »
Exhortant implicitement les États membres de l’OCDE signataires de la réforme à traduire les piliers I et II en droit interne, notamment les Etats-Unis dont le Congrès est réticent à remettre en cause les facilités fiscales de certains de ses territoires (Delaware en tête), le directeur de l’OCDE tente de promouvoir sa réforme dans un contexte de montée en puissance de l’initiative concurrente aux Nations Unies. D’autre part, la Hongrie et l’Ireland n’ont pas signé la déclaration commune en 2021.
L’ONU plus légitime ?
L'ONU emploie un vocabulaire humanitaire et économique pour attirer l'attention sur les besoins des pays en développement, qui sont souvent négligés dans le discours dominant. En positionnant la réforme fiscale comme essentielle pour les Objectifs de développement durable (ODD), l’ONU cherche à réorienter le débat autour des inégalités économiques et de la justice sociale.
« Seul un système fiscal international pleinement inclusif sera légitime et efficace », a déclaré Junhua Li, Secrétaire général adjoint pour le développement économique et social, lors de l'ouverture de la session du Comité ad hoc. (…) « Les moyens de subsistance et l'avenir de milliards de personnes dépendent de la capacité des gouvernements à financer les infrastructures de base, l'éducation, les services de santé et l'action climatique », a ajouté le Secrétaire général adjoint Li Junhua.
Le fait que le sous-secrétaire à l’ONU qui promeuve ce dispositif soit de nationalité chinoise – dans un contexte de rivalités sino-américaine de plus en plus exacerber – ne peut être considéré comme un élément marginal de l’affrontement. Notons que la Chine ne fait pas partie de l’OCDE mais a pris part volontairement aux négociations mis en place en 2021 pour faire advenir une réforme.
L'ONU emploie un vocabulaire humanitaire et économique pour attirer l'attention sur les besoins des pays en développement, qui sont souvent négligés dans le discours dominant. En positionnant la réforme fiscale comme essentielle pour les Objectifs de développement durable (ODD), l’ONU cherche à réorienter le débat autour des inégalités économiques et de la justice sociale.
(Vote à l’assemblée générale des Nations Unies de la convention cadre sur une taxation internationale[iii])
Il est flagrant de constater les abstentions ou refus émanant de certains grands pays de l’OCDE tels que les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la France, Israël encore le Japon. A contrario, la Russie et la Chine ont avalisé le projet. Ceci consacre une nouvelle fois les dissensions au sein du Conseil de Sécurité de l’ONU.
Le réseau d’ONG pro-réforme lâche l’OCDE au profit du modèle onusien
Des organisations comme le Tax Justice Network (TJN) ou Oxfam contestent activement le cadre fiscal proposé par l'OCDE, en le qualifiant de favorable aux multinationales et aux pays riches, et en appelant à un système plus juste pour les pays en développement.
Tax Justice Network (TJN)
Cette ONG est l'une des plus vocales dans la critique du cadre fiscal de l'OCDE. Elle considère que les réformes menées par l'OCDE, en particulier le taux minimum d'imposition de 15 %, sont trop faibles et peu coercitifs concernant les problèmes d'évasion fiscale. TJN estime également que l'OCDE ne prend pas suffisamment en compte les intérêts des pays en développement. Par la voix de son directeur général, Alex Cobham, TJN critique le modèle OCDE[iv] :